L’église Saint-Martin de Laon, bâtie à partir de 1124, était jadis le centre de la deuxième maison des Prémontrés, ordre fondé par Norbert de Xanten vers 1120. Les travaux de construction de l’édifice, débutés vers 1160 avec la construction du chœur, se sont terminés à la fin du XIIIe siècle par la construction de la façade occidentale. Partiellement modifiée au cours du XVIIIe siècle, elle a été endommagée par un bombardement en 1944.
Gisant de Raoul II de Coucy. Laon, église Saint-Martin.
L’église abrite plusieurs sépultures dont une en pierre de Tournai (déjà signalée et reproduite par Viollet-le-Duc 1868, ill. 31) retient notre attention (elle a été classée au titre des Monuments Historiques le 03/09/1908). Aujourd’hui placée sur le côté nord de la nef, au XVIIIe siècle elle se trouvait encore « à l’entrée de cette église sous es orgues » (Du Plessis 1728, p. 109). La représentation du défunt est singulière et desservie par une facture fruste. Le personnage figure sous une arcade trilobée, les pieds reposant sur une console, là où l’on attendrait des lions couchés, surtout pour un guerrier, mort en héros au combat qui plus est. La tête du défunt repose sur un coussin (élément qui confirme qu’il s’agit bien du couvercle d’une tombeau) ; les yeux sont grands ouverts sur l’éternité. L’homme est revêtu d’un bliaud porté sur une cotte de mailles, son épée pend à sa hanche gauche. Il présente son écu de sa main gauche, tandis que la droite est posée dessus, comme s’il voulait affirmer son identité. L’écu porte un vairé surmonté, parait-il, d’un chef : le bord supérieur se présente en effet totalement lisse, sans qu’aucune trace de bûchage ne soit visible (armoirie 1).
D’après la tradition, déjà affirmée aux XVIe-XVIIe siècles par Claude Héméré et François L’Alouëte (cités par Du Plessis 1728, p. 108) et reprise par les études suivantes, il s’agirait du tombeau de Raoul II de Coucy († 1250) (Ulauss 1862, p. 54). Personnage peu connu, qui s’intercale entre les règnes d’Enguerrand III et d’Enguerrand IV, il est le fils aîné d’Enguerrand III de Coucy (1182-1242) et de sa troisième épouse, Marie de Montmirail et d’Oisy (1192-1273), fille du bienheureux Jean de Montmirail (Tardif 1918, p. 419-420). Il succède à son père en 1242 et semble avoir sagement dirigé ses possessions. En 1246, il séjourne dans son château de Folembray et octroie à cette occasion une charte d’affranchissement à la ville de Juvigny (Vernier 1873, p. 68). Il signe également cinq chartes durant l’année 1248, avant de partir pour la croisade (Tardif 1918, p. 442). L’abbaye Saint-Martin de Laon bénéficie de ses largesses (L’Épinois 1858, p. 132). Il se marie à deux reprises. Il s’unit tout d’abord à Élisabeth, fille de Gaucher III de Châtillon (Richard, Lloyd 1992, p. XXVIII). En secondes noces, il épouse Philippa de Dammartin, elle-même veuve de Raoul de Lusignan († 1239/1240). Un enfant naît de cette union, Enguerrand, qui mourut jeune, avant 1250 (Pollock 2015, p. 145). En 1248, Raoul décide de participer à la septième croisade aux côtés de Louis IX et s’embraque. Il meurt en 1250 à la bataille de Mansourah en défendant le jeune frère du roi, le comte d’Artois (Le Dhuy 1846, p. 182). Enguerrand IV succède alors à son frère. Il fait embaumer le corps de son aîné, puis le fait inhumer à Saint-Martin de Laon (Le Dhuy 1846, p. 162), respectant ainsi le vœu de Raoul exprimé avant son départ pour la croisade (L’Épinois 1858, p. 132 ; Tardif 1918, p. 444, qui n’indique toutefois ni le souhait ni le lieu d’inhumation du cavalier).
Gisant de Raoul II de Coucy, détail. Laon, église Saint-Martin.
Au XVIIIe siècle, Tousssaint Du Plessis s’interroge pourtant déjà sur l’identité réelle du défunt, affirmant que l’écu « est chargé d’un blazon si diférent de celui des armes de Coucy, qu’on ne peut croire que ce soit ni Raoul II, ni aucun autre de cette maison » (Du Plessis 1728, p. 109). Les Coucy portaient en effet un fascé de vair et de gueules de six pièces : hors, dans l’écu tenu par les gisant des pals, plutôt que des fasces semblent séparer le vair. Les doutes de Toussaint Du Plessis paraissent en outre confirmés par les couleurs que celui-ci affirme voir sur cet écu, portant à son dire un « échiqueté de vair et d’argent, au chef d’argent » (ibid.). L’absence de toute trace de polychromie nous empêche aujourd’hui de vérifier l’exactitude des observations de l’érudit bénédictin qui, d’ailleurs, ne tenait surement pas en compte, d’un côté, le fait que les caractéristiques physiques de la pierre et la qualité modeste du sculpteur avaient pu avoir des conséquences sur la bonne réalisation de l’armoirie du défunt ; de l’autre, que les couches picturales avaient pu être altérées ou modifiées dans le temps. Il reste tout de même à comprendre la nature de ce chef (s’agissait-il d’une brisure personnelle de Raoul ?) qui ne semble pas répertorié parmi les variantes connues de l’armoirie de la famille (nous noterons qu’elle ne se trouve pas sur la coupe héraldique contemporaine de Resafa-Sergiopolis, qui porte également les armes de certaines branches cadettes de Coucy : Pinoteau 1984).
Malgré ces éléments de faiblesse, l’identification du gisant comme Raoul II de Coucy demeure à notre avis la plus probable. Les alternatives possibles nous semblent en effet encore moins solides. On pourrait y reconnaître les armes de la famille de Châtillon (de gueules, à trois pals de vair, au chef d’or), mais rien à notre connaissance ne signale un lien entre l’abbaye Saint-Martin et cette famille. Faudrait-il y voir alors les armes de la famille de Guînes, branche de celle de Coucy, qui portait un vairé (ou un vairé-contrevairé) d’or et d’azur ? On sait en effet qu’Arnould III († 1283) épousa Alix de Coucy, mais rien, là encore, ne permet d’éclairer cette hypothèse. Il en est de même pour les Montchâlons, famille descendant des Châtillon, qui auraient porté de sinople à trois pals de vair, au chef d’or (Courcelles 1831, p. 50).
Auteur : Jean-Luc Liez
Pour citer cet article
Jean-Luc Liez, Laon, église Saint-Martin, https://armma.saprat.fr/monument/laon-eglise-saint-martin/, consulté
le 16/10/2024.
Bibliographie études
Courcelles, Jean-Baptiste-Pierre, Histoire généalogique et héraldique des pairs de France, t. 11, Paris 1831.
L’Épinois, Ernest de, Histoire de la ville et des sires de Coucy, Paris 1858.
Le Dhuy, Carle, Les sires de Coucy, Paris-Lyon 1846.
Pinoteau, Hervé, « Une coupe héraldique trouvée en Syrie », Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1984, p. 155-177.
Pollock, Melissa Adair, Scotland, England and France after the loss of Normandy, 1204-1296, Woodbridge 2015.
Richard, Jean, Loyd, Simon (dir.), Saint Louis, Crusader king of France, Cambridge-Paris 1992.
Tardif, Joseph, « Le procès d’Enguerran de Coucy », Bibliothèque de l’École des Chartes, 79, 1918, p. 5-44, 414-454.
Du Plessis, Michel Toussaint Chrétien, Histoire de la ville et des seigneurs de Coucy, Paris 1728.
Ulauss, Jérôme, Notice sur les sires de Coucy, Coucy 1862.
Vernier, Arthur, Histoire de Folembray, Folembray 1873.
Viollet-le-Duc, Eugène, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du Xie au XVIe siècle, t. 9, Paris 1868.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Laon, église Saint-Martin. Armoirie Raoul II de Coucy ? (armoirie 1)
Fascé ? de vair et de (gueules) de six pièces, au chef de…