L’église Sainte-Croix constitue le seul vestige de l’ancienne abbaye augustinienne de Saint-Lô, construite au XIIIe siècle mais presque intégralement reconstruite au milieu du XIXe siècle. L’édifice actuel, formé d’une nef accostée de bas-côtés double et d’un chevet plat ouvert par une grande baie vitrée d’axe, ne conserve rien, à l’extérieur, de la structure médiévale. Déjà interdite en 1782 en raison d’un état de conservation critique, l’église avait en effet déjà été transformée pendant la Révolution en magasin à fourrage (Guibert 2011, p. 306, 308-309). Face à la détérioration de son état sanitaire et aux demandes de plus en plus pressantes pour la construction d’une église plus vaste – de la part notamment de l’abbé Jean-Baptiste Bazire (De Gerville 2000, p. 265-269) – malgré l’opposition d’une partie de la population de la paroisse (ibid., p. 277-278) et l’avis défavorable de certaines personnalités, à l’instar de Prosper Merimée (ibid., p. 277, 279), l’église fut lourdement reconstruite entre 1860-1863 en style néo-roman. Certains vestiges de l’édifice ancien furent néanmoins préservés, tels que le portail ouest et quelques chapiteaux sculptés de la nef (ibid., p. 308-310 ; Lepingard 1899, p. 7-9). Partiellement détruite par les bombardements de juin 1944, l’église Sainte-Croix fut ensuite restaurée et son clocher reconstruit en 1954 (De Gerville 2000, p. 311 ; base POP).
Saint-Lô, église Sainte-Croix, vue de la nef vers le chœur.
Les travaux réalisés au XIXe et au XXe siècle n’ont cependant pas effacé toute trace des éléments héraldiques qui ornaient autrefois l’édifice. Dans la nef, les deux piliers situés entre la quatrième et la cinquième travée présentent en effet deux consoles, probablement destinées à l’origine à soutenir la poutre de gloire, ornées d’anges tenant des écussons armoriés, déjà signalés et relevés au début du XIXe siècle par Charles de Gerville (2000, p. 257). Sur la console du côté de l’évangile (nord), l’écu sculpté représente trois fruits, probablement trois grenades (armoirie 1). Il pourrait s’agir des armes des Boucard (Boucart), possesseurs du fief du Flaguay dans la paroisse de Sainte-Croix de Saint-Lô, qui portaient d’azur à trois grenades ouvertes d’or (Lepingard 1888, p. 154). Leur présence pourrait s’expliquer par le fait que Jean Boucard, évêque d’Avranches de 1453 à 1484, fit de nombreuses donations aux églises de sa ville natale, où il fut inhumé à sa mort dans l’église Notre-Dame (ibid.), mais l’hypothèse nécessite d’autres confirmations. L’écusson armorié sculpté sur la console du côté de l’épître (sud) présente, quant à lui, un bourdon de pèlerin posé en bande, chargé d’une coquille de Saint-Jacques et accompagné d’une étoile (armoirie 2), peut-être en lien avec une statue disparue de saint Jacques.
D’autres armoiries se trouvaient à divers endroits de l’église. Décrites par René Toustain de Billy, historien du Cotentin vécu dans la deuxième moitié du XVIIe siècle (Toustain de Billy 1864, p. 145-146), elles figuraient notamment à l’intérieur des chapelles construites sur les bas-côtés et dans le chœur. Elles étaient à la fois sculptées dans les pierres de l’édifice et sur les monuments funéraires et peintes sur les vitraux. Même si leur datation reste inconnue et la description fournie par l’érudit breton manque parfois de précision, il semble utile d’en faire la liste, en tant que témoins d’une mise en signes de l’édifice aujourd’hui non plus visible. L’identification de ces armoiries est souvent douteuse, voire impossible : elles semblent cependant avoir appartenu à des familles de la région, parfois installées dans la paroisse même de Sainte-Croix, qui avaient probablement le patronage d’une chapelle et/ou qui avaient pris en charge la réalisation des vitraux.
Entré dans l’église par le portail sud, du côté du cimetière, Toustain de Billy signale, dans la deuxième chapelle, au-dessus du retable ornant l’autel (« contre-table »), la présence d’un écu chargé d’un chevron accompagné de deux étoiles et d’une coquille qu’il ne parvient pas à identifier (armoirie 3). Le vitrail de la troisième chapelle portait en revanche « un écu d’or à trois pals de vair » (armoirie 4a) que l’on retrouvait également sculpté sur les deux piliers séparant l’église paroissiale de celle réservée au religieux (armoirie 4b-c). Une balustre de la clôture de la chapelle était ornée d’un écu à six rocs d’argent (armoirie 5), qui pourrait appartenir aux normands Varroc, seigneurs de Gambe-de-Loup, du Burel et de Cosqueville, documentés depuis le XVe siècle (Man8rove). Un Thomas de Varroc est en effet nommé en 1368 comme lieutenant du capitaine de Saint-Lô et possédait « ung hostel » en la paroisse d’Agneaux (Dubosc 1857, p. 177-178), mais de nombreux membres du lignage semblent avoir résidé dans la paroisse Sainte-Croix (ibid, p. 178). Deux écus ornaient en revanche le vitrail de la quatrième chapelle : l’un à trois hures de sanglier, qui pourrait appartenir aux Hue de Miromesnil, installé à Saint-Lô depuis le début du XVIe siècle et anoblis dans cette ville en 1590 (Racines & Histoire) ; l’autre d’azur à la bande d’or (armoiries 6, 7). La chapelle située « derrière le maître-autel » était ornée des armes des Merlet (armoirie 8), dont l’érudit ne précise cependant pas l’emplacement exact. Il nous informe, en revanche, que les vitraux de cette chapelle étaient tous ornés d’écus armoriés, visiblement aux armes de leurs donateurs.
Saint-Lô, église Sainte-Croix, console armoriée.
Les deux vitraux placés du côté de l’épître présentaient l’un une armoirie identique à celle des Bourbon (armoirie 9), l’autre un écu écartelé (armoirie 10) et un écu parti d’hermine et de sinople (armoirie 11) ; le vitrail situé « du côté de l’Evangile », en revanche, portait deux armoiries différentes, dont René Toustain de Billy ne révèle pas l’identité (armoiries 12, 13) (Toustain de Billy 1864, p. 146). Si la lecture de la première reste douteuse, dans la deuxième nous pouvons probablement reconnaître les armes des Malet de Graville, importante famille normande, dont Louis Malet de Graville, qui eut un rôle important sous le règne de Louis XI, de Charles VIII et de Louis XII, fut nommé gouverneur de Picardie et de Normandie, étant également à la tête d’importantes seigneuries en Normandie et en Île-de-France (Deldicque 2017).
Le chœur était lui aussi richement armorié. Les trois premières arcades portaient des écus sculptés aux armes que l’érudit normand attribue aux Rouxel, seigneurs de Médavy dans l’Orne (armoiries 14a-c) qui portaient d’argent à trois coqs de gueules, becqués et crêtés d’or. Toujours dans le chœur, un pilier du côté de l’épître était en revanche orné des armes de l’abbaye Sainte-Croix (armoirie 15), qui sont documentées depuis le XVe siècle, époque de laquelle date une clef de voûte conservée au musée d’art et d’histoire de Saint-Lô (collections.musees-normandie.fr). Les vitraux hauts du chœur de l’église étaient également ornés d’armoiries. Celui au sud présentait deux armoiries : l’une à la tête de licorne arrachée, accompagnée de deux roses et d’une étoile (armoiries 16), l’autre au chevron accompagné de trois roses (armoirie 17), qui pourrait appartenir aux Adam, seigneurs de Darville, dans l’élection de Bayeux. Le vitrail situé en face, du côté de l’évangile, présentait une seule armoirie (armoirie 18), tout comme celui placé « en bas du chœur » (armoirie 19). Cette dernière était cependant accompagnée de la devise « ex spinis rosae ». Pour finir, dans la chapelle en face de l’autel, du côté de l’évangile, se trouvait une « pierre hors d’œuvre » – probablement une plate tombe – ornée d’un écu sans couleurs, chargé d’une fleurs de lys accompagnée de trois losanges. L’écusson armorié était accosté, de part et d’autre, d’une inscription portant le nom de la « Sainte // Foy » (armoirie 20).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Saint-Lô, église Sainte-Croix, https://armma.saprat.fr/monument/saint-lo-eglise-sainte-croix/, consulté
le 07/11/2025.
Bibliographie sources
Saint-Lô, AD Manche, Cadastre napoléonien de la Manche, Saint-Lô, f. A2.
Bibliographie études
De Gerville Charles, Voyage archéologique dans la Manche (1818-1820), t. 2, Arrondissement de Saint-Lô, éd. M. Guibert, Saint-Lô 2000.
Mathieu Deldicque (dir.), Être mécène à l’aube de la Renaissance. L’amiral Louis Malet de Graville, catalogue de l’exposition (abbaye de Graville 2017), Gand 2017.
Dubosc François, « Recueil et notes historiques sur la paroisse d’Agneaux », Mémoires et documents publiés par la Société d’Agriculture, d’Archéologie et d’Histoire Naturelle de la Manche, 1, 2, 1857, p. 71-185.
Guibert Michel, Les églises du département de la Manche de 1750 à 1820, t. II/2, Cantons de Saint-Lô, Marigny, Tessy-sur-Vire et Torigny-sur-Vire, Saint-Lô 2011.
Lepingard Édouard, « Choses et autres relatives à Saint-Lô », Mémoires de la société d’agriculture et histoire du département de la Manche, 8, 1888, p. 153-185.
Lepingard Édouard, « L’église Sainte-Croix de Saint-Lô » dans La Normandie monumentale et pittoresque. Manche, t. 1, Le Havre 1899, p. 7-9.
(Écartelé : aux 1 et 4, d’argent au lion passant de gueules, au chef d’azur chargé de deux fleurs de lis d’or ; aux 2 et 3, d’azur au sautoir d’or cantonné de quatre croisettes de même).
Attribution : Armoirie inconnue
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chapelle ; Chapelle d'axe
Emplacement précis : Baie
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
(De gueules à la main d’argent tenant une crosse d’or, accostée de deux fleurs de lis du même en chef [et adextré en pointe d’une coquille d’argent ?]).
Attribution : Abbaye Sainte-Croix de Saint-Lô
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chœur
Emplacement précis : Autel
Support armorié : Pilier
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue