Le collège de Navarre fut fondé en 1305 par Philippe le Bel par l’intermédiaire de son épouse, Jeanne Ière de Navarre († 1305) (Gorochov 1997). Dans son testament la reine légua son hôtel, une des plus belles demeures aristocratiques parisiennes de l’époque située à proximité du couvent des Augustins, pour faire construire une structure destinée à accueillir les étudiants qui provenaient de la province ibérique (Paris, AN, J 403, num. 162 : Telma). La première pierre de l’édifice, qui s’élevait en rue de la Montagne Sainte-Geneviève, fut posée en 1309 (Gorochov 1997, p. 154). Loin d’être le fruit d’une action d’évergétisme désintéressée ou animée par l’amour pour les lettres, la création de ce collège répondait aux exigences d’une administration dont le développement nécessitait un personnel de plus en plus nombreux et formé (Perraut 2009, p. 59-60). Dans les années suivantes, l’explosion des fondations de collèges séculiers, dont de nombreux par des conseillers ou des proches du roi (cf. le collège royal de Bourgogne, crée par l’épouse de Philippe V), fut liée « à la volonté royale de multiplier ces établissements afin d’exercer un contrôle sur le recrutement des serviteurs d’Etat » (ibid., p. 119). La fondation des collèges permet donc à la couronne d’activer un contrôle de plus en plus fort et rapproché sur l’université et de s’impliquer davantage dans la gestion de la corporation universitaire. En ce qui concerne plus directement le collège de Navarre, l’intervention directe du roi dans sa création se manifeste également par la célébration, dans sa chapelle, du culte de saint Louis, canonisé seulement quelques années auparavant, en 1297. Il ne faut pas oublier qu’un autre roi, Charles V, fera instaurer en 1369 le culte universitaire à saint Louis en signe explicite de la domination du pouvoir royal sur l’institution (ibid., p. 60).
François-Nicolas Martinet, Le college de Navarre, dans Description historique de Paris et de ses plus beaux monuments, t. 3, Paris 1781.
Formé par de différents corps de bâtiment organisés autour d’une cour, le collège de Navarre était doté justement d’une chapelle, construite en 1309-1315 sur un plan inspiré de la Sainte-Chapelle mais consacrée seulement en 1373, et d’une bibliothèque qui occupait le premier étage d’un bâtiment édifié à la fin du XVe siècle (Forstel 2019 : Menestrel). Supprimé à la Révolution et occupé par l’Ecole Polytechnique en 1804, le collège fut progressivement démoli à partir de 1811, quand le bâtiment faisant fonction d’entrée fut abattu, et jusqu’au début du XXe siècle. Malgré la perte de tout vestige matériel, les bâtiments qui formaient le collège sont en parti connus par les sources indirectes, notamment iconographiques, et par de rares fragments architecturaux. Les dessins reproduisant la façade du corps de bâtiment sur rue et les relevés réalisés par Louis Boudan, à la fin du XVIIe siècle, des sculptures qui y apparaissaient sont aujourd’hui essentiels pour avoir une idée du programme, iconique et héraldique, qui était déployé à cet endroit.
Le décor sculpté de la façade sur rue du collège célébrait le rôle du couple royal dans la fondation de l’institution. Adoptant une solution que l’on retrouve dans d’autres œuvres monumentales parisiennes liées au patronage de différents membres de la maison royale (voir la chapelle Saint-Yves, par exemple), deux niches situées d’une part et d’autre du portail d’entrée abritaient les statues des fondateurs. Elles étaient accompagnées par des inscriptions en l’honneur du personnage représenté plus en haut, ajoutées, comme on le verra tout de suite, au XVIe siècle. Dans sa niche, Jeanne, légèrement tournée vers la gauche, présentait la maquette de l’édifice, tandis que Philippe, qui regardait devant soi dans une attitude plus hiératique, devait vraisemblablement tenir à l’origine un sceptre dans la main droite (nous savons que le portail de la chapelle du collège était également orné par les statues de Louis X, dans le trumeau, et de Jeanne et Philippe aux embrasements : Troche 1844, p. 198 ; Perraut 2005, p. 13).
D’après Boudan, les portraits des deux bienfaiteurs étaient soutenus par des consoles ornées de motifs héraldiques. Celle qui portait la statue de Jeanne de Navarre (Paris, BnF, dép. est. et photo., RESERVE OA-10-FOL, f. 46 : Collecta) présentait un écu aux armes parties de France et de Navarre-Champagne (celui employé par la reine également sur son sceau : Sigilla), timbré d’une couronne et soutenu par des licornes (armoirie 1). La console était surmontée par un socle (sur lequel la sculpture était fixée) reproduisant les mêmes armoiries, placées toutefois dans un ordre hiérarchique évident : les armes de France occupaient la première place, au milieu, accostées par celles de Navarre, à dextre, et par celles de Champagne, à senestre (armoiries 2a-c). De l’autre côté du portail (Paris, BnF, dép. est. et photo., RESERVE PE-11A-PET-FOL, f. 148 : Collecta), la console soutenant la statue de Philippe le Bel était ornée par un écusson aux armes de France, timbré d’une couronne et soutenu par deux cerfs ailés (armoirie 3).
La présence de ces deux tenants fournit un indice important pour la chronologie de l’ensemble sculpté. Celui-ci est d’habitude daté d’entre 1309 et 1314, année de mort du souverain, et considéré comme l’exemple le plus précoce de la pratique, par la suite courante, de représenter de leur vivant les fondateurs aux piédroits du portail des édifices qu’ils avaient fait bâtir (Baron 1998, p. 55-56). Toutefois, la présence des deux cerfs ailés nous paraît en contradiction avec cette chronologie : le cerf volant (souvent collecté d’une couronne) était en effet une devise royale qui fut initiée par Charles VI dans l’été 1382 (Hablot 2011, p. 309-310 ; Mérindol 2006, p. 128-129). Il est donc possible que le décor du portail soit, en réalité, une représentation relativement tardive, réalisée pour commémorer de façon rétrospective la fondation royale du collège. Le recours au semé de lys pour les armes de France permet, à notre avis, de resserrer davantage la fourchette chronologique. En 1376, Charles V remplaça le semé par une armoirie à trois fleurs de lys qui fut rapidement adoptée dans toutes les manifestations officielles de la royauté. L’ensemble sculpté pourrait donc dater des années 1380, au début du règne de Charles VI.
Si les sculptures des deux souverains et les consoles sur lesquelles elles reposent sont bien médiévales, le reste du programme sculpté que l’on voit dans les gravures reproduisant l’entrée du collège avant sa démolition était le résultat d’un réaménagement tardif, datant vraisemblablement de l’époque de François Ier. Charles Nicolas Halmagrand affirme en effet – hélas sans citer ses sources – que François Ier « avait fait construire, en 1536, le grand portail du collège de Navarre, sur la rue » et avait fait placer les statues du couple royal et de la Vierge dans trois niches « toutes accompagnées d’inscriptions latines » (Halmagrand 1845, p. 182 ; voir aussi Gady 1998, p. 158). Il s’agit sans doute des inscriptions en capitales susmentionnées accompagnant les sculptures de Jeanne de Navarre et Philippe le Bel et d’une troisième, placée « sur le portail » (vraisemblablement entre le portail et la statue de la Vierge à l’Enfant), sur laquelle on pouvait lire « Dextra potens, lex aequa, fides, tria lilia regem / Francorum, Christo principe, ad astra ferent » (Corrozet 1561, f. 60v ; Corrozet- 1577, p. 102 ; Du Breul 1639, p. 495) – sentence qui faisait allusion de toute évidence à l’armoirie royale, dans un esprit purement humaniste – et l’expression « Vive le roy » en quatre langues (hébreu, grec, latin et français) (Corrozet 1561, f. 60v qui cite également une autre inscription biblique, toujours faisant référence aux armes du roi : « dilectus meus pascitur inter lillia » placée « subz l’image de la Vierge Marie »).
Gilles Corrozet semble d’ailleurs faire lui aussi allusion, en 1561, à des travaux récents d’aménagement de l’entrée du collège quand il affirme que la porte était « de nouveau bastie » (Corrozet 1561, f. 60v). Il est difficile aujourd’hui de définir la nature de ces travaux qui, outre la réalisation des inscriptions susmentionnées, avaient sans doute concerné l’aménagement des niches abritant les statues des souverains : le dais qui protège les sculptures avait en effet une forme typique de la Renaissance, notamment en raison de la présence de la coquille, élément dérivé de l’ornementation classique apparu, dans l’art monumentale française, au début du XVIe siècle. Le réaménagement du portail pourrait donc avoir été imposé par l’annexion, à partir de 1514, de nouvelles maisons pour loger les étudiants de plus en plus nombreux (Compère 2002, p. 281 ) dont quelques-unes étaient justement situées « depuis la grande porte jusqu’au carrefour de Sainte-Geneviève »(Paris, BnF, ms. Fr. 18812, f. 44r).
De cette période pourraient donc dater également les autres éléments héraldiques émaillant la façade du collège, que nous connaissons par le biais de relevés anciens. Une lithographie de François-Nicolas Martinet (Poncelin, Martinet 1781, pl.) permet ainsi d’établir qu’un semé de fleurs de lys ornait le tympan du portail et que, à la droite de la statue du roi, juste au-dessus de la toiture mise à protection de l’entrée d’un magasin, avait été fixé un relief présentant un écu à trois fleurs de lys, couronné, flanqué par deux dauphins et surmontant une salamandre, devise de François Ier (armoirie 4) (s’agirait-il des armes de François de France, fils du roi et dauphin, mort en 1536 ?). Cet élément héraldique est reproduit, à quelques détails près, également dans la reconstruction de l’entrée du collège réalisée par Nousveaux et Pernot en 1848 (Canopé, inv. 1979.33233). D’après cette lithographie, deux dauphins affrontés étaient représentés au milieu du tympan du grand portail, tandis qu’un autre écu aux armes du roi (trois fleurs de lys) était sculpté sur la console soutenant la statue de la Vierge à l’Enfant, dans la niche située juste au dessus du portail d’entrée (armoirie 5).
Fragment de colonne fleurdelisé. Paris, Musée Carnavalet (jadis, Paris, collège de Navarre).
Les fragments architecturaux survécus aux démolitions de ces bâtiments sont rares. Nous mentionnerons les trois fragments de pilier à nervures prismatiques torses, conservés au Musée Carnavalet (inv. AP 235). Retrouvés en rue de la Montagne-Sainte-Geneviève (à l’ancien numéro 37), sur le site déjà occupé par le Collège de Navarre, lors des fouilles commencées en 1935 pour agrandir l’Ecole polytechnique (Willesme 1979, p. 176, num. 130 ; Hammon 2008, p. 416), ils sont ornés de fleurs de lys (et d’une couronne ?) sculptées en relief et à l’origine colorées : au moment de la découverte, les colonnes portaient en effet encore des traces de couleurs azur (les fûts) et or (les lys) (Willesme 1979, p. 176, num. 130). Il est difficile de dire d’où proviennent ces pièces datant de la fin du XVe siècle (ibid.). Nous n’avons pas pu trouver trace, en revanche, d’un autre élément armorié trouvé dans les décombres des édifices détruits dans l’été 1905. Il s’agissait d’une pierre formant le linteau d’une porte, ornée d’un écusson aux armes de Philippe le Bel et de Jeanne de Navarre (armoirie 6). La pièce avait été plus précisément trouvée enfouillée dans les remblais subjacents aux fondations de l’ancien cloître (Pinet 1905, p. 161), démoli, paraît-il, en deux moments, en 1811 et en 1836 (Troche 1844, p. 195).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Paris, collège de Navarre, https://armma.saprat.fr/monument/paris-college-de-navarre/, consulté
le 16/10/2024.
Bibliographie sources
Corrozet, Gilles, Les antiquitez, histoires et singularitez excellentes de la ville, cité et université de Paris, Paris 1561.
Corrozet, Gilles, Bonfons, Nicolas, Les antiquitez, histoires, chroniques et singularitez de la grande et excellente cité de Paris, Paris 1577.
Paris, BnF, Département des Estampes et de la photographie, RESERVE OA-10-FOL, f. 46.
Paris, BnF, Département des Estampes et de la photographie, RESERVE PE-11A-PET-FOL, f. 148.
Paris, BnF, ms. Fr. 18812, Fondations, biens et revenus des collèges de Paris (vers 1639).
Poncelin de La Roche-Tilhac, Jean-Charles, Martinet, François-Nicolas, Histoire de Paris et description de ses plus beaux monuments, dessinés et gravés en taille douce, t. 3, Paris 1781.
Bibliographie études
Baron, Françoise, « Sculptures », dans L’art au temps des rois maudits : Philippe le Bel et ses fils, 1285-1328, catalogue de l’exposition (Paris 1998), Paris 1998, p. 52-57.
Compère, Marie-Madeleine, « Navarre », dans Les collèges français 16e-18e siècles. Répertoire 3, Paris 2002, p. 279-301.
Gady, Alexandre, La montagne Sainte-Geneviève et le Quartier latin : guide historique et architectural, Paris 1998.
Gorochov, Nathalie, Le collège de Navarre, de sa fondation (1305) au début du XVe siècle (1418). Histoire de l’institution, de sa vie intellectuelle et de son recrutement, Paris 1997.
Hablot, Laurent, « Allégories religieuses et emblématique princière à la fin du Moyen Age », dans C. Heck (dir.), L’Allégorie dans l’art au Moyen Age, actes du colloque (Paris 2010), Thourout 2011, p. 307-319.
Hammon, Etienne, Un chantier flamboyant et son rayonnement. Gisors et les églises du Vexin français, Paris 2008.
Mérindol, Christian de, « De l’emblématique de Charles VI et de Jean de Berry : à propos d’un plafond peint et armorié récemment publié », Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 2006, p. 120-135
Perraut, Aurélie, « L’implication royal dans les chantiers des collèges parisiens au Moyen Âge », Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, 132, 2005, p 1-17.
Perraut, Aurélie, L’architecture des collèges parisiens au Moyen Âge, Paris 2009.
Pinet, « Découvertes archéologiques faites à l’Ecole polytechnique », Commission du Vieux Paris. Procès-verbal, 11 novembre 1905, p. 161.
Troche, N.M., « Ancienne chapelle du collège de Navarre », Revue archéologique, 1, 1844, p. 192-200.
Willesme, Jean-Pierre, Catalogues d’art et d’histoire du Musée Carnavalet, I. Sculptures médiévales (XIIe siècle-début du XVIe siècle), Paris 1979.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Paris, collège de Navarre. Armoirie Jeanne Ière de Navarre (armoirie 1)
Parti : au premier, d'(azur) semé de fleurs de lys d'(or) (France) ; au deuxième, coupé, au premier de (gueules) au rais d’escarboucle fermé et besanté d'(or) (Navarre) et au deuxième d'(azur) à la bande d’(argent) côtoyée de deux doubles cotices potencées et contre-potencées d’(or) (Champagne).
Timbre : une couronne.
Tenant : deux licornes.
Attribution : Navarre Jeanne Ière de
Position : Extérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Corps de bâtiment sur rue ; Portail
Emplacement précis : Niche
Support armorié : Console
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Paris, collège de Navarre. Armoirie Jeanne Ière de Navarre ? (armoirie 6)
(Parti : au premier, d’azur semé de fleurs de lys d’or [France] ; au deuxième, coupé, au premier de gueules au rais d’escarboucle fermé et besanté d’or [Navarre] et au deuxième d’azur à la bande d’argent côtoyée de deux doubles cotices potencées et contre-potencées d’or [Champagne]).
Attribution : Navarre Jeanne Ière de
Position : Inconnue
Étage : Inconnu
Pièce / Partie de l'édifice : Inconnue
Emplacement précis : Porte
Support armorié : Linteau de porte
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue