Bâtie à quelques dizaines de mètres de la cathédrale Saint-Pierre, l’église Saint-Paul apparaît dans les documents en 924. Elle faisait partie d’un monastère masculin, dont les religieux étaient probablement en rapport avec le clergé de la cathédrale. En 1083, par l’intervention du comte Guillaume VIII, l’abbaye de Montierneuf fit l’acquisition du prieuré avec ses églises annexes (dont Notre-Dame-la-Petite). L’édifice actuel aurait été construit entre la fin du XIe et le début du XIIe siècle, mais il fut lourdement remanié au début du XVIe siècle, notamment dans la zone du chœur. Objet de réparations urgentes dans la première moitié du XVIIIe siècle, il fut vendu en 1789 comme « bien national » et, dans les années suivantes, complètement dépouillé de ses décors mobiliers et sculptés (Auber 1863), car affecté à la fonction de grange (De Chergé 1851, p. 102).
Poitiers, église Saint-Paul, façade ouest.
De l’ancien décor héraldique sculpté de l’église subsistent plusieurs fragments, dont un seul est encore en place (armoirie 8). D’autres éléments architecturaux emblematisés, cités par les sources textuelles du XIXe siècle (clefs de voûte, consoles, culs-de-lampe), ont été déposés et sont actuellement conservés dans les réserves du Musée Sainte-Croix de Poitiers (armoiries 4-5) et dans le dépôt lapidaire de l’Hôtel Fumé de l’Université de Poitiers (armoirie 6). Leur entrée dans les collections municipales coïncida probablement avec l’écroulement ou la démolition de certaines parties de l’église dans la première moitié du XIXe siècle. En effet, en 1843 la collection lapidaire de la ville de Poitiers comprenait déjà quelques pièces provenant de cette église. Il s’agissait de quatre consoles sculptées avec les animaux symboliques des évangélistes, soutenant chacun un écusson à la croix accompagné par quatre roses (armoiries 4-6). Elles furent récupérées par l’abbé Giabaut directement à l’intérieur de l’édifice, qui était sûrement déjà très endommagé à ce moment (catalogue 1843, p. 39). Puis, en 1861, M. Person donna aux Antiquaires une « clef ornée d’un écusson chargé de deux fasces vivrées » (armoirie 1) et un chapiteau roman avec deux griffons affrontés (Bulletin SAO 1861, p. 471).
Clef de voute ornée d’un écusson aux armes Chévredent. Poitiers, reserves du Musée Sainte-Croix (de l’église Saint-Paul), armoirie 1.
Enfin, il apparaît de l’inventaire de la collection de la Société des Antiquaires de l’Ouest rédigé en 1883 que d’autres pièces provenant de l’église Saint-Paul avaient été données aux collections municipales. Outre la clef de voûte ornée de l’armoirie vivrée, maintenant identifiée comme Chévredent (armoirie 1), apparaissent une deuxième « portant un agneau », une troisième avec un écu vierge (Ledain 1883, p. 520, n. 751-753) (armorie 3) et un cul-de-lampe « avec écusson tenu par un ange et représentant une portion de croix cantonnée de quatre roses » (Ledain 1883, p. 525, n. 792), qui pourrait toutefois correspondre à une des pièces déjà mentionnées dans le recensement de 1843 (armoirie 4).
Dans les réserves du Musée Sainte-Croix nous avons repéré à la fois la clef de voûte ornée par l’écusson vierge (armoirie 3) et celle aux armes des Chévredent/Chévredants (armoirie 1), qui portaient d’azur à deux fasces d’or (Gouget 1866, p. 207). Sur la base de la description de l’église de Saint-Paul fournie par l’abbé Auber en 1861 (Auber 1863, p. 25-27), on peut estimer que cette dernière pièce provenait du chœur de l’église qui, selon le récit d’« un ancien manuscrit » (Thibaudeau 1840, p. 389-390), avait été renouvelée par Jean Chévredent (Ledain 1883, p. 520, n. 752 ; Crozet 1942, p. 209, doc. 789) : maire de Poitiers en 1515, il résidait dans un logis qu’il avait fait bâtir dans la paroisse de Saint-Paul (Thibaudeau 1840, p. 389-390). Notamment, une clef de voûte aux armes de la famille avait été repérée et décrite parmi les débris de la chapelle funéraire que Chévredent avait fait faire pour soi et ses parents dans le chevet, à droite de l’autel majeur : un espace peu profond, accessible par une arcade ogivale et doté d’un autel (Aubert 1863, p. 16). La pierre n’était déjà plus en place en 1863 (ibid., p. 25-27), manifestement parce qu’elle avait été transférée au musée.
Clef de voûte ornée d’un écusson vierge. Poitiers, réserves du Musée Sainte-Croix (de l’église Saint-Paul).
Une deuxième chapelle, identique dans la forme à celle des Chévredent, s’ouvrait en face de cette dernière. Nous savons qu’elle était couronnée d’une clef de voûte aux armes de la famille Bastard (armoirie 2) (Auber 1863, p. 25-27), qui portaient d’azur à trois glands de chêne d’or (Gouget 1866, p. 202) : selon le récit d’un « registre de la ville » (Thibaudeau 1840, p. 389-390), la chapelle à gauche de l’autel avait été érigée par Jean Bastard, maire de Poitiers en 1517 (ibidem). À la fin du XVIIIe siècle, selon le témoignage d’Antoine Thibaudeau, ses armes étaient encore visibles sur la voûte (Thibaudeau 1840, p. 390; la première édition de l’oeuvre date de 1788). La pièce n’apparaît pas dans l’inventaire SAO de 1883 et il est donc plausible qu’elle ait disparu avec l’effondrement de cette partie de l’édifice. Les armoiries des deux familles indiquaient alors la propriété des chapelles et, en même temps, elles servaient à établir l’identité des bénéficiaires de certains droits qui pouvaient y être associés, notamment de sépulture et de chapellenie.
D’autres éléments sculptés avec des écus vierges, probablement bûchés à la Révolution, se trouvaient dans la même partie de l’édifice (Auber 1863, p. 16). Parmi ceux-ci, il y avait probablement la clef de voûte exposée dans la cour de la Société des Antiquaires de l’Ouest en 1883 (Ledain 1883, p. 520, n. 753) et actuellement conservée dans les réserves du Musée Sainte-Croix (armoirie 3).
Nous avons retrouvé trois des quatre culs-de-lampe aux animaux symboliques des évangélistes répertoriées en 1843 en provenance d’une chapelle latérale de l’église Saint-Paul (catalogue 1843, p. 39 ; Auber 1863, p. 26). Deux se trouvent dans les réserves du Musée Sainte-Croix de Poitiers : l’un orné d’un ange tenant un écu à la croix cantonnée de quatre roses(armoirie 4) – clairement identifiable avec celui mentionné dans le catalogue de 1883 (Ledain 1883, p. 525, n. 792) – l’autre avec un lion tenant un bouclier tout à fait identique (armoirie 5).
Cul de lampe au taureau de saint-Luc qui tient les armes des Riom. Poitiers, Université de Poitiers-SHA, Hotel Fumé (de l’église Saint-Paul. Poitiers, dépôt Musée Sainte-Croix).
Un troisième cul-de-lampe avec le taureau de l’évangéliste Luc soutenant un écu à la même armoirie (armoirie 6) a été déposé à l’Hôtel Fumé, dans les locaux de la faculté de Sciences humaines et Arts de l’Université de Poitiers, et il est actuellement conservé dans la cage d’escalier placée à l’intérieur de la partie moderne du bâtiment. Contrairement à ce que l’on a affirmé (Brillaud, Nicolini 1995, p. 32), cette pièce ne reproduit pas les armes de la famille De la Croix mais celles de la famille de Riom (Gouget 1866, p. 107, 170). Le cul-de-lampe de l’Hôtel Fumé ainsi que les autres conservés dans les réserves du Musée devaient donc appartenir à la chapelle de l’Annonciation de Notre-Dame, fondée en 1522 dans l’église Saint-Paul par Louis de Riom (ou Ryon), seigneur de Primerie et procureur général du roi en Poitou (Beauchet-Filleau 1868, p. 350). D’ailleurs, en 1789, à l’intérieur de cette chapelle, était encore visible une inscription en lettres gothiques ayant aux quatre angles l’armoirie de la famille, qui portait de gueules à la croix d’argentcantonnée de quatre roses d’or (Auber 1863, p. 27 ; Gouget 1866, p. 107. 170). La série était vraisemblablement complétée par un quatrième culot, dans lequel les armes de la famille poitevine étaient soutenues par l’aigle de saint Jean (armoirie 7).
Poitiers, église Saint-Paul, chevet, mur sud avec console deplacée aux armes des Riom.
La chapelle, qui était placée près du lion qui se trouvait à l’entrée de l’église et du cloître » (Poitiers, Archives départementales, G9 111, cité par Favreau 1978, p. 539, note 547), fut détruite entre la vente de l’édifice comme bien national et la réalisation du cadastre napoléonien en 1838. Sur la carte, l’église apparaît en effet déjà mutilée de tous ses annexes (Poitiers, Archives départementales, section K, f. 1 ).
Il est donc impossible d’en déterminer l’emplacement, le piédouche à l’armorie des Riom (33 cm de long pour 28 cm de haut) ayant été réemployé et encastré dans le mur sud de l’église (armoirie 8), à la hauteur de la première travée du chœur. Quoi qu’il en soit, ces éléments architectoniques sculptés faisaient partie d’un programme héraldique ample et cohérent qui visait à mettre en valeur la famille du commanditaire par le biais d’une sorte de sacralisation de son armoirie, portée vers le ciel par les figures symboliques des évangélistes.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Poitiers, église Saint-Paul, https://armma.saprat.fr/monument/eglise-saint-paul/, consulté
le 09/10/2024.
Bibliographie sources
Paris, BnF Fr. 20157, Recueil certain des noms et armoyries des mayres de la ville de Poitiers depuis l’an 1200, f. 165r-178v, au f. 171v.
Dom Fonteneau, t. XXXIII, p. 42.
Poitiers, Archives départementales, cadastre Napoléonien, section K, f. 1.
Poitiers, Archives départementales, G9 111.
Ancien catalogue du musée. Suppl. man., p. 76.
Bibliographie études
A.-R.-H. Thibaudeau, Histoire du Poitou. Nouvelle édition continuée jusqu’en 1789, Niort 1840.
Catalogue du Musée d’antiquités de l’Ouest à Poitiers, Poitiers 1843.
C. de Chergé, Le guide du voyageur à Poitiers, Poitiers 1851.
« Objets reçus pendant le troisième trimestre. Objets divers », dans Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, IX, 1861, p. 470.
C.-A. Auber, L’église Saint-Paul de Poitiers et son histoire, Poitiers 1863.
A. Gouget (par), Armorial du Poitou et état des nobles réservés dans toutes les élections de la généralité, Niort 1866.
H. Beauchet-Filleau, Pouillé du diocèse de Poitiers, Niort-Poitiers 1868.
B. Ledain (par), « Musée de la Société des Antiquaires de l’Ouest », dans Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, VI, 1883, p. 459-547.
R. Crozet, Textes et documents relatifs à l’histoire des arts en Poitou (Moyen âge – Début de la Renaissance), Poitiers 1942.
R. Favreau, La ville de Poitiers à la fin du Moyen Age. Une capitale Régionale, Poitiers 1978 (Mémoires de la Société de Antiquaires de l’Ouest, 4ème série, t. XIV, 1977-1978).
A. Brillaud, G. Nicolini, « Intérieur », dans Hôtel Fumé. La restauration de 1995, Ligugé 1995, p. 30-32.