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ARmorial Monumental du Moyen-Âge
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Quimper, pièce erratique (24, rue du Parc)

 

Dans le centre-ville de Quimper, au 24 de la rue du Parc, artère passante située le long de l’Odet, une pierre armoriée est scellée au centre de la façade au premier étage d’un immeuble de commerces et d’habitation datant du XIXe siècle. Sa facture médiévale signale au premier coup d’œil un réemploi. La pierre, en granit gris clair, est sculptée en relief. Elle présente un bon état de conservation, malgré l’érosion des détails, et l’insertion malencontreuse de deux pitons métalliques bouchés au ciment. Sa facture et ses dimensions indiquent qu’elle était prévue pour être placée en extérieur, très probablement au sein d’une façade ou d’un mur, à une hauteur moyenne.

Sur un écu penché triangulaire, les armoiries d’hermines plain des ducs de Bretagne sont aisément reconnaissables (armoirie 1), réduites ici à dix mouchetures, posées 4, 3, 2, 1. L’écu est supporté par deux lions rampants et regardants, debout sur un monticule, chapés, et la queue passée entre les jambes. Il est surmonté d’un heaume en bassinet taré de profil, coiffé d’un chapeau de tournoi rebrassé surmonté d’un lion à la queue dédoublée assis entre deux cornes. Une tentative de reconstitution en couleurs peut en être proposée.

Quimper, 24 rue du Parc, pierre erratique aux armes de Bretagne.

Ce sont les armes, les supports et le cimier traditionnels des ducs de Bretagne de la maison de Montfort, bien documentés par de nombreuses représentations de toutes natures. Le timbre et les supports sont attestés séparément par les sceaux (Fabre 1993, t. 1, p. 3-21) et plusieurs monnayages de Jean IV (1374-1399) au moins depuis les décennies 1360-1370 (Coativy 2006, p. 307-348), et restèrent en usage durant tout le XVe siècle. Sous Jean V (1399-1442), plusieurs sceaux de type armorial ou des signets associent l’ensemble de ces éléments (Fabre 1993, p. 8-12), notamment sur une empreinte remontant à 1402 (Dom Morice, t. 2, pl. X, fig. CLXXX).

Signet du duc Jean V en 1402. Dom Morice 1744, t. 2, pl. X, fig. CLXXX.

Les armoiries sont ici attribuables à Jean V, par comparaison avec le décor héraldique déployé au tympan des portails de la cathédrale voisine, stylistiquement très comparable. La première pierre de la façade occidentale avait été posée en 1424 par l’évêque Bertrand de Rosmadec (Gallet 2009, p. 277), et « la zone des portails […] était en place avant 1433, comme l’indiquent les armes de la duchesse Jeanne de France, morte cette année-là » (Gallet 2013, p. 80). Les analogies sont nettes pour ce qui concerne les proportions générales, la forme des casques, l’apparence des lions, ou encore le souci d’individualiser les supports par une sorte de terrasse autonome sous les pattes des animaux. À entrer dans les détails, on pourrait estimer les sculptures de la cathédrale d’une exécution légèrement plus soignée : les variations sur le positionnement des heaumes, les jeux de lambrequins finement découpés, le relief prononcé, marquent un peu plus d’élégance (Broucke 2010, p. 108-113). Cependant ces nuances ne suffisent pas à remettre en cause une simultanéité ou quasi-simultanéité d’exécution, et une réalisation par un sculpteur employé au chantier de la cathédrale est envisageable.

Il faut encore remarquer que le support du lion chapé d’hermines semble avoir progressivement cédé du terrain au profit de l’hermine au naturel, de plus en plus présente dans l’art monumental des décennies 1430-1440, en particulier au Folgoët (Sotin 2014, p. 42-57) et à Quimperlé (Cordier 2014). En revanche, on se placerait difficilement après Jean V : les dernières recherches montrent que son successeur François Ier (1442-1450) pourrait avoir affectionné un traitement différent des lions supports de ses armes en substituant à leur cape d’hermines un collier enchaîné à l’écu, peut-être dans le dessein d’exalter son mariage avec Isabelle Stuart d’Écosse, comme il s’observe sur un écusson scellé au portail de l’abbaye de Saint-Mathieu. De plus, les goûts allaient à des lambrequins aux formes nettement découpées, alors que le volet du heaume est ici court et peu dépassant. En définitive, une estimation vers les décennies 1410-1430 est la plus convaincante.

Quimper, 24 rue du Parc, relief erratique aux armes de Bretagne, essai de reconstitution hypothétique de polychromie.

Scellé en façade d’un immeuble du XIXe siècle, cet élément est un réemploi dont la provenance ne peut être déterminée avec certitude. Un ancien couvent Franciscain du XIIIe siècle, autrefois implanté à proximité immédiate au nord, dans la zone des halles actuelles et dont l’emprise se prolongeait jusqu’à cet îlot, fournit une piste intéressante. Sa disparition au XIXe siècle a laissé subsister de nombreux matériaux de démolition, parmi lesquels plusieurs tombes armoriées de la fin du Moyen Âge et du XVIe siècle aujourd’hui mises en valeur dans le jardin de l’évêché, contre le flanc sud de la cathédrale. Le relief aurait pu provenir d’une façade extérieure traitée avec ostentation, et avoir été récupéré après la destruction du couvent pour être réintégré avec une bonne visibilité au passage fréquenté de la rue du Parc.

Autre hypothèse convaincante, cet écusson aurait pu avoir été scellé au fronton de l’une des portes de l’ancien rempart qui ceinturait autrefois la cité médiévale. Les vestiges de murailles des anciennes cités ducales, à Vannes, Hennebont ou encore Guérande, conservent plusieurs exemples, en l’état ou seulement signalés par une gravure ancienne ou une cavité dans la paroi, d’un décor héraldique aux armes du prince, au-dessus d’une porte principale. À Quimper, le tracé des fortifications est assez bien connu par plusieurs témoignages du XVIIIe siècle, notamment un plan de 1764 qui, joint à l’archéologie, a permis de restituer le phasage de sa construction (Le Bihan 2006, p. 229-236, 239, 335-339). De nouvelles investigations devraient permettre de préciser des zones d’ombre, notamment quant à la présence d’un ouvrage fortifié construit par les ducs de Bretagne au confluent du Steir et de l’Odet, source constante de conflits avec l’évêché (Josnin 2020, à paraître).

Tracé du rempart médiéval de Quimper, (porte Saint-François en rouge), fond de carte d’après : Le Bihan 2006, p. 229.

Du rempart, il demeure des portions notables le long du Steir, de la rue des Douves, près de La Tourbie et au sud de la cathédrale, mais rien au sud-ouest, où il formait la clôture du couvent des Franciscains. Un des accès principaux de la cité vers le sud ouvrait sur la rue Saint-François, toujours existante dans le réseau viaire actuel et qui débouche à une trentaine de mètres à l’est du 24 de la rue du Parc. À l’examen du relevé de 1764, la porte semble avoir été renforcée d’une ou deux demi-tours de flanquement. Il est vraisemblable de supposer qu’un tel ouvrage devait recevoir au fronton un décor emblématique aux armes du prince et peut-être de l’évêque. Dans cette éventualité, le relief de réemploi de la rue du Parc pourrait en provenir, ou d’une autre fortification située à proximité.

Quoi qu’il en soit de cette hypothèse, ce relief est l’une des représentations des grandes armes ducales avec heaume, cimier et supports parmi les mieux conservées pour la première moitié du XVe siècle en Basse Bretagne.

Auteur : Paul-François Broucke

Pour citer cet article

Paul-François Broucke, Quimper, pièce erratique (24, rue du Parc), https://armma.saprat.fr/monument/quimper-piece-erratique/, consulté le 19/04/2024.

 

Bibliographie études

Broucke, Paul-François, Les prééminences héraldiques de la cathédrale de Quimper au XVe siècle : nouvelles perspectives, mémoire de master 1, dir. Yves Gallet, Université de Bretagne Occidentale, 2010.

Coativy, Yves, La monnaie des ducs de Bretagne de l’an mil à 1499, Rennes 2006.

Cordier, Jean-Yves, Les sablières, entraits et poinçons de l’église Notre-Dame-et-Saint-Michel de Quimperlé, < http://www.lavieb-aile.com/article-les-sablieres-et-poin-ons-de-l-eglise-notre-dame-et-saint-michel-de-quimperle-123158720.html > (cons. le 19 avril 2020).

Fabre, Martine, Héraldique médiévale bretonne. Images personnelles (vers 1350-1500). Armoriaux, sceaux, tombeaux, Paris 1993.

Gallet, Yves, « Quimper, cathédrale Saint-Corentin, l’architecture (XIIIe-XVe siècle) », Congrès archéologique de France, 165e session, Finistère, Paris 2009, p. 261-291.

Gallet, Yves, « Le chantier de construction à l’époque gothique (XIIIe-XVe siècle) », dans J.-M. Vert (dir.), Quimper. La grâce d’une cathédrale, Strasbourg 2013, p. 65-95.

Josnin, Orian, Les fortifications médiévales de la ville de Quimper, mémoire de master, dir. Julien Bachelier, Université de Bretagne Occidentale, 2020.

Le Bihan, Jean-Paul (dir.), Archéologie de Quimper, matériaux pour servir l’Histoire, t. 1, Saint-Thonan 2005.

Morice, Hyacinthe Dom, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. 2, Paris 1744.

Sotin, Aziliz, La basilique Notre-Dame du Folgoët : un grand chantier breton du règne de Jean V, mémoire de master 2, dir. Y. Gallet, Université de Bretagne Occidentale, 2014.

Photographies du monument

Armoiries répertoriées dans ce monument

Quimper (24 rue du Parc), relief erratique. Armoirie Jean V de Bretagne (armoirie 1)

D’hermines plain.

Cimier : un chapeau de tournoi rebrassé surmonté d’un lion à la queue dédoublée assis entre deux cornes.

Tenants : deux lions

Lambrequin : de …

  • Attribution : Jean V de Bretagne
  • Position : Inconnue
  • Pièce / Partie de l'édifice : Inconnue
  • Emplacement précis : Inconnu
  • Support armorié : Pierre sculptée
  • Structure actuelle de conservation : Quimper 24 rue du Parc ; Pièce remployée
  • Technique : Relief en pierre
  • Période : 1401-1425 ; 1426-1450
  • Dans le monument : Quimper, pièce erratique (24, rue du Parc)

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