Bien qu’endommagée pendant les guerres de Cent Ans et de Religion, l’église Sainte-Radegonde de Poitiers conserve encore des traces importantes de ses apparats décoratifs. L’héraldique en constituait un trait fondamental. L’ornementation des colonnes du rond-point paraît le confirmer. Elle se caractérise par un mélange de figures géométriques et d’éléments que l’on dirait emprunté à l’héraldique.
Eglise Sainte-Radegonde, colonnes du rond-point avec décor héraldique.
Notamment, la première colonne à gauche de l’autel est couverte par des losanges peints contenant des armes de gueules aux trois pals de vair, au chef d’or (armoirie 1), alternées à des armes très semblables à l’exception du lambel d’azur qui charge le chef (armoirie 2). Sur la colonne juste à gauche de l’autel, les losanges multicolores sont remplis de fleurs de lis (rouges, azures ou blanches, selon la couleur du fond). La première colonne à droite est décorée par des sortes de parallélépipèdes dont la face supérieure est ornée par un gironné d’argent et de gueules(armoirie 3) et par une surface d’or plain, alors que celle principale porte des lettres T et W (cette dernière lettre est répétée sur la colonne à droite de l’autel) ; entre celles-ci trouvent place des losanges de sable portant l’une une sorte de mi-parti à la croix fleurdelisée d’argent et une queue de lion ( ?), l’autre, peut-être, une mi-figure de lion, toujours d’argent ; enfin, sur une bande verticale s’alignent, les uns sur les autres, des rectangles ornés d’un motif qui semble aussi repris à l’héraldique : on pourrait y voir une libre interprétation de l’armoirie des Coucy (fascé de vair et de gueules).
L’authenticité de ces représentations n’est toutefois pas prouvée, même si l’existence de tapisseries héraldiques peintes enrobant intégralement les colonnes d’une église est documentée (voir, par exemple, les piliers du déambulatoire devant la chapelle Saint-Nicolas dans l’église Saint-Martin-des-champs à Paris relevées par Louis Boudan pour François Roger de Gaignières : BnF, Réserve PE-11-FOL, f. 72). On sait que les peintures du chœur de l’église, datées du XIIIe siècle, ont été restaurées par Honoré Hivonnait peu après leur redécouverte définitive en 1849 (une première découverte remonte à 1836 ; Auber 1835-1837, p. 374). L’intervention provoqua de nombreuses critiques, notamment en ce qui concerne la liberté avec laquelle le peintre poitevin avait opéré (Landry-Delcroix 2012, p. 274). Il est donc plausible que cette décoration héraldique, singulière dans le panorama régional, ait été totalement inventée à cette occasion. Pourtant, dans la relation de sa visite à l’église, le baron de Guilhermy attestait que « toutes les colonnes du pourtour de l’abside [étaient] couvertes d’une décoration rubannée avec écussons » à l’époque « encore parfaitement lisible, quoique les couleurs se [fussent] ternies sous le badigeon » (l’intérieur de l’église avait été totalement badigeonnée en 1785, par décision du chapitre). Guilhermy précisait que « la restauration ne les avait pas encore atteintes » quand il les avait vues (Crozet, Clément 1941, p. 508). Il est toutefois possible que sa description concerne en réalité des restes de litres funéraires – des bandes peintes aux armes des défunts réalisées sur les murs des églises (internes ou externes) à l’occasion des cérémonies funèbres.
Eglise Sainte-Radegonde, Poitiers, chœur, coté nord, colonnes au décor héraldique.
Eglise Sainte-Radegonde, Poitiers, chœur, IInde colonne à gauche, décor aux fleurs de lis
Le peintre restaurateur a donc vraisemblablement voulu conserver le souvenir de cette décoration emblématique médiévale dans son œuvre. Les peintures vues par le baron de Guilhermy ont totalement disparu sous le pinceau d’Honoré Hivonnait, puisqu’on ne conserve aucune trace des écus dont parlait le premier. Il est toutefois possible, mais non avéré, que le peintre poitevin se soit inspiré, en les réinterprétant d’une façon personnelle, des figures héraldiques des anciennes peintures.
Une des armories répétées sur la première colonne à gauche pourrait être attribué aux Châtillon ou, moins probablement, à la famille poitevine des Archiac, qui portait plutôt deux seuls pals en vair (voir Eygun 1939, p. 179) (armoirie 1) ; l’autre (armoirie 2) pourrait être attribuée aux Blois-Châtillon qui brisaient les armes des Châtillon avec un lambel d’azur en chef. Il est plus difficile d’y voir une reprise des armes des Magnac, famille originaire du Limousin qui portait une armoirie très semblable à celle-ci mais avec deux pals de vair. Le gironné (armoirie 3) trouverait une comparaison possible dans l’armoirie des Beaumont (Armorial Le Breton, p. 23) ou, moins probablement, dans celle des Belleville, qui portaient un gironné de gueules et de vair.
Eglise Sainte-Radegonde, Poitiers, choeur, Ière colonne à droite, détail des armoiries Beaumont et Coucy.
Quoi qu’il en soit, il est difficile de voir un lien entre ces familles et la collégiale poitevine à l’époque où l’abside fut peinte, à savoir, probablement, dans la seconde moitié du XIIIe siècle (Landry-Delcroix 2012, p. 275). Les écus qui apparaissent dans la voûte du chœur, dans frise peinte juste au-dessous de la Vierge à l’Enfant et des Saints sous arcade, sont certainement le fruit de l’imagination du restaurateur poitevin : les pseudo-armoiries jouées sur l’alternance de pals, bandes, barres etc. sont disposées d’une façon artificiellement symétrique et peintes sans respect de la règle fondamentale du blason qui interdit la superposition des couleurs entres elles et des métaux entre eux.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Poitiers, église Sainte-Radegonde (chœur), https://armma.saprat.fr/monument/eglise-sainte-radegonde-poitiers/, consulté
le 07/12/2023.
Bibliographie sources
Paris, Archives Nationales, ms. AE I 25, no./MM 648, Armorial Le Breton.
Bibliographie études
C.-A. Auber, « Mémoire sur les anciennes peintures à fresques de l’église Sainte-Radegonde de Poitiers », dans Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 1, 1835-1837, p. 373-379.
F. Eygun, Sigillographie du Poitou jusqu’en 1515, Poitiers 1939.
C. Landry-Delcroix, « Les peintures murales du chœur de l’église Sainte-Radegonde de Poitiers », dans Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 5, 12, 1998, p. 109-155.
Poitiers. Sainte Radegonde , sous la dir. de R. Favreau, Poitiers 1999.
C. Landry-Delcroix, La peinture murale gothique en Poitou, XIIIe-XVe siècle, Rennes 2012.