Le souvenir de la maîtresse-vitre de l’ancienne église tréviale Saint-Guénolé en Saint-Frégant est conservé par un précieux dessin aquarellé en annexe d’un procès-verbal de prééminences. Celui-ci avait été commandité en avril 1611 à Sébastien Le Borgne, peintre demeurant à Lesneven (Castel 1980), par Marguerite Touronce, dame douairière du Rest en justification des droits honorifiques de son fils aîné Alain du Rest, cités dans un minu de 1608 (Nantes, AD de Loire Atlantique, B 1714). La représentation montre la fenêtre dans son intégralité, mais seules sont détaillées les prééminences du Rest dans la lancette et à deux ajours au bas du tympan à droite, les autres compartiments étant laissés vides.
La forme du réseau, à quatre lancettes surmontées de deux rangées d’ovales divisés en deux flammes plus un soufflet sommital, renvoie sans hésitation à une production du deuxième quart du XVIe siècle. Des analogies nettes existent avec de nombreuses verrières aux tracés analogues en Finistère, par exemple les maîtresses-vitres des églises de La Roche-Maurice ou du couvent de Cuburien en Saint-Martin-des-Champs, la fenêtre orientale de la deuxième nef au nord de l’église de La Martyre, ou les baies du chevet à pans de l’église Saint-Mathieu de Quimper. Ces comparaisons ancrent la datation dans les décennies 1520-1540.
Joints au procès-verbal des sieurs du Rest, les mentions de prééminences de la baronnie de Penmarc’h et des seigneuries de Penhoat, de Lesguern et de Lescoët, attestent que la fenêtre était entièrement revêtue d’une riche parure héraldique. Tous les ajours au tympan étaient occupés par des écussons, qui débordaient encore aux panneaux des lancettes. Les armes et alliances de quatre seigneuries formaient un ensemble savamment ordonnancé, comptabilisant au moins vingt-trois écussons et un priant armorié.
Comme seigneurs haut justiciers, les Penmarc’h avaient « huict escussons en superioritté » (Nantes, AD Loire Atlantique, B 1715, aveu d’Alain de Penmarc’h, 1556) que l’on peut formellement restituer, après lecture croisée des autres sources, aux cinq ajours sommitaux et aux trois écoinçons intermédiaires, l’un losangique et les deux autres triangulaires. Ces écus devaient décliner les pleines armes du lignage (armoirie 1 a-?) ainsi que des alliances dans des mi-partis (armoirie 2 a–?), affichant certaines de leurs plus prestigieuses unions avec les familles de Coëtivy, du Juch, Lanros, Coëtlestremeur, Toupin, Parscau, etc. L’héraldique des Penmarc’h semble avoir été instable et connut des variations au XVe siècle, mais lorsque la fenêtre fut réalisée, ils blasonnaient d’or à trois colombes ou merlettes d’azur.
Au-dessous, dans les quatre ajours et l’écoinçon en losange qui surmontaient les deux lancettes à gauche, et dans un panneau de la première lancette, on trouvait « quattre escussons armoiés des armes de [la] maison de Penchoat et ses alliances en quattre soufflets de la mettresse-vittre […], et en fasson de losange un petit au dessoubz, dans le premier panneaux autre escusson, le tout du costé de l’évangille » (Nantes, AD de Loire Atlantique, B 1734, aveu de François du Poulpry pour la seigneurie de Penhoat, 1684). On relevait sans doute les armes pleines des Lesguern (armoirie 3 a-?) et plusieurs alliances mi-parties (armoirie 4 a-?). Il est précisé que ces écussons étaient « immédiatement après ledit seigneur de Penmarch comme a esté accordé par transaction entre ledict seigneur avouant et ledit seigneur de Penmarch » (ibid.), où l’on croit comprendre qu’au moment de passer le marché de la fenêtre, les Penhoat transigèrent avec les Penmarc’h pour y obtenir des droits d’armes. Il faut se demander si à cette occasion que le haut patronage de la chapelle Notre-Dame située au nord du chœur, très chargée des armes, tombes et alliances de Penhoat, ne pourrait pas avoir été transféré aux Penmarc’h, sous la condition d’en respecter les dispositions et prééminences antérieures. Dans l’hypothèse, le partage de la chapelle aurait servi de monnaie d’échange en scellant une entente entre les deux maisons.
Plus à droite, la troisième lancette, les deux ajours en flamme et l’écoinçon en losange qui la surmontent, relevaient des seigneurs de Lesguern et accueillaient « quatre escusons de [leurs] armes et alliances » (ibid., aveu de Hamon Huon de Kerézellec pour la seigneurie de Lesguern, 1682), dont la position n’est pas précisée mais peut aisément être déduite, n’ayant aucun autre emplacement libre dans toute la fenêtre. Les armes pleines de Lesguern, un fascé de six pièces de vair et de gueules (armoirie 5 a-?), devaient accompagner des mi-partis d’alliance (armoirie 6 a-?).
Les Lescoët, seigneurs dudit lieu en Lanarvily et de Kergoff en Kernoues, deux paroisses limitrophes au sud, semblent avoir prétendu à quelque droit plus mineur, car ils revendiquaient « dans la maistresse vittre au pignon du grand autel […] en la roze supérieur un escusson armoyé des plaines armes de Lescoet, et droit de lizière » (Nantes, AD de Loire Atlantique, B 1743, aveu d’Alain Barbier pour la châtellenie de Lescoët et Kergoff, 1684). On peine toutefois à trouver un emplacement disponible pour loger cet écusson (armoirie 7), sauf à imaginer le placer dans l’un des deux petits écoinçons à la clé, ce qui paraît peu compatible avec la mention d’une « roze ». Il faut supposer ici une confusion avec une autre « chapelle de Sainct Guenollé scituée au nord dans le cimittière de ladicte esglize treffviale de Sainct Freguan » (Nantes, AD départementale, B 1734, aveu de Penhoat, 1684).
Enfin, les prééminences des seigneurs du Rest occupaient la dernière lancette à droite, du côté de l’épître, et les deux ajours qui la surmontaient. Le panneau inférieur montrait un seigneur du Rest armé de toutes pièces, à genoux et en prières, heaume et gantelets au sol, présenté par un saint évêque. La forme du casque de joute à visière, ainsi que le détail du gorgerin et du mézail dorés au jaune d’argent, rappellent à s’y méprendre le heaume aux pieds du priant de René de Rohan-Gyé dans la fenêtre nord au chevet de l’église de La Martyre, datée vers 1535-1540 (Cordier 2016 ; Gatouillat, Hérold 2005, p. 144-146), confortant la chronologie déjà émise.
Les armoiries sur le tabard, un losangé d’argent et de sable au loup passant d’or brochant, à la bordure de gueules (armoirie 8a), répétées dans un écusson au quatrième ajour du niveau intermédiaire (armoirie 8b), sont inconnues des répertoires. L’armorial de Vaucouleurs signale seul une branche ou famille homonyme du Rest en Plouénan avec des armes similaires, un losangé d’or et de sable à l’hermine passante sur le tout. Elles ne doivent pas non plus être confondues avec celles d’une troisième branche établie en Plabennec, possédant également un manoir homonyme du Rest, qui portait un échiqueté d’argent et de sable au lion d’or brochant. La bordure de gueules du priant désigne ici les seigneurs du Rest de Saint-Frégant comme des cadets, sans certitude sur la tige aînée aînée de la famille.
Attestée dès 1378 (Dom Morice 1742, col. 188), la famille du Rest posséda la seigneurie du même nom en Saint-Frégant au fief du duc jusqu’à sa vente en 1661 à Guillaume Le Jacopin, chantre et chanoine de Saint-Pol-de-Léon. Le manoir resta aux héritiers et son nom évolua en Kergoff ou Kergo-Rest. La famille du Rest n’ayant pas atteint la Réformation de 1668, les unions n’en sont que très partiellement connues, une lacune que les écussons mi-partis au tympan comblent en partie.
Dans la dernière mouchette du registre inférieur, le premier écu d’alliance (armoirie 9) est décrit par la douairière du Rest comme « de la maison de Kergoff qui est une juveigneurie de celle de Lescoet le Chastel » (AD Nantes, B 1714, procès-verbal de 1611). La maison de Kergoff en Plouider était une juveigneurie de celle de Lescoet en Lesneven, depuis que Robert de Lescoet, né vers 1323, reçut Kergoff par partage en 1337 des mains de son frère aîné Guillaume de Lescoet (Brest, AD du Finistère, 1 E 97). Comme cadet, Robert brisa d’un lambel à trois pendants, bien identifiable. La branche aînée tomba en quenouille dans la puissante famille du Chastel par le mariage de Méance, la fille de Guillaume, d’où la remarque de la douairière du Rest. L’alliance représente Salomon du Rest, cité à la montre d’Olivier le Moyne en 1378 (Dom Morice 1742, col. 188), époux de Marguerite de Lescoet, dame de Kergoff. Le couple est connu par le mariage de leur fille Amice avec Prigent de Lesguern en 1411 (Brest, AD du Finistère, 4 E 248/30).
Un second mi-parti (armoirie 10) dans cet ajour est décrit comme « de la maison de Penancnech Kermavan » (Nantes, AD de Loire Atlantique, procès-verbal de 1611). C’étaient les armes de Jacques du Rest époux de Catherine de Penannéac’h qui, veuve en septembre 1416, se remaria à Jehan Olivier (Quimper, AD du Finistère, 151 J 255/473). Les Penannéac’h (parfois Pennanec’h ou Penanknech) en Plouénan, tombèrent en quenouille à la fin du XIVe siècle dans les Kermavan, ce qui éclaire la remarque de Marguerite Touronce. Leurs armoiries, documentées avec discrétion, sont attestées et dessinées dans le manuscrit du Bref état des prééminences de Maillé-Carman en 1614.
Deux derniers écussons d’alliance occupaient la tête de la lancette. L’un était mi-parti d’argent à l’écu de gueules accompagné de six croisettes d’azur (armoirie 11) « que ladite damoisselle nous auroict dict esté de la maison de Kermelen Coatmeur ». C’étaient les armes des Coëtmeur ou Coatmeur en Landivisiau qui portaient normalement les croisettes recroisetées, sans que l’on puisse déterminer si la différence résultait ici d’une brisure ou d’une simplification de la figure. Bien que les Coetmeur soient tombés en quenouille au milieu du XIVe siècle, leurs armes continuèrent d’être utilisées par les différentes familles qui possédèrent dans la suite cette prestigieuse seigneurie. Rien ne permet de préciser le degré de cette alliance, non plus que celle au dernier écusson (armoirie 12) que la douairière du Rest « auroict dict esté de la maison du Quilliou ». C’étaient les armes des le Barbu, seigneurs du Quilliou en Cornouaille et de Kerengar en Lannilis.
L’examen croisé des mentions de prééminences, malgré l’impasse sur la description des écussons des barons de Penmarc’h, des seigneurs de Penhoat et de Lesguern, autorise à proposer une tentative de reconstitution schématique de l’ensemble des éléments héraldiques au sein de la verrière disparue. La représentation des écus pleins ou mi-partis y relève de la pure hypothèse, en revanche la disposition des armoiries par ajour, par fief et par lignage semble pouvoir être considérée comme entendue. Le tout signale un riche exemple de partage emblématique au sein d’une maîtresse-vitre à peine suffisante pour accueillir les marques des nombreuses maisons nobles de la paroisse. La datation du réseau vers les années 1530, la mention de la transaction entre les Penmarc’h et les Penhoat, et le rappel d’alliances des seigneurs du Rest remontant au XIVe siècle, donnent l’impression que cette fenêtre, commandée peut-être à l’issue d’un possible chantier de réédification du chevet, intégrait de nouvelles prééminences à d’autres plus anciennes, reprises de la vitre antérieure.
Auteurs : Marc Faujour, Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Marc Faujour, Paul-François Broucke, Saint-Frégant, ancienne église Saint-Guénolé (chevet), https://armma.saprat.fr/monument/saint-fregant-eglise-saint-guenole/, consulté
le 03/12/2024.
Bibliographie sources
Brest, AD du Finistère, 1 E 97, partage de 1337.
Nantes, AD de Loire Atlantique, B 1714, Titres de Guissény, procès-verbal de prééminences pour la seigneurie du Rest en l’église tréviale de Saint-Frégant, 7 avril 1611.
Nantes, AD de Loire Atlantique, B 1715, aveux de Alain de Penmarc’h en 1556, Claude de Penmarc’h en 1572 et René de Penmarc’h en 1620 pour la baronnie de Penmarc’h en Saint-Frégant.
Nantes, AD de Loire Atlantique, B 1734, aveu de Hamon Huon de Kerézellec pour le manoir de Lesguern en Saint-Frégant, avec mention de prééminences, 12 mai 1682 ; aveu de Gabriel de Penmarc’h pour la baronnie de Penmarc’h en Saint-Frégant, 28 avril 1682 ; aveu de François de Poulpry pour la seigneurie de Penhoat en Saint-Frégant, 2 août 1684.
Nantes, AD de Loire Atlantique, B 1743, aveu d’Alain Barbier pour la châtellenie de Lescoët et Kergoff, avec mention de prééminences pour Lescoët dans l’église tréviale de Saint-Frégant, 1684, f. 5047.
Quimper, AD du Finistère, 32J 2, chartrier de Kerézellec, arrêt de noblesse de la famille Huon, 1669, transcrit par Amaury de La Pinsonnais, 2010, en ligne sur Tudchentil.org (consulté le 6 mars 2021).
Quimper, AD du Finistère, 151J 355, article 473.
Quimper, AD du Finistère, 3 P 250/1/4, Saint-Frégant. Cadastre napoléonien, section A3 du bourg, 1842.
Cordier, Jean-Yves, L’église Saint-Salomon de La Martyre IX. Les vitraux du chœur, < https://www.lavieb-aile.com/2016/12/l-eglise-saint-salomon-de-la-martyre-vii.les-vitraux-du-choeur.html >, 2016 (cons. le 12 mars 2021).
Gatouillat, Françoise, Hérold, Michel, Corpus vitrearum. Les vitraux de Bretagne, Rennes 2005.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Saint-Frégant, ancienne église Saint-Guénolé (chevet). Armoirie de Penmarc’h (armoiries 1a-?)
(D’or à trois colombes alias merlettes d’azur).
Attribution : Penmarc'h de famille
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chevet
Support armorié : Verrière
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Saint-Frégant, ancienne église Saint-Guénolé (chevet). Armoirie Salomon du Rest-Marguerite de Lescoët de Kergoff (armoirie 9)
Mi-parti, au 1 : losangé d’argent et de sable au loup passant d’or brochant, à la bordure de gueules (du Rest) ; au 2 : de sable à la fasce d’argent chargée de trois quintefeuilles de sable, et surmontée d’un lambel d’argent (de Lescoët de Kergoff).
Attribution : du Rest Salomon ; Lescoët de Kergoff Marguerite de
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chevet
Support armorié : Verrière
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Saint-Frégant, ancienne église Saint-Guénolé (chevet). Armoirie Jacques du Rest-Catherine de Penanneac’h (armoirie 10)
Mi-parti, au 1 : losangé d’argent et de sable au loup passant d’or brochant, à la bordure de gueules (du Rest) ; au 2 : d’argent à l’écusson d’azur accompagné de six annelets de gueules en orle (de Penanneac’h).
Attribution : du Rest Jacques ; Penanneac'h Catherine de
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chevet
Support armorié : Verrière
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Mi-parti, au 1 : losangé d’argent et de sable au loup passant d’or brochant, à la bordure de gueules (du Rest) ; au 2 : d’argent à l’écusson de gueules accompagné de six croisettes recroisetées d’azur en orle (de Coëtmeur).
Attribution : Coëtmeur famille de ; du Rest famille
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chevet
Support armorié : Verrière
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Mi-parti, au 1 : losangé d’argent et de sable au loup passant d’or brochant, à la bordure de gueules (du Rest) ; au 2 : d’or au sautoir trêflé ou fleuronné d’azur (Le Barbu).
Attribution : Le Barbu famille ; du Rest famille
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chevet
Support armorié : Verrière
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue