Premier couvent des Minimes de Passy à avoir été fondé au nord de la Loire, cet établissement religieux fut bâti sur un terrain que Jean de Morhier, chambellan de Charles VIII, avait donné aux religieux en août 1493. Malgré le soutien du roi, les travaux de construction de l’église n’avancèrent pas assez rapidement et en 1496 Jean de Morhier réclama la restitution de son terrain, comme l’acte de donation le prévoyait dans le cas où le chantier n’aurait pas été terminé à cette date (Bos 2003, p. 306). La reine Anne de Bretagne intervint à ce moment. D’un côté, elle céda aux Minimes une propriété des ducs de Bretagne dont elle avait hérité (Millin 1791, p. 13). De l’autre elle racheta le terrain de Jean de Morhier et le donna aux Minimes, qui purent ainsi reprendre les travaux de construction du couvent dont seul le chœur avait été probablement bâti à cette date (Bos 2003, p. 306). Cette donation sera confirmée la même année par Charles VIII et par Louis XII en 1499 et 1502 (Wilson-Chevalier 2007, p. 28, note 70). En 1507, Etienne de Poncher, évêque de Paris consacra le maître-autel et quatre autres autels de l’église (ibid.), signe que le chantier avait bien avancé. En 1520 le chapitre général de l’ordre eut lieu dans ce couvent (Millin 1791, p. 14), dont la construction ne fut toutefois complétée que vers 1560 (Krakovitch 2010, p. 230). Sur un plan à une nef flanquée de chapelles latérales et terminée par une abside à trois pans, l’église fut démolie en 1796, tandis que différentes manufactures s’installèrent dans les bâtiments conventuels, qui furent finalement abattus en 1876.
Paris, couvent des Minimes de Chaillot, façade de l’église (Millin 1791).
Il a été estimé qu’en 1507 seulement le chœur, l’avant-chœur et la première travée de la nef avaient été achevés (Krakovitch 1989, p. 55), alors que la façade occidentale avec son portail aurait été bâtie avant 1524. À cette date les Minimes reçoivent en effet en don un terrain situé « devant la porte de l’église dud(it) couvent de Nygeon » (Bos 2003, p. 306 et note 6). L’étude du riche décor héraldique et emblématique du portail permet toutefois de préciser la date de construction de cette partie de l’édifice, qu’il faut probablement reculer de quelques années.
Le portail, connu par deux planches publiées par Millin (1791, pl. XII-1/2), était encadré par deux hautes colonnes corinthiennes montées sur des piédestaux. Le trumeau était formé par un piédestal portant deux colonnettes soutenant une statue de François de Paule, fondateur de l’ordre (ibid., p. 15). Le dais qui surmontait la sculpture était orné d’un bas-relief représentant l’Annonciation de la Vierge (ibid., pl. XII-2). Les clefs d’arc des deux portes d’entrée étaient timbrées de deux écussons armoriés (armoiries 1-2). D’après la gravure publiée par Millin, ils semblent porter l’un les armes de France moderne (armoirie 1), l’autre – mais le détail est rendu de manière assez approximative – celles de Bretagne. Tous les deux timbrés d’une couronne, ils documentaient de la protection que le roi et la reine avaient concédé à l’établissement religieux.
Au-dessus, l’architrave était séparé de l’entablement par un imposant fronton encadré de consoles, qui était sculpté en son centre de trois écus. Ils portaient, dans l’ordre, les armes écartelées de France et de Jérusalem (armoirie 3), de France-Bretagne (armoirie 4) et de France (armoirie 5). Le relief était accompagné par une inscription qui célébrait la reine et ses deux époux : « Annae felicis monimenta britannica fulgent / Octavi et Karoli et Lodoici lilia regum / Quorum animas sanctis precibus perducat ad astra / Christus, qui vivis rex est, iudexque sepultis » (Millin 1791, p. 16).
Paris, couvent des Minimes de Chaillot, détail du portail (Millin 1791).
Si dans le dessin général de la façade les armes d’Anne de Bretagne sont placées comme d’habitude à la senestre des armes du roi, auquel est attribuée la place d’honneur, nous noterons que dans le détail du fronton, ces sont les armes de la reine à figurer, de manière inaccoutumée au centre, encadrées par celles de ses deux époux successifs, les rois Charles VIII (1483-1498) et Louis XII (1499-1515). Nous savons que le premier adopta un écu aux armes écartelées de France et de Jérusalem, à la mort de Ferdinand Ier de Naples en 1494, quand il prit le titre de roi de Naples et de Jérusalem (Mérindol 1995). Cette armoirie est représentée, dans la forme d’un écartelé de France ancien (à savoir, un semé de fleurs de lys) dans deux manuscrits ayant appartenu à Charles VIII : un livre d’heures daté vers 1494-1495 (New York, Pierpont Morgan Library, ms. 250, f. 13v) et dans un exemplaire de la Couronne de Justice, enluminé par Jean Bourdichon en 1494 (Paris, BnF, ms. Fr. 5080, contre plat sup.). Un écu de France accompagné par un écartelé de France moderne et de Jérusalem était en revanche représenté « devant le chasteau » d’Amboise d’après un dessin de Peiresc (Carpentras, Bibl. Inguimbertine, ms. 1776, f. 294) (Mérindol 1995).
Devrions-nous en conclure que le premier écu (armoirie 3) reproduisait les armes portées par Charles VIII et que le portail avait été donc réalisé peu après sa mort ? C’est possible. Nous noterons tout de même que le dessin reproduit par Millin manquait de précision dans le relevé de cette armoirie, que Millin identifiait à tort comme de Lorraine (Millin 1791, p. 16). Elle présente en effet au premier quartier les armes de France moderne (à trois fleurs de lys), mais au quatrième celles de France ancienne (un semé de fleurs de lys). Nous ne pouvons donc pas exclure que, à l’origine, cet écusson portait plutôt l’écartelé d’Anjou et de Jérusalem que les deux souverains ont utilisé en tant que rois de Naples (Mérindol 1995). Ce sont en effet ces armes qui étaient tenues par un ange sur le tombeau de Charles VIII jadis à Saint-Denis (Oxford, Bodl. Library, Gough drawings Gaignières 2, f. 48 : Collecta) et qui étaient également reproduites sur la plaque de cuivre suspendue à la grille du chœur à proximité de la sépulture (Paris, Bnf, dép. est. et photo, RESERVE PE-11C-FOL, f. 97 : Collecta). Les mêmes armes avaient été utilisées également par Louis XII, comme le prouve la bulle d’or datée d’avant 1503 (Paris, BnF, Dép. monnaies et médailles : Pastoureau 1981 ; Dhénin 2002) : le roi y est représenté en majesté habillé d’une robe fleurdelisée et du collier royal, sur un champ parti de France et d’Anjou-Jérusalem (les mêmes armes sont reproduites sur le revers, timbrées d’une couronne, et entourées, respectivement, des colliers de l’Ordre de saint Michel et du Croissant). En 1503 Louis XII modifia cette armoirie en remplaçant le semé par trois de fleurs de lys en imitation des armes de France (Pastoureau 1981, p. 6).
Relief héraldique, Paris, couvent des Minimes de Chaillot (Millin 1791).
Dans les deux hypothèses, les écussons qui encadraient (ou précédaient) les armoiries de la reine pouvaient sa rapporter à ses époux successifs, jouant sur une ambiguïté assumée rendue explicite par l’inscription qui les accompagnait. Dans le relief, d’autres éléments emblématiques manifestaient l’identité des deux souverains. Une Vierge de pitié, réalisée en ronde bosse, était placée au centre du fronton et en partageait la composition, sur un fond parti semé de fleurs de lys (à dextre) et d’hermines (à senestre), figurant vraisemblablement les armes de la reine. D’une part et d’autre de la Vierge et du Christ mourant étaient également sculptés les chiffres et les emblèmes des deux rois. À gauche (dextre), le K couronné et l’épée couronnée tenue par une main autour de laquelle s’enroulait probablement une palme sont des devises de Charles VIII ; à droite (senestre), un L accompagné par deux animaux ailés – sans doute des porcs-épics, probablement couronnés, qui ont été mal interprétés par l’artiste qui a réalisé le dessin – sont des devises de Louis XII.
Il en résulte que la construction du portail, probablement voulu par Anne de Bretagne, se situerait donc entre le 8 janvier 1499 (date du mariage de Louis XII avec Anne de Bretagne), et la mort d’Anne en 1514 ou, au plus tard, de celle de Louis XII, en janvier 1515 (Hamon 2007, p. 49 ; Bardati 2013, p. 98). La présence des armes écartelé Anjou-Jérusalem associées à celles de France et aux devises de Louis XII permet toutefois de préciser davantage l’époque de construction de cette partie de l’église, surement à attribuer aux premières années du siècle. Nous pouvons en effet présumer que ces armes (dans la forme d’un écartelé soit Anjou-Jérusalem, soit France-Jérusalem), adoptées par Charles VIII, ont été utilisées par Louis XII seulement entre le 11 novembre 1500 et septembre 1504, quand celui-ci portait les titres de roi de France, de Naples, de Jérusalem et de duc de Milan (Dhénin 2002, p. 109). Dans l’hypothèse des armes de France moderne à trois fleurs de lys dans l’armoirie écartelée de Naples à gauche, la fourchette chronologique pourrait être resserrée davantage aux années 1504-1505.
Bulle d’or de Louis XII (Paris, BnF).
Il faut remarquer qu’une entrée du couple royal dans la capitale en 1504 donna lieu dans l’église à la célébration d’une messe en son honneur (Bardati 2013, p. 97). Cet événement aurait pu justifier d’une campagne énergique d’achèvement de l’édifice, dont le point d’orgue aurait été l’édification d’un portail pourvu d’un somptueux décor emblématique. Daté donc des années 1500-1504, ce portail constitue une manifestation aussi précoce que somptueuse d’adhésion au canon formel de la Renaissance italienne, pour laquelle a été avancé le nom de Dominique de Cortone, dit Boccador (Hamon 2007, p. 49). Cet aspect est confirmé par l’ornementation du fronton qui complétait le portail, surmonté par trois statues. Au milieu se trouvait un personnage nu (un enfant d’après Millin 1791, p. 16) tenant une tête de mort sous le pied droit et, avec la main gauche, un bouclier. Celui-ci était chargé d’ « une croix enlacée d’une couronne d’épine » (ibid.) (armoirie 6), image strictement apparentée à celle que l’on voit encore sur un écusson soutenu par deux anges, aujourd’hui conservé au Musée Carnavalet de Paris (inv. AP 142, vers 1400), mais provenant de l’église des Célestins. A ses côtés, sur les rampants, étaient placés deux autres personnages masculins, s’appuyant eux aussi, avec une attitude mélancolique, sur une tête de mort et tenant un crâne dans la main.
Tombeau de Françoise de Veni d’Abouze dans l’église du Couvent des Minimes de Chaillot à Paris (Paris, BnF : Collecta).
A l’intérieur de l’église se trouvaient plusieurs sépultures dont nous avons connaissance grâce aux descriptions des érudits et à quelque relevé. Nous citerons seulement la plus ancienne, celle de Françoise de Veyny d’Arbouze († 1507 : Racinesethistoire), épouse d’Antoine du Prat, chancelier de France. Le tombeau, fait réaliser par son fils Guillaume, évêque de Clermont, était placé dans la chapelle Sainte-Marthe (Millin 1791, p. 18-19 et pl. XII-3). Un dessin de la collection de François Roger de Gaignières permet d’en connaître l’aspect (Paris, BnF, dép. est. et photo, RESERVE PE-11-FOL, f. 95 : Collecta). Dans un encadrement orné de tête de mort et surmonté d’un relief présentant la résurrection des défunts à la fin des Temps, était placé le portrait en ronde bosse de la défunte, agenouillée devant un prie-Dieu orné de ses armes (armoirie 7), aux pieds d’une statue de la Vierge à l’Enfant installée sur une colonne. Des écussons aux armes plaines des Du Prat étaient en revanche représentés dans l’encadrement supérieur de la tombe (armoiries 8a-b). Posés sur une crosse, ils appartenaient sans doute à Guillaume, qui avait commandait l’oeuvre.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Paris, couvent des Minimes de Chaillot (église), https://armma.saprat.fr/monument/paris-couvent-des-minimes-de-chaillot/, consulté
le 09/10/2024.
Bibliographie études
Bardati, Flaminia, « Anne de Bretagne bâtisseuse : identité et mémoire », dans S. Frommel, J. Dumas (dir.), Bâtir au féminin ?, Paris 2013, p. 91-102.
Bos, Agnès, Les églises flamboyantes de Paris, XVe-XVIe siècles, Paris 2003.
Dhénin, Michel, « La « bulle » d’or de Louis XII, roi de France, de Naples et de Jérusalem, duc de Milan », Bulletin de la Société française de numismatique, 2002, p. 107-110.
Hamon, Etienne, « Un aspect du renouveau de la production dans le Paris de l’époque flamboyante : les artistes étrangers entre « gothique international » et seconde Renaissance (vers 1430-vers 1520) », dans M.-C. Chaudonneret (dir.), Les artistes étrangers à Paris. De la fin du Moyen Âge aux années 1920, Paris 2007, p. 33-54.
Krakovitch, Odille, « Le couvent des Minimes de Passy », Paris et l’Île-de-France. Mémoires, 40, 1989, p. 37-112.
Krakovitch, Odille, « L’architecture des trois couvents minimes de Paris », dans Saint François de Paule et les Minimes : en France de la fin du XVe au XVIIIe siècle, 2010, p. 229-248.
Mérindol, Christian de, « L’imaginaire du pouvoir à la fin du Moyen Âge. Les prétentions royales », dans J. Blanchard (dir.), Représentation, pouvoir et royauté à la fin du Moyen Âge, actes du colloque (Angers 1994), Paris 1995, p. 65-92.
Millin,Aubin-Louis, Antiquités nationales ou recueil de monuments pour servir à l’histoire générale et particulière de l’empire françois, t. 2, Paris, Drouhin, 1791.
Pastoureau, Michel, « Médaille ou sceau ? Note sur une prétendue bulle d’or de Louis XII », Bulletin de la Société française de numismatique, 1981, p. 4-6.
Wilson-Chevalier, Kathleen, « Introduction », dans Ead., E. Pascal (dir.), Patronnes et mécènes en France à la Renaissance, Saint-Etienne 2007, p. 7-42.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Paris, couvent des Minimes de Chaillot (église). Armoirie roi de France (armoirie 1)
D'(azur) à trois fleurs de lys d'(or).
Timbre : une couronne.
Attribution : Louis XII roi ; Roi de France
Position : Extérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Façade
Emplacement précis : Portail ; Porte
Support armorié : Clef de la porte
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Paris, couvent des Minimes de Chaillot (église). Armoirie Charles VIII ou Louis XII (armoirie 3)
Écartelé : aux 1 et 4, d'(azur) à trois ? fleurs de lys d'(or) (France) (alias, d’azur à trois ? fleurs de lys d’or au lambel de gueules brochant en chef : Anjou) ; aux 2 et 3, d'(argent), à la croix potencée d'(or), cantonnée de quatre croisettes d'(or) (Jérusalem).
Timbre : une couronne.
Collier d’ordre : ordre du Croissant ?
Attribution : Roi de Naples ; Louis XII roi ; Charles VIII roi
Position : Extérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Façade
Emplacement précis : Portail
Support armorié : Relief
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Paris, couvent des Minimes de Chaillot (église). Armoirie Françoise de Veyny (Vayny) d’Arbouze (armoirie 7)
Mi-parti : au premier d’or à la fasce de gueules, accompagnée de trois trèfles de sinople (Du Prat), au deuxième d’or à une fleur de lys d’azur accompagnée de deux dauphins de sable en chef (Veyny ?).
Attribution : Veyny d’Arbouze Françoise de
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chapelle latérale
Emplacement précis : Mur
Support armorié : Architrave ; Tombeau
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue