La cité de La Ferté-Milon, qui vit naître le grand dramaturge Jean Racine (1639-1699), possède deux églises, l’une dédiée à Saint-Nicolas (deuxième moitié du XVe siècle) et l’autre, qui nous intéresse ici, dédiée à Notre-Dame (XIIe-XVIe siècle). Cette vaste église, située non loin des vestiges du château, s’étage sur un terrain fortement en pente (Lefèvre-Pontalis 1911). Une belle série de vitraux éclaire de mille couleurs l’intérieur de l’édifice. L’un d’entre eux, situé à droite du chœur, est consacré à la Passion et à la Résurrection du Christ (Corpus vitrearum 1978, p. 159). Les donateurs de cette verrière figurent dans partie inférieure du panneau de gauche et de celui central. Agenouillés sur leurs prie-Dieu, ils sont présentés par leurs saints protecteurs et sont accompagnés, dans un troisième panneau, par leurs enfants et pas d’autres personnages plus difficilement identifiables. L’espace réservé à la famille correspond en hauteur aux deux tiers de celui destiné aux scènes historiées.
La légende qui se trouve à la base du vitrail précise le nom des donateurs (Jacques de Longueval et Jeanne de Rubempré, sa femme), celui de l’artiste – Mathieu Bléville, maître connu pour avoir travaillé entre Picardie et Champagne (Lafond 1961) – et la date d’exécution de la verrière (1528) : « Jehanne de Rubempré, dame de Bonneval, veufve de messire Jacques de Longueval, bastard de Vendôme, en son vivant chambrelain (chambellan) du roi, gouverneur de Valois, capitaine d’Arques, bailly de Vermandois, donna cette verrière en l’an mil cinq cens et XXVIII ». L’œuvre a été restaurée à l’époque moderne, comme l’indique la mention figurant, dans le troisième panneau, sous le pied du premier garçon en bas blanc : endommagée pendant le bombardement de 1918 avec une deuxième verrière consacrée à la légende de saint Hubert, elle a été remontée à la fin de la guerre (Deshoulières 1922, p. 455). Il s’agit toutefois d’intégrations limitées qui, dans aucun cas, n’ont modifié la structure de la verrière originaire (voir à ce sujet la description fournie par Lecomte 1853, p. 266 et s.). Le vitrail avait donc été commandé par Jeanne de Rubembré quelques années après la mort de son mari, Jacques de Bourbon-Vendôme (1455-1524), bâtard de Jean II de Bourbon-Vendôme, qu’elle avait épousé en 1505.
La Ferté-Milon, église Notre-Dame, vitrail de la Passion, détail de la donatrice et de son époux.
Les époux sont identifiables grâce aussi à leurs armoiries respectives, d’amples dimensions, figurant au niveau des visages. Celles de la femme sont représentées, selon l’usage, dans un écu en losange (armoirie 3), tandis que celles du mari figurent sur un écusson penché timbré qui, probablement, met en valeur son statut de chevalier (armoirie 1). Celui-ci les arbore également sur son tabard (armoirie 2) (Lecomte 1853, p. 275 et s.). Nous noterons, avec Lecomte (ibid., p. 275), que les armes de Jacques de Longueval sont ici reproduites de manière simplifiée, pour ne pas dire erronée : probablement pour des difficultés techniques, l’artiste a en effet oublié de représenter les trois lionceaux qui auraient dû charger la bande de gueules, comme nous aurions pu le voir dans le tombeau de Jacques et de sa femme jadis dans l’abbaye Notre-Dame de Longpont (Paris, BnF, Res. PE-11C-FOL, f. 124 : Collecta).
En ce qui concerne le choix du thème de la verrière de la Ferté-Milon nous remarquerons qu’il s’accorde au message d’espoir en la Résurrection voulu par Jeanne de Rubempré. Le sens de lecture débute au registre inférieur à droite et, dans son développement vertical (en direction donc de la béatitude céleste), semble illustrer une certaine chronologie. Les enfants du couple débutent le récit, suivis par leur mère, Jeanne de Rubempré, présentée par son patron, saint Jean Baptiste tandis que Jacques le Majeur assiste l’époux. Suivent les scènes bibliques : le Portement de croix évoquant les malheurs de la vie, la Crucifixion évoquant la mort et la Résurrection annonçant la vie éternelle promise aux côtés de Dieu le Père qui est représenté dans la partie supérieure de la verrière. Une Pietà et un Saint Jérôme qui médite sur la mort de Jésus figurent à ses pieds, tandis qu’à ses côtés nous trouvons deux chérubins tenant l’un la colonne de la Passion, l’autre la croix de la Crucifixion.
Auteur : Jean-Luc Liez
Pour citer cet article
Jean-Luc Liez, La Ferté-Milon, église Notre-Dame, https://armma.saprat.fr/monument/la-ferte-milon-eglise-notre-dame/, consulté
le 05/12/2023.
Bibliographie sources
Paris, BnF, réserve PE-11C-FOL, f. 124, Louis Boudan, Tombe de Jacques, bâtard de Vendôme et de sa femme Jeanne de Rubempré.
Bibliographie études
Corpus vitrearum Medii Aevi. France. Série complémentaire, vol. I, Les vitraux de Paris, de la region parisienne, de la Picardie et du Nord-Pas-de-Calais, vol. I, Paris 1978,
François, Deshoulières, « Les vitraux de Notre-Dame de La Ferté-Milon », Bulletin Monumental, 81, 1922, p. 455-456.
Lafond, Jean, « Les vitraux de Châlons-sur-Marne et de Saint-Quentin et l’œuvre de Mathieu Bléville », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, 1961, p. 21-28.
Lecomte, Maurice, « Les Vitraux de Notre-Dame de la Ferté-Milon », Bulletin de la Société archéologique, historique et scientifique de Soissons, 7, 1853, p. 265-293.
Lefèvre-Pontalis, Eugène, « La Ferté-Milon. Eglise de Notre-Dame », dans L. Demaison et al. (dir.), Guide du congrès de Reims, en 1911, Caen 1911, p. 247-249.
Massary, Xavier de, « L’architecture religieuse du XVIe siècle dans l’arrondissement de Château-Thierry », Mémoires de la Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie de l’Aisne, 61, 2016 (num. mon. Le Moyen Âge dans l’Aisne), p. 89-110.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
La Ferté-Milon, église Notre-Dame. Armoirie Jacques de Bourbon-Vendôme (armoirie 1)
D’azur à trois fleurs de lys d’or, au bâton de gueules en bande brochant (chargée de trois lionceaux d’argent), au bâton d’argent en barre brochant sur le tout.
La Ferté-Milon, église Notre-Dame. Armoirie Jacques de Bourbon-Vendôme (armoirie 2)
D’azur à trois fleurs de lys d’or, au bâton de gueules en bande brochant (chargée de trois lionceaux d’argent), au bâton d’argent en barre brochant sur le tout.
La Ferté-Milon, église Notre-Dame. Armoirie Jeanne de Rubempré (armoirie 3)
Parti : au premier, d’azur à trois fleurs de lys d’or, à la bande de gueules (chargée de trois lionceaux d’argent) et d’un bâton d’argent posés en sautoir et brochant sur le tout (Bourbon-Vendôme) ; au deuxième, d’argent à trois jumelles de gueules (Rubempré).