Seul exemple de résidence parisienne d’un grand seigneur connue pour le XIIIe siècle, l’Hôtel d’Harcourt a été probablement construit dans les années 1250-1260 (Garrigou Grandchamp 2009, p. 153). Un édifice appartenant au seigneur d’Harcourt se trouvait sans doute à cet endroit avant 1292, date à laquelle il est mentionné dans Livre des sentences du parloir aux bourgeois pour un cens qu’il devait payer à la ville de Paris pour une propriété située dans la zone du Palais des Thermes bâtie sur un terrain appartenant à la municipalité (Le Roux de Lincy 1846a, p. 110 ; Garrigou Grandchamp 2009, p. 133-134).
Truschet et Hoyau, plan de Paris (1552), détail avec l’Hotel d’Harcourt (en rouge).
La résidence était formée par des corps de bâti organisés autour d’une cour rectangulaire avec basse-cour et jardin. Restée dans la famille pendant deux siècles, mais déjà en mauvais état à la fin du XVe siècle, elle avait subi des travaux dans les années 1522, quand elle était déjà passé aux Lorraine par alliance (Le Roux de Lincy 1846, p. 46 ; Garrigou Grandchamp 2009, p. 133-134). Les derniers vestiges de cet édifice, morcelé et fortement remanié depuis le début du XVIIe siècle, furent dégagés et aussitôt détruits en 1852, lors des travaux qui transformèrent le quartier des Thermes (Garrigou Grandchamp 2009, p. 127-128).
Malgré la perte de tout vestige architectural (aucune pierre provenant de la démolition ne fut déposée dans les musées de la ville : ibid., p. 134), la composition de l’hôtel et quelques détails de son ornementation sont connus par le biais des croquis et des planches réalisées, au moment de la destruction, par Théodore Vacquer (Paris, Bibliothèque de la Ville de Paris, ms. 237 et Paris, INHA, Fonds de dessins d’Albert Lenoir, boîte IV, OA 716). Nous apprenons ainsi que cette résidence princière était formée par un corps de logis à un étage et un corps d’hôtel principal, placé au nord, avec pignons sur les rues qui délimitaient, d’un côté et d’autre, la parcelle, longue et étroite, sur laquelle elle avait été bâtie. Par le biais des cartes anciennes de la ville de Paris, nous apprenons aussi qu’au moins un pignon était cantonné de deux échauguettes (Garrigou Grandchamp 2009, p. 130 ; id. 2012, p. 145-146). Détruites dans le courant de la deuxième moitié du XVIe siècle (id. 2009, p. 135), celles-ci donnaient une allure seigneuriale et monumentale au bâtiment. D’après les relevés anciens, le corps de bâti principal, assez imposant aussi par son hauteur (20,50 m : Garrigou Grandchamp 2009, p. 139) et totalement réalisé en pierre de taille (ibid., p. 145), avait l’apparence d’une structure fortifiée couronnée de merlons mais ajourée par de grandes baies vitrées. Il abritait au premier étage une pièce de grande taille (20 x 11,27 m) qui n’était vraisemblablement pas utilisée comme chapelle (Lenoir 1852-53, p. 419), mais comme grande salle. Celle-ci était superposée à une autre pièce unique au rez-de-chaussée (Garigou Grandchamp 2009, p. 139).
Th. Vacquer, Hotel d’Harcourt, détail d’architecture et d’une baie ornée d’un écu armorié. Paris, INHA (d’après Grandchamp 2009).
Les informations sur le décor de ces espaces sont hélas assez réduites. Albert Lenoir affirmait, de manière assez générique, qu’à l’intérieur de l’espace qu’il identifiait encore avec la chapelle se trouvaient les restes de peintures murales où « se mêlaient des armoiries autres que celles de la famille d’Harcourt » (Lenoir 1852-53, p. 419), qu’il datait au XIIIe siècle en raison de la forme allongée de l’écu (ibid., cit. par Garrigou Grandchamp 2009, p. 133). Les relevés de Théodore Vacquer (Paris, INHA) permettent de mieux saisir la place et l’aspect de l’ornementation de cette salle basse, dont les poutres maîtresses du plafond étaient soutenues par des consoles figurées et colorées. Appendus par une guiche, les écus armoriés étaient placés dans les tympans de deux fenêtres, entre les arrière-voussures et les linteaux (ibid. ; Mérindol 2013, p. 199). Les relevés de Théodore Vacquer donnent notamment l’image de deux écus peints sur un fond jaune : le premier porte une armoirie de gueules au franc canton d’hermine (armoirie 1), l’autre un écartelé d’hermine et de gueules (armoirie 2) (Vacquer, Paris, BHVP, ms. 237, f. 9r et 16v : Garrigou Grandchamp 2009, p. 153).
Si la forme de l’écu et sa représentation « réaliste », suspendu à une guiche, témoignent de la datation médiévale de ces éléments, ces armes ne trouvent toutefois pas de comparaisons possibles dans l’héraldique de la famille d’Harcourt, qui portait de gueules à deux fasces d’or (Paris, Archives Nationales, ms. AE I 25, no./MM 648, p. 18 ; Paris, BnF, ms. Fr 24920, f. 41r). Même si Lenoir mettait en doute que les armoiries qu’il voyait, « de gueules, avec hermine en chef », pouvaient appartenir aux Harcourt (Lenoir 1852-53, p. 419), nous pensons plutôt, avec Christian de Mérindol et Pierre Garrigou Grandchamp, qu’au milieu du XIXe siècle les armoiries avaient pu perdre en partie leurs couleurs d’origine et que, par conséquent, la lecture qui en avait été fournie était vraisemblablement incorrecte (Garrigou Grandchamp 2009, p. 152 et 158, note 105).
Vacquer, Hotel d’Harcourt, détail d’un écusson armorié. BHVP,Papiers Vacquer, ms. 237, f. 9r (d’après Grandchamp 2009).
Il est donc plausible que le premier écu (armoirie 1) portait les armes d’Harcourt brisées avec un franc canton d’hermine, typique de l’héraldique des cadets dans la France du Nord, les Pays-Bas et l’Angleterre. D’après les sources érudites, il paraît en effet que cette brisure avait été régulièrement adoptée dans la famille : François d’Harcourt, nommé comte de Pembrok par Richard II d’Angleterre, aurait porté de gueules à deux fasces d’or, au franc canton d’hermine (De la Roque 1662, t. 2, p. 1945), tout comme Saher d’Harcourt († 1278) (ibid., p. 1958) et Mathieu de Bouquetot (ibid., p. 2009). D’après Ch. de Mérindol, l’écu jadis visible dans l’Hôtel d’Harcourt serait donc à attribuer à Jean II d’Harcourt, dit le Preux († 1302), qui, troisième dans la lignée, aurait brisé de cette manière les armes familiales avant la mort de son frère ainé Richard en 1269 (après cette date il adoptera le lambel : Garrigou Grandchamp 2009, p. 158, note 105). Il nous semble toutefois difficile que la deuxième armoirie signalée par Théodore Vacquer portait la même composition (armoirie 2). Sauf erreur grossière de sa part (ibid., p. 158, note 105), qui surprendrait en raison de la nature très détaillée et précise de ses relevés, nous pouvons en effet présumer qu’il avait réellement aperçu des traces d’hermine à la fois dans la partie supérieure et dans celle inférieure de l’écu. Il sera donc intéressant de noter qu’une branche de la famille, celle des comtes de Beaumesnil, portait de gueules à deux fasces d’hermine depuis la fin du XIIIe siècle (Racineshistoire ; Garrigou Grandchamp 2009, p. 153). Le cycle armorié, que l’on peut donc dater entre 1256 et 1269 (ibid.), visait-il donc à mettre en valeur le lignage d’Harcourt dans son ensemble ? Il est hélas impossible à dire, les éléments à notre disposition étant insuffisants pour fournir une interprétation solide.
Th. Vacquer, Hotel d’Harcourt, détail d’architectures avec écusson armorié. Paris, BHVP, Papiers Vacquer, ms. 237, f. 16v (d’après Grandchamp 2009).
Nous pouvons en revanche affirmer que ces présences héraldiques, surement à l’origine bien plus nombreuses, participaient à la mise « en couleurs » d’une salle qui était totalement peinte. L’embrasure d’une baie portait en effet encore des traces de peintures jaune, alors que les feuillures étaient peintes en rouge (Garrigou Grandchamp 2009, p. 140). Au premier étage, la grande salle (avec une surface de plus de 120 m2 : ibid., p. 149) présentait elle aussi un décor somptueux : le pavement était vraisemblablement couvert par un carrelage vernissé caractérisé aussi par des motifs héraldiques (fleurs de lys) et pseudo-héraldiques (fasces vivrées) propres au répertoire ornemental de l’époque (dont Th. Vacquer donne une image : Paris, INHA, cité par Garrigou Grandchamp 2009, p. 144 et fig. 29) ; les vitraux des fenêtres étaient colorés (un fragment de verre bleu est décrit par Vacquer : ibid., p. 142) ; les remplages des baies étaient totalement peints, à l’intérieur comme à l’extérieur, en jaune, bleu et rouge (ibid., p. 143), tout comme le profil des roses de pignon (ibid.). Les espaces résidentiels (chambres et salles) et la chapelle de palais, situés au premier étage du corps de bâti oriental, exhibaient enfin une ornementation peinte assez riche (Th. Vacquer, Paris, INHA, cit. par Garrigou Grandchamp 2009, p. 145-146).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Paris, Hôtel d’Harcourt, https://armma.saprat.fr/monument/paris-hotel-dharcourt/, consulté
le 10/11/2024.
Bibliographie sources
Paris, Archives Nationales, ms. AE I 25, no./MM 648, Armorial Le Breton (éd. E. de Boos et alii, L’armorial Le Breton, Archives Nationales de France, Paris 2004).
Paris, Bibliothèque historique de la ville de Paris (BHVP), Papiers Vacquet, ms. 237.
Paris, Bibliothèque INHA, Fonds de dessins d’Albert Lenoir, boîte IV, OA 716. Edifices civils et militaires.
Paris, BnF, ms. Fr 24920, Armorial du héraut Navarre.
Bibliographie études
De la Roque, Gilles-André, Histoire généalogique de la maison de Harcourt, Paris 1662.
Garrigou Grandchamp, Pierre, « L’Hotel des seigneurs de Harcourt à Paris. Une résidence aristocratique de la fin du XIIIe siècle », Bulletin Monumental, 167, 2009, p. 127-158.
Garrigou Grandchamp, Pierre, « Les demeures parisiennes », dans E. Hamon, V. Weiss (dir.), La demeure médiévale à Paris, Paris 2012, p. 140-149.
Lenoir Albert, « Rapport de M. Albert Lenoir … sur les découvertes produites par les récents travaux de construction et les percements de rues nouvelles exécutés à Paris », Bulletin du Comité de la langue, de l’histoire et des arts de la France, Paris 1852-1853, t. 1, p. 413-421.
Le Roux de Lincy, Antoine, Histoire de l’hôtel de ville de Paris, suivie d’un essai sur l’ancien gouvernement municipal de cette ville, Paris, 1846a.
Le Roux de Lincy, Antoine, « Recherches sur les propriétaires et les habitants du Palais des Thermes et de l’Hôtel de Cluny », Mémoires de la Société nationales des antiquaires de France, 18, 1846b, p. 23-62.
Mérindol, Christian de, Images du royaume de France au Moyen Âge. Décors monumentaux peints et armoriés. Art et histoire, Pont-Saint-Esprit 2013