La Ferté-Milon était déjà une place forte lorsque Louis Ier d’Orléans (1372-1407), frère cadet du roi Charles VI, en hérite en 1393 (Lefèvre-Pontalis 1911). La ville prend place au sein des fiefs que le duc possède dans la région : Château-Thierry, Pierrefonds, Montépilloy ou encore Coucy. Louis décide en 1393 de construire une nouvelle forteresse sur les ruines de la précédente, documentée à partir de 1375 et totalement rasée en prévision du lancement du nouveau chantier. Jean Lenoir, chargé également des travaux de Pierrefonds, dirige vraisemblablement aussi la construction de La Ferté-Milon, ce qui peut expliquer l’unité de ces deux chantiers (Taburet-Delahaye, Avril 2004, p. 132-133, num. 61). Le château n’a pas été terminé, à l’instar de celui de Pierrefonds, en raison du manque d’argent et de l’assassinat du duc, à Paris, le 23 novembre 1407. L’imposante façade, qui donne la mesure des ambitions du projet originaire, est donc la seule partie qui ait été élevée : elle regarde vers Paris, ville que le duc considérait comme un danger.
L’architecture annonce les évolutions du XVe siècle et évoque davantage la résidence de plaisance plutôt qu’une austère forteresse défensive, à l’instar de celle de Méhun-sur-Yèvres, bâtie quelques années plus tôt pour le duc de Berry, ou plus encore du susmentionné château de Pierrefonds : les fenêtres larges et nombreuses qui s’ouvrent dans le mur extérieur ne sont en effet pas compatibles aux nécessités militaires. La façade, longue de cent mètres, est épurée et scandée d’une tour carrée et de trois autres à bec (Mesqui 1999, p. 84, 102). Un chemin de ronde continu était prévu, reprenant l’innovation imaginée à la Bastille de Paris (Taburet-Delahaye, Avril 2004, p. 89, num. 35).
Couronnement Vierge et linteau aux armes de Louis Ier d’Orléans. La Ferté-Milon château.
Les liens entre Pierrefonds et La Ferté-Milon ne s’arrêtent pas aux similitudes architecturales. Un même atelier de sculpteurs travailla ne effet au début du XVe siècle aux reliefs ornant les deux châteaux. Ils se caractérisent par les formes souples des drapés et l’ampleur donnée aux figures, typique du « style adouci » en vogue dans les ateliers parisiens de l’époque et qui se développe rapidement dans les cours européennes sous l’appellation de « gothique international » (Prigent 1999, p. 206). À La Ferté-Milon, cet atelier réalisa le Couronnement de la Vierge et les figures de quatre Preuses qui décorent les courtines. Sculpté en haut-relief au-dessus du portail principal, le Couronnement de la Vierge reste fidèle à la tradition byzantine montrant Marie agenouillée devant Dieu le Père. Un cortège d’anges accompagne la scène : celui-ci tient la traîne de la Vierge et cet autre, descendant des nuées, dépose la couronne sur sa tête. Le relief est taillé dans plusieurs blocs : un premier pour Dieu le Père, un autre pour Marie et les anges du cortège, un troisième pour l’ange qui vient de déposer la couronne qui fait partie du bloc principal. Sur le linteau, aux pieds des figures de la Vierge et de Dieu le Père, trois anges supportent deux écussons aux armes de Louis d’Orléans (armoiries 1a-b) : celui du centre, aux bras écartés et assis, semble vouloir présenter les deux armoiries aux spectateurs de la scène, auxquels il adresse son regard, alors que les deux autres, agenouillés, soutiennent les écus avec les deux mains. En retrait par rapport à la scène sculptée, à l’extrémité gauche de la niche, nous remarquons les fragments d’une statue, placée juste derrière le cortège d’anges. Il est séduisant d’imaginer qu’il pourrait s’agir du vestige du portrait du duc.
Preuse (dans l’encadrement : écu aux armes de Louis d’Orléans, soutenu par deux loups). La Ferté-Milon château.
Sur les tours, chaque effigie de Preuse est accompagnée d’un écu aux armes du duc (armoiries 2a-d). Les armoiries figurent à leurs pieds, sculptées en relief dans la partie inférieure de l’encadrement orné d’un motif végétal (des feuilles frisées et charnues) qui resserre la niche abritant la statue. Les supports ont cependant changé : les anges utilisés sous la scène principale ont été ici remplacés par des chiens de chasse (référence au loisir préféré des seigneurs du temps, qui pouvaient s’y adonner dans les vastes forêts du Valois) ou, plutôt, par des loups (Hablot 2012, p. 27-28). Cet animal, souvent colleté d’une clochette, évoque en effet la devise parlante (loup > Louis) de Louis d’Orléans depuis son mariage avec Valentine Visconti (1389) (ibid., p. 29-30). Le loup est utilisé aussi, en double exemplaire, comme tenant des armes du duc ainsi que nous pouvons le voir dans son exemplaire du Livre de l’information des Princes (Paris, BnF, ms. Fr. 1213, f. 1r), réalisé peu après 1392 (Avril 2001). Le duc la fit d’ailleurs représenter ces armoiries sur de nombreux objets (tels des houppelandes) qu’il donna à ses fidèles, mais l’utilisa aussi comme devise de livrée (Hablot 2011, p. 538-539 ; Lightbown 1992, p. 165 et s.), la distribuant par exemple en 1398 à des chevaliers et des écuyers de l’empereur Wenceslas (Hablot 2011, p. 539 ; Lightbown 1992, p. 260).
Il est possible que la série héraldique de la Ferté-Milon, basée sur la répétition (six fois) de l’armoirie du duc et strictement connectée au programme iconographique, était organisée sur la base d’un ordre hiérarchique établi, justement, par le diffèrent choix des supports. Les loups, emblème du duc, permettaient de personnaliser l’armoirie familiale, ajoutant aussi une dimension politique qui conviendrait au programme iconographique déployé sur la façade du château : le loup, animal qui vit en meute, paraît en effet une image à même de caractériser un chef de parti, même si elle était détournée péjorativement alors par la propagande anti-orléaniste (Hablot 2011, p. 538-539). Dans cette perspective, le recours au loup comme tenant semble bien s’adapter au thème, très en vogue dans l’art des cours de l’époque, choisi ici pour les statues ornant les niches et célébrant l’audace et la puissance ducale. Les anges tenant les écus au-dessus de la porte d’entrée du château anoblissent en revanche les armes du duc et, surtout, soulignent l’origine céleste de la fleur de lys, s’appropriant donc le discours légendaire circulant sur l’armoirie du roi (Hablot 2012, p. 27-28). L’association des armoiries au Couronnement de la Vierge n’est d’ailleurs pas sans rappeler le relief, quelque peu antérieur, ornant une porte de l’oratoire de la reine dans la chapelle du château de Vincennes où l’armoirie royale, tenue par deux anges, est mise à l’honneur entre la Vierge Marie et Dieu.
Auteurs : Jean-Luc Liez, Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Jean-Luc Liez, Matteo Ferrari, La Ferté-Milon, château, https://armma.saprat.fr/monument/la-ferte-milon-chateau/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Paris, BnF, ms. Fr. 1213, Jean Golein, Livre de l’information des princes.
Bibliographie études
Avril, François, « Le parcours exemplaire d’un enlumineur parisien à la fin du XIVe siècle. La carrière et l’œuvre du Maître du Policratique de Charles V », dans B. Fleith, F. Morenzoni (dir.), De la sainteté à l’hagiographie. Genèse et usage de la Légende dorée, Genève 2001, p. 266-282.
Hablot, Laurent, La devise, mise en signe du prince, mise en scène du pouvoir. Les devises et l’emblématique des princes en France et en Europe à la fin du Moyen Âge, thèse de doctorat, Université de Poitiers 2011, t. 2, Deviser.
Hablot, Laurent, « Des princes devenus rois. L’emblématique des ducs d’Orléans, comtes de Blois », Bulletin de la Société des sciences et lettres du Loir-et-Cher, 67, 2012, p. 25-38.
Lefèvre-Pontalis, Eugène, « La Ferté-Milon. Château », dans L. Demaison et al. (dir.), Guide du congrès de Reims, en 1911, Caen 1911, p. 249-253.
Lightbown, Ronald William, Medieval European Jewellery: with a catalogue of the collection in the Victoria & Albert Museum, Londres 1992.
Mesqui, Jean, « Châteaux et palais. Quelques exemples de palais princiers et de châteaux du XVe siècle », dans Ch. Prigent (dir.), Art et société en France op. cit.
Prigent, Christiane, « Sculpture », dans Ead. (dir.), Art et société en France au XVe siècle, Paris 1999, p. 201-248.
Taburet-Delahaye, F. Avril (dir.), Paris 1400. Les arts sous Charles VI, catalogue de l’exposition (Paris 2004), Paris 2004.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
La Ferté-Milon, château. Armoirie Louis Ier d’Orléans (armoiries 1a-b)
D'(azur) à trois fleurs de lys d'(or), au lambel d'(argent).
Tenant : deux anges.
Attribution : Orléans famille ; Orléans Louis Ier de