Témoin des destructions dont la ville de Saint-Lô a souffert en juin 1944, l’église collégiale Notre-Dame s’élève au cœur de l’ancienne cité, sur le sommet de l’éperon rocheux enfermé par les remparts érigés aux XIIIe-XIVe siècles et à proximité du château des évêques de Coutances, seigneurs du lieu. L’édifice, qui se signalait jadis par les deux tours hautes de presque 70 mètres qui encadraient sa façade, est le fruit de plusieurs campagnes de construction, étalées notamment entre le XIIIe et le XVIe siècle.
Le chœur constitue la partie la plus ancienne de l’église, construite à l’endroit où s’élevait, depuis le XIe siècle, la chapelle du château (Thibout 1966, p. 280-282). Il fut construit au cours de la deuxième moitié du XIIIe siècle, mais seuls quelques vestiges de cette construction subsistent dans la structure actuelle (ibid., p. 284-285). Formée de quatre travées et d’un double ambulatoire, celle-ci fut édifiée, sur une surface nettement plus large et dans un style flamboyant, à partir de 1479 par l’évêque Herbert de Coutance (1479-1510) et fut achevée seulement au XVIIe siècle avec la réalisation (ou la réfection) des parties supérieures percées de hautes baies (ibid., p. 289-298). Le chantier fut complété dans les années 1290-1300 avec la construction de la travée de façade et de la tour nord, toutes deux détruites par les bombardements, tandis que la tour sud avec son portail ne fut érigée qu’en 1464, « des deniers des paroissiens et bienfacteurs », comme en témoignait une inscription perdue (Dubosq 1845, p. 66 ; Delauney 1864, p. 68). La nef, formée de cinq travées barlongues, fut construite en revanche à partir d’environ 1400. Puis, dans les années 1410-1425, le côté sud de l’édifice fut transformé avec la construction du collatéral, tandis que les deux travées occidentales du collatéral nord ne furent ajoutées qu’au XVIe siècle (Thibout 1966, p. 285-289). Au temps de l’évêque Herbert, trois travées d’un deuxième collatéral situé au nord furent ajoutées (Baylé 1997, p. 250-251) et une chapelle, dite de la Vierge ou du Rosaire, fut construite en 1497 derrière le chœur (Dubosq 1845, p. 66). D’autres travaux furent réalisés encore au XVIIe siècle, tel que la construction des flèches, aujourd’hui disparues, des deux tours de la façade, datant l’une de 1630 (sud), l’autre de 1684 (nord). Fermée au culte en 1792, puis rendue à son usage originel en 1801, l’église, classée aux monuments historiques en 1840 (base POP), fit par la suite l’objet de travaux de restauration qui n’étaient pas encore terminés dans les années 1850 (Delaunay 1864, p. 103-104).
Saint-Lo, église Notre-Dame, bas-côté nord (extérieur) avec porte armoriée.
L’église fut gravement endommagée au cours de la bataille de Normandie, mais les voûtes du chœur, celles du chevet et du déambulatoire et également celles des bas-côtés de la nef demeurèrent à peu près intactes (De Gereville 2000, p. 329). Seules les voûtes de la nef et les deux voûtes du bas-côtés sud les plus proches de la façade furent emportées par les bombardements (ibid.), qui causèrent aussi la perte de la tour nord, de la flèche de la tour sud et d’une large partie de la façade. La restauration de l’église Notre-Dame débuta dès la fin du conflit, mais se prolongea pendant de nombreuses années, pour ne se terminer qu’en 1963, en raison notamment de la controverse autour de la reconstruction de la portion de la façade détruite par les bombes. Il fut finalement décidé de ne pas la reconstruire et d’ériger plutôt une nouvelle façade aveugle à l’emplacement de la première travée perdue, qui fut effectivement bâtie entre 1955 et 1959 sous la direction d’Y.-M. Froidevaux (Bercé `1997, p. 344-345 ; De Gereville 2000, p. 333-341). En 1972, l’installation des trois portes en bronze historiées marqua la fin du chantier.
Si les ravages du temps et de l’homme ont eu raison d’une bonne partie des éléments sculptés et peints qui ornaient l’édifice, nous trouvons encore des traces matérielles et documentaires des armoiries qui figuraient à plusieurs endroits. Un écusson aux armes de Geoffroy Herbert (Toustain de Billy, p. 313 ; Thibout 1966, p. 294), posé sur une crosse (armoirie 1), orne l’accolade surmontant la petite porte latérale sur le côté nord de l’église, située au niveau de la troisième travée du second collatéral, ouverte initialement « que pour les gens de l’Évêque » (Delauney 1864, p. 106), donnant accès à l’église depuis la cour du manoir épiscopal, rénové par le même prélat (Casset 2007, p. 427-439). Il témoigne des travaux que l’évêque de Coutances – et baron de Saint-Lô – fit exécuter, notamment en alignant les chapelles sur le côté nord, dont une fut dotée de la chaire en pierre sculptée, que l’on voit encore de nos jours (Delauney 1864, p. 72), qui servait, probablement, pour faire publier les actes de la juridiction ecclésiastique et seigneuriale.
Saint-Lô, église Notre-Dame, façade, portail de la tour sud.
Il est en revanche désormais impossible de déterminer quelles armoiries étaient sculptées sur les écussons, visiblement grattés (et peut-être aussi restaurées ?), portés par deux couples d’anges d’un côté et d’autre du portail latéral sud (armoiries 2, 3). Suivant une pratique bien documentée dans l’ornementation des portails d’églises dans la deuxième moitié du XVe siècle (Poitiers, église Sainte-Radegonde), il est plausible que les armes du roi et, éventuellement, celles de l’institution religieuse aient été représentées à cet endroit, mises en valeur à la fois par leur emplacement – dans un endroit de passage obligé – et par la nature céleste des tenants.
À l’intérieur, les clefs des voûtes des bas-côtés sont souvent ornées d’écussons qui ne présentent plus hélas aucune trace des armoiries qu’ils portaient. En application de la loi du 21 avril 1791, le gouvernement de Saint-Lô avait pris en effet la décision de supprimer les armoiries qui se trouvaient aux voûtes de l’église (Guibert 2010, p. 45), qui furent ainsi soigneusement martelées et remplacées par les couleurs du drapeau français. C’est donc grâce à René Toustain de Billy et à la description qu’il fit des armoiries visibles dans l’église Notre-Dame avant 1709 que nous pouvons indiquer, au moins en partie, quelles armoiries étaient figurées sur les voûtes des collatéraux, où figurent désormais seulement des écussons « vierges », et sur certains vitraux perdus (Toustain de Billy 1864, p. 147-149). Elles appartenaient sans doute aux familles qui avaient contribué à la construction et à l’ornementation de l’édifice, vraisemblablement donc aux XVe et XVIe siècle. Puisque la configuration des autels et des chapelles a en partie changée depuis le début du XVIIIe siècle, nous pouvons aujourd’hui identifier l’emplacement seulement de quelques-unes de ces armoiries.
Nous apprenons ainsi que le vitrail de la chapelle Saint-Michel, la troisième sur le côté gauche de l’église (Dubosq 1845, p. 68) aujourd’hui consacrée aux saints Pierre et Paul, présentait trois écussons aux armes, respectivement, des Alix (armoirie 4), des Saint-Gérmain (armoirie 5) et des Du Molay (armoirie 6). La chapelle suivante, dédiée à saint Jean, était ornée des armes des Haye-Hue (armoirie 7), dont Dubosq n’indique malheureusement pas l’emplacement exact (probablement elles se trouvaient sur la verrière). C’est en revanche à la clef de la voûte de la chapelle Saint-Laurent qui figurait un écu aux armes des Rogier (armoirie 8), alors que la chapelle Saint-Sébastien était ornée (sur la verrière ?) des armoiries des La Dangie (armoirie 9) et des Parfouru (armoirie 10). C’est à nouveau à la clef de voûte de la chapelle Saint-Pierre qu’un écu aux armes des Auney était visible (armoirie 11). Cinq écussons armoriés étaient en revanche figurés à la vitre de la chapelle du Rosaire : ils étaient aux armes des Boucart, des Talvende, des Pontbellenger, des Saint-Germain-Grosparmy et des Silly (armoiries 12-16). En passant sur le côté droit de l’église, dans le déambulatoire, la chapelle intitulée à Saint-Lô présentait, probablement encore sur les vitraux, trois écus armoriés : le premier aurait porté, selon Toustain de Billy (1864, p. 149), les armes « des Poitou, avec l’alliance des [d’] Auxais » mais l’attribution semble peu plausible (armoirie 17). Le deuxième (armoirie 18) portait en revanche les armes des Sens (des Saon d’après Toustain de Billy 1864, p. 149), originaires de Caen mais seigneurs de Monts, Reviers et Morsan depuis le XVe-XVIe siècle (Man8rove), et les troisième celles des Vaulx (armoirie 19), une famille de Bayeux. Dans la chapelle Saint-Georges, bénite en 1501 (Lepingard 1887, p. 172) et par la suite intitulée à saint Thomas (ibid., p. 173), deux clefs de voûte portaient respectivement les armes parlantes (à trois peignes) des Pigny (armoirie 20), seigneurs de Rampan, et des Soules (armoirie 21), une ancienne famille éteinte selon Toustain de Billy (ibid.), tandis qu’un écu aux armes des Vicomte, une autre famille éteinte avant 1709, devait figurer sur le vitrail (armoirie 22). Les armes des Varroc, seigneurs de Gambe-de-Loup sur le territoire de Saint-Lô depuis le XVe siècle (Man8rove), étaient présentées dans la chapelle Sainte-Barbe (armoirie 23) et celles des De la Mare (armoirie 24), famille de la paroisse du Dézert, dans la chapelle « du sieur des Portes-Le Roy » (ibid.), probablement les deux peints sur les vitraux. Toustain de Billy décrit ensuite un écu armorié, à la fasce accompagnée de deux roses (armoirie 25), qu’il voit sur la vitre placée « dessous les cloches », dont il ne précise pas cependant l’identité. Il reconnaît en revanche l’armoirie figurée sur la clef de voûte « de dessus les orgues », qu’il attribue sans hésitation aux Le Goupil-Mesnidol (armoirie 26), cette dernière peut-être initialement portée par l’écusson visible de nos jour à la clef de la première travée de la nef, sans doute remonté au cours de la restauration de l’édifice dans l’après-guerre.
Malgré ces indications, nous sommes malheureusement incapables de déterminer quelles armes étaient réellement peintes ou sculptées sur les nombreux écussons encastrés dans les voûtes de l’église, dont l’emplacement originel resta d’ailleurs douteux. En raison des dommages importants causés par les bombardements, la voûte de la nef et une partie des voûtes des bas-côtés ont été en effet refaites ou réparées dans les années 1950 (base POP), sans doute en réutilisant également d’anciennes pièces sculptées, dont l’origine n’a toutefois pas été documentée. C’est le cas des clef de voûte de la nef, que Toustain de Billy semble totalment ingnorer dans sa description pourtant relativement minutieuse des armoiries figurées dans l’église Notre-Dame. Elles ont ornées d’écus, quasiment illisibles parce que bûchés, posés sur des couronnes de feuillages ou sur des décors à redents qui semblent convenir à une datation au XVe siècle, voire plus tardive (armoirie 27-30).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Saint-Lô, église Notre-Dame, https://armma.saprat.fr/monument/saint-lo-eglise-notre-dame/, consulté
le 28/12/2025.
Bibliographie études
Baylé Maylis, L’architecture normande au Moyen Âge. Les étapes de la création, Caen 1997.
Bercé Françoise, « Yves-Marie Froidevaux et la restauration des monuments historiques normands », dans L’architecture normande au Moyen Age. Regards sur l’art de bâtir, actes du colloque (Cerisy-la-Salle 1994), Caen 2001, p. 337-346.
De Gerville Charles, Voyage archéologique dans la Manche (1818-1820), t. 2, Arrondissement de Saint-Lô, éd. M. Guibert, Saint-Lô 2000.
Guibert Michel, Les églises du département de la Manche de 1750 à 1820, II-1, Ancien arrondissement de Saint-Lô. Cantons de Saint-Lô, Marigny, Tessy-sur-Vire et Torigni-sur-Vire, Saint-Lô 2010.
Lepingard Édouard, « Une famille bourgeoise de Saint-Lo. Les le Pigny (XIVe et XVIe siècle) », Notices, mémoires et documents publiés par la Société d’agriculture, d’archéologie et d’histoire naturelle du département de la Manche, 7, 1887, p. 165-173.
Thibout Gabrielle, « L’église Notre-Dame de Saint-Lô. Ses campagnes de construction », dans Congrès archéologique de France, 124, Cotentin et Avranchin, Paris 1966, p. 280-299.