Implanté à quelques kilomètres au sud de Lannion sur une corniche embrassant la vallée du Léguer, le château-fort de Tonquédec, autrefois très puissant en Trégor, est aujourd’hui l’une de ces ruines romantiques et remarquables, qui compte parmi les sites médiévaux les plus visités de Bretagne.
Les bâtiments du logis et des communs, très altérés, s’articulent autour d’une enceinte en forme de quadrilatère irrégulier, fermée au nord et au nord-ouest de deux demi-tours et d’un donjon circulaire indépendant, à l’est et au sud de deux fortes tours, et précédée au sud-est d’un châtelet d’entrée à pont-levis. Au sud, une seconde enceinte renforcée de trois tours, délimite une vaste basse-cour.
Plan du château de Tonquédec (de La Barre de Nanteuil 1911, p. 49).
Berceau du lignage éponyme de Tonquédec, éteint dès le début du XIIIe siècle, le château passa aux vicomtes de Coëtmen, juveigneurs issus des comtes de Goëllo et Trégor, qui le reconstruisirent, les plus anciens éléments qui correspondent « aux bases d’un châtelet à deux tours englobées dans l’ouvrage actuel […] ne paraissant pas antérieurs à la première moitié du XIVe siècle » (Amiot 2002, p. 477). À l’issue d’un engagement sans faille sous la bannière de Charles de Blois durant la Guerre de Succession, le château fut pris et démantelé en 1394 après la rébellion de Rolland III de Coëtmen, partisan des Penthièvre dans le conflit qui les opposa au duc Jean IV (La Barre de Nanteuil 1911, p. 45). Le même (ibid.) ou son fils Rolland IV (Torchet 2003, p. 171) obtint en 1406 une importante donation ducale pour « entreprendre la reconstruction du château qui dura sans doute plusieurs années » (La Barre de Nanteuil 1911, p. 46). Après avoir obtenu en 1473 l’octroi d’un devoir de billot « pour en estre les deniers emploiés à la fortiffication et emparement de ladite place de Toncquédec » (ibid.), Jean II de Coëtmen réédifia entièrement le logis et le renforça de la forte tour au sud-ouest. Dernier vicomte de Coëtmen par les mâles, ses biens passèrent aux Acigné, puis aux Goyon de La Moussaye, d’où le château de Tonquédec fut vendu aux Du Quengo en 1636 puis, après de nombreuses vicissitudes, parvint à la famille de Rougé, descendante des Coëtmen, qui en est toujours propriétaire.
Des marques héraldiques qui devaient se multiplier aux lieux les plus ostentatoires, tant à l’extérieur qu’aux intérieurs, il ne demeure en place au châtelet d’entrée qu’un unique écusson surmonté d’une petite corniche sculptée de deux têtes, seul ornement de cette austère façade. Sa surface, rongée de lichens, est fruste (armoirie 1), mais il ne fait aucun doute qu’il arborait les armes des Coëtmen, de gueules à neuf, sept ou parfois six annelets d’argent (Torchet 2003, p. 171), pleines ou en alliance. Scellé en éminence dans la zone la mieux défendue du château, il manifestait la puissance du lignage. On observe avec intérêt qu’il n’est pas aligné au centre de la façade, où le passage de la flèche du pont levis en aurait altéré la perspective, mais dans l’axe de la porte cavalière, afin d’être bien en vue des visiteurs de marque.
Dans la basse-cour, un pavillon d’exposition donne à voir aux visiteurs quelques artefacts recueillis sur le site, parmi lesquels des carreaux de pavement médiévaux de terre cuite qui ont été découverts lors de fouilles non contrôlées réalisées à une date indéterminée dans les années 1960-1980 sur le logis et les différents bâtiments au sein de l’enceinte principale. Le volume extrait, de plusieurs centaines de pièces dans des états divers, aurait été récemment sauvegardé par l’action du régisseur du site. L’ensemble comprenait essentiellement des tomettes vierges, ainsi qu’un petit nombre de carreaux à décor d’engobe figurant différents motifs animaliers ou floraux. Parmi ceux-ci, on relève au moins deux modèles figurant une fleur de lys dite épanouie ou florencée, une figure du blason régulièrement employée en pavement à des fins décoratives, à l’instar d’autres meubles comme le lion, l’aigle ou encore la fleur de lys.
Carreau de pavement aux armes probables de Machecoul, Tonquédec, pavillon d’exposition dans l’enceinte du château.
Enfin, un carreau de pavement, qui aurait été découvert en un unique exemplaire, montre un écu chargé de quatre chevrons inscrit dans un quadrilobe à redents. Ses dimensions le rapprochent des plus grands carreaux à décor floral, faisant suspecter qu’ils auraient pu, sous réserve, appartenir à un ensemble contemporain. Mais sans information sur la stratigraphie de sa redécouverte, le carreau armorié pourrait également provenir d’une couche de démolition ancienne ou d’un remblais. Le motif héraldique s’apparente ici à des armoiries véritables (armoirie 2). Sur l’écu, les chevrons, creusés, laissent voir des traces d’argile blanche incrustée, que l’on ne saurait interpréter comme de l’argent héraldique, les mêmes traces se retrouvant en incrustation sur d’autres carreaux. Pour la chronologie, la forme triangulaire de l’écu en dépouille depuis les angles du chef fait privilégier une datation au courant du XIVe siècle, la fiabilité de ce critère restant toutefois relative. Ces armoiries questionnent, aucune famille bretonne n’en ayant à quatre chevrons. En revanche, nombreuses sont celles blasonnant de trois chevrons ou d’un chevronné de six pièces, aussi faut-il conclure que le nombre de chevrons ici n’est pas signifiant. L’héraldique médiévale était très mouvante, et les exemples surabondent d’armoiries dont les figures furent augmentées ou simplifiées, en fonction des particularités ou des contraintes offertes par le support, de la maîtrise de l’artiste, de l’espace disponible, etc. Parmi les alliances des Coëtmen, bien connues depuis le XIIIe siècle, aucune ne portait de telles armes. Il faut donc supposer une origine aux générations antérieures.
On a longtemps cru que l’un des deux vicomtes de Tonquédec, Guy, décédé en 1330, ou son frère Rolland II, tué à la bataille d’Auray en 1364, aurait convolé avec Marie de Kergorlay (Kerviler 1886, p. 471 ; Couffon 1924, p. 61). Celle-ci, sous réserve, pourrait avoir été la fille de Jean de Kergorlay et Jeanne de Rieux, sa mère étant fille de Guillaume de Rieux et Louise de Machecoul (Torchet 2001, p. 203), dont la famille porte trois chevrons. Cependant, les dernières recherches ont prouvé que Marie de Kergorlay avait en réalité épousé Geoffroy de Coëtmen, frère cadet (Morvan 2009, pl. d’annexes, num. 15) ou fils cadet (Torchet 2003, p. 171) de Rolland II, et mourut en 1362 (ibid.). Le rappel des armes d’une ascendante de l’épouse d’un cadet étant très improbable, cette piste doit être écartée et ne laisse qu’une seule possibilité.
Jean Ier de Coëtmen, fils aîné de Rolland II de Coëtmen, qui lui succéda comme vicomte de Tonquédec de 1364 à 1371, date de son trépas, avait épousé en 1340 Marie de Dinan, dame de Goudelin et de Runfao (ibid. ; Kerviler 1886, p. 471 ; Couffon 1924, p. 61-62 ; Morvan 2009, pl. d’annexe, num. 15). Elle était d’extraction prestigieuse : fille de Charles de Dinan-Montafilant et de Thomasse de Châteaubriand, celle-ci fille de Geoffroy seigneur de Châteaubriand (1257-1301) et d’Isabeau de Machecoul († 1316). Isabeau était fille d’Olivier de Machecoul († 1281), fils en première union de Pierre Mauclerc, demi-frère du duc Jean Ier (1217-1286) et personnage influent mort en 1281 (Morvan 2002, pl. d’annexes, num. 12, 15, 26). Par son père, arrière petit-fils de Louis VI le Gros, Olivier descendait des Capétiens.
Sceau d’Olivier de Machecoul en 1276 (Dom Morice 1742, t. 1, pl. 10).
Il avait relevé les armes d’argent à trois chevrons de gueules de son oncle Jean de Braine (Airiau 2008, p. 4-5) qu’il transmit à ses descendants, ainsi qu’en attestent de multiples témoignages, parmi lesquels une empreinte de son sceau en 1276 (Dom Morice 1742, t. 1, pl. 10), son tombeau en l’abbaye de Villeneuve, disparu mais connu par un dessin de Gaignières et par les relevés de Dubuisson Aubenay (Croix 2006, p. 831), ainsi que de nombreux sceaux familiaux plus tardifs (Fabre 1993, t. 2, p. 577-579).
Les origines prestigieuses de l’ascendance maternelle de Marie de Dinan-Montafilant, dont le souvenir devait être entretenu au XIVe siècle, auraient largement justifié qu’elles eussent pu être rappelées à titre mémoriel par son époux, Jean Ier de Coëtmen, ou leur fils Rolland, au sein d’un pavement à décor héraldique en une salle de leur château de Tonquédec. Les vicomtes de Coëtmen, descendants des comtes de Penthièvre et des ducs de Bretagne de la maison de Rennes, par le biais de cette alliance dès lors se rattachaient également aux ducs de la maison de Dreux et même, en très lointaine filiation, aux premiers Capétiens. Dans le contexte trouble faisant suite à la Guerre de Succession, cette récupération symbolique aurait permis d’asseoir la légitimité et le prestige du lignage. Il faut donc supposer que ce carreau, de toute vraisemblance aux armes de Machecoul, pouvait appartenir à un pavement déployant un programme héraldique ambitieux, qui déclinait peut-être les armes de la parentèle élargie des vicomtes et de leurs alliances les plus honorables. Dans cette éventualité, il faudrait supposer une installation après 1364, année où Jean Ier succéda à son père en même temps qu’il rallia Jean IV victorieux. Son fils Rolland III aurait encore pu faire valoir un tel décor. En revanche, son revirement au profit des Penthièvre et la prise du château par les troupes ducales en 1394 tournèrent la page d’une époque, alors que les Machecoul tombaient en quenouille, et que le souvenir des Dreux-Bretagne et des premiers Capétiens s’estompait.
Par la suite, les reconstructions et adjonctions successives du XVe et du début du XVIe siècle auraient pu provoquer la destruction précoce de ce pavement. Le carreau armorié pourrait donc être un vestige d’un état antérieur déjà disparu depuis plusieurs siècles.
Auteur : Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Paul-François Broucke, Tonquédec, château-fort de Tonquédec, https://armma.saprat.fr/monument/tonquedec-chateau-fort-de-tonquedec/, consulté
le 06/12/2024.
Bibliographie études
Airiau, Yves, « Les origines des armoiries d’Olivier de Machecoul », dans Échange et pouvoir au pays de Retz à la fin du Moyen Âge, actes du colloque (Retz 2007), La Mothe Acherd 2008, p. 5-15.
Amiot, Christophe, « Tonquédec, château-fort », dans J.-M. Pérouse de Montclos (dir.), Dictionnaire guide du patrimoine. Bretagne, Paris 2002, p. 477-478.
Couffon, René, « Quelques notes sur les seigneurs de Coëtmen et leurs prééminences », Bulletin de la Société d’Émulation des Côtes-du-Nord, 56, 1924, p. 41-125.
Croix, Alain (dir.), La Bretagne d’après l’Itinéraire de monsieur Dubuisson-Aubenay, Rennes 2006.