L’église de Saint-Georges du Vigeant trouve son origine au XIe siècle, époque de laquelle date la clocher-porche qui s’élève en façade avec son portail orné d’un arc polylobé, d’inspiration limousine, avec des chapiteaux figurés. Si l’édifice semble avoir été remanié dès la fin du XIIe siècle (de cette époque daterait le mur sud de la nef), des travaux bien plus imposants furent réalisés au XVe siècle. Comme il arriva à un grand nombre d’édifices religieux dans la région après la fin de la guerre de Cent ans, l’église fut agrandie et adaptée aux goûts architectoniques de l’époque: la nef, auparavant unique et composée de trois travée, et le chevet furent alors couverts par des voûtes en ogive, tandis qu’un collatéral fut ajouté sur le côté nord (base Gertrude).
Le Vigeant, église Saint-Georges, intérieur, nef.
Les éléments héraldiques constituent une partie significative du décor de l’édifice et nous aident à mieux situer les travaux d’aménagement. Deux consoles armoriées (armoiries 1, 2) se trouvent à l’extérieur de l’église, encastrées dans le mur ouest du collatéral dans l’espace compris entre la petite porte en accolade (surement installée à l’occasion de la restauration de l’église aux XIXe-XXe siècles) et le corps du clocher roman. De toute évidence elles ont été récupérées de quelques autres parties du bâtiment et remployées dans la maçonnerie, dans l’espace précédemment occupé – semblerait-il – par une chapelle externe, dont il ne reste que des fragments d’un arc doubleau et le départ d’une voûte en ogive. Différentes dans la forme et dans les dimensions, les deux consoles, peut-être destinées à soutenir des statues, ne sembleraient pas appartenir au même chantier. L’écu plus allongé et doté d’une terminaison pointue trouve une correspondance dans les formes des armoiries sculptées dans la zone vers la fin du XVe siècle (voir les boucliers sculptés sur les linteaux de portes à Availles-Limouzine ou à l’église de Millac), tandis que l’autre écu, plus large et arrondi, pourrait appartenir à une phase un peu plus tardive.
À l’intérieur de l’église, l’héraldique marque les éléments ajoutés dans les travaux de réfection et élargissement de l’édifice. D’abord, ces sont les clefs de voûte qui portent des écus sculptés. Dans la nef, on les trouve au sommet de la deuxième et de la troisième travée (armoiries 3, 4). Ils sont orientés différemment : l’un est placé avec la pointe orientée vers l’est (armoirie 3), l’autre porte sa pointe vers l’ouest (armoirie 4). Puisque la mise en signe de l’espace, surtout de l’espace sacré, était très souvent soumise à des principes de hiérarchisation et latéralisation (Hablot 2011), il nous semble possible que cette orientation n’était pas casuelle et qu’elle pouvait avoir été imposée par la présence d’un autel (ou d’un autre élément également central du mobilier de l’église) vers lequel les armes étaient donc tournées par respect. Puisque les deux écus se correspondent par leurs forme et dimensions, il est plausibles qu’ils appartiennent à la même phase de construction (d’ailleurs le chantier de renouvellement de l’église apparaît très cohérent et, donc, réalisé sans interruptions importantes). Malheureusement, aucune trace des armoiries qui y étaient sculptées et/ou peintes n’est visible, les écus ayant été grattés et repeints à l’époque moderne. Celui placé plus à l’est porte l’image du Sacre Cœur (armoirie 3), dont la stylisation révèle d’une exécution très récente, alors que l’écu situé plus à l’ouest (armoirie 4) est recouvert par une couche jaunâtre. Bien qu’une ligne verticale est gravée en correspondance de l’axe de cet écusson, il est actuellement impossible de dire si elle indique la présence d’une ancienne partition ou si elle a été faite successivement dans le remaniement de la pierre.
Le Vigeant, église Saint-Georges, chapelle absidale de la nef, armoirie de Louise de Polignac.
Le Vigeant, église Saint-Georges, dalle funéraire de François du Fou, détail de l’armoirie.
En revanche, l’armoirie figurant sur l’écu placé dans l’arcade à ogive qui termine la fenêtre de l’abside (armoirie 5), est bien d’origine. Peut-être épargné parce que couverte par des enduits ou d’autres éléments ornementaux, l’écu porte un parti aux armes du Fou, famille dont les membres (Jean du Fou, Yvon du Fou et Raoul du Fou) occupèrent une place de premier plan dans le Poitou entre la seconde moitié du XVe siècle et la première moitié du XVIe. François du Fou (1476-1536) fut seigneur du Vigeant, qu’il hérita de son père Yvon (Beauchet-Filleau 1905, t. 3, p. 505-506) et, à sa mort, fut enterré dans l’église Saint-Georges comme en témoigne la dalle funéraire conservée dans l’abside du bas-côté nord (armoirie 7). Puisque l’armoirie sculptée sur sa plate-tombe prouve (« Inscriptions » 1852-1855, p. 247) que François portait les armes pleines de la famille, comme en témoigne d’ailleurs également son sceau (Eygun 1938, p. 207, num. 329), l’armoirie représentée au-dessous de la fenêtre de l’église (armoirie 5) doit être plutôt attribuée à sa femme Louise de Polignac, qu’il épousa vers 1508 (Beauchet-Filleau 1905, t. 3, p. 506). Dans le respect des usages héraldiques, Luise devait en effet porter des armes parties de celles de son mari (à dextre) et de son père (à senestre). L’héraldique de la maison de Polignac reste en partie encore à élucider, mais il est plausible que Louise portait, avant son mariage, soit un écartelée aux 1 et 4 de … au lion de …, et aux 2 et 3 de … à un filet de … en barre (Courcelles 1827, p. 20 et note 2), soit un écartelé, au 1 et 4 d’argent (ou d’or), au 2 et 3 de sable au lion d’or (cette dernière armoirie est documentée pour la branche d’Ecoyeux : François du Fou, communication orale). L’armoirie a été lourdement repeinte sans respecter les vraies couleurs, ce qui rend plus compliqué son déchiffrement. Il faut toutefois noter que le deuxième quartier ne semble avoir été chargé d’aucune figure, ce qui nous laisserait plutôt croire à la présence originaire d’une couleur pleine.
Quoi qu’il en soit, l’armoirie partie permet de resserrer la fourchette chronologique des travaux effectués dans l’église aux années 1508-1536 ou 1545, date présumée de la mort de la dame dont on conserve un portrait en crayon réalisé vers 1525 par Jean Clouet (Chantilly, Musée Condé). Cela dit, il nous semble plus probable que les travaux remontent à une date plus proche au début du siècle que à son milieu et qui doivent être attribués à l’initiative directe de François du Fou (Deliquet 1906, p. 23). Il aurait ainsi suivi les traces de ses parents, qui s’étaient déjà signalés par leur mécénat. Les armes du couple des donateurs auraient été ainsi associées sur les voûtes de l’église – comme il était déjà arrivé dans l’église de Notre-Dame de Beaumont – notamment dans le chœur où, à l’origine, se trouvait le caveau seigneurial fermé par la dalle au nom et aux armes de François, par la suite déplacée dans la chapelle absidale du collatéral nord (ibid., p. 21). Le programme héraldique de l’église du Vigeant pourrait avoir été ainsi mis en place comme substitut de celui réalisé dans l’église paroissiale de l’Isle Jourdain, dont François détenait le deux tiers de la châtellenie. Celui-ci avait en effet prétendu de mettre ses écus d’armes dans le chœur de l’église, mais François de la Béraudiére s’était opposé et les avait détruit ; la question fut résolue justement en 1508, quand François du Fou renonça à ses prétentions et reconnut les droits de son rival (Deliquet 1906, p. 22-23).
Dans le bas-côté de l’église du Vigeant on conserve également une clef de voûte armoriée (armoirie 6), contemporaine des éléments que nous venons de décrire. Aujourd’hui partiellement cachée par les éléments du système de chauffage, elle a été également repeinte avec un cœur de Jésus, accompagné par une couronne de feuilles dont on ne voit désormais que la trace en négatif. Une litre funéraire daté du XVIIe siècle, probablement aux armes de François Poussard le Fors, marquis du Vigeant (mort en 1663), complète l’ornementation emblématique de l’église, dans laquelle est aussi conservée la remarquable sculpture d’un gisant. Découvert en 1820 en renversant le dallage de l’église, où il avait été remployé probablement à l’occasion des réfections du XVe siècle, le gisant du Vigeant avait fait immédiatement l’objet d’une dévotion populaire. En dépit de l’habit de chevalier qui le caractérise, celui-ci avait été en effet identifié avec saint Eutrope, évêque de Saintes, et se vit attribuer des vertus miraculeuses. Pour cette raison les malades grattaient la surface de la pierre, dans la partie correspondante à celle où ils prouvaient de la douleur, afin d’avaler la poudre miraculeuse. Décrit en 1835 par Foucart (1835, p. 82-83), quand il se trouvait « dans une petite chapelle à l’extrémité de l’un des bas cotées de l’église », et relevé par A. Brouillet (Poitiers, BM, ms. 865, p. 11), le gisant fut à nouveau retourné et remployé dans le pavement de l’église vers 1869, parce que le curé de l’époque voulait faire cesser la pratique superstitieuse (Beauchet-Filleau 1869, p. 5-7). Dans l’opération la pierre fut retaillée et le décor qui en ornait le côté, documenté par le dessin de Brouillet, fut ainsi perdu.
La pierre sculptée (2,08 mètres de long pour 0,75 de large; cf. base POP) fut retrouvée accidentellement en 1974 dans la deuxième travée du collateral sud de l’église, au cours de l’excavation des tranchées nécessaires à la rénovation des installations électriques (Papinot, Laverret 1975, p. 227). Allongé sur le drap funèbre, le gisant appuie la tête sur un coussin plat, veillé à chaque coté par des figures agenouillées très fragmentaires, de toute évidence des anges, tandis que deux autres anges étaient agenouillés à ses pieds. Le défunt est habillé d’une cotte d’armes qui descend jusqu’aux genoux, tandis que les jambes semblent protégées par des genouillères et des grèves (plaques métalliques qui couvraient les tibias). Une grande épée était suspendue au baudrier, tandis que l’écu est placé sur le côté gauche du personnage.
Le Vigeant, église Saint-Georges, monument funéraire, détail de l’écu armorié du gisant.
Le bouclier est orné de l’armoirie du défunt (armoirie 8), peut-être à l’origine reproduite même sur sa cotte d’armes comme le laissaient imaginer les traces de peinture observées lors de la découverte de la statue (Papinot, Laverret 1975, p. 229). Sur la base de la description fournie par Foucart (1835, p. 82), qui y reconnaissait « une petite rosace à cinq branches », l’armoirie a été attribuée aux Fort, qui au XIIIe siècle avaient des droit de dîmes dans la paroisse du Vigeant (Papinot, Laverret 1975, p. 233), ou à la famille angoumoisine des Bor (ivi, p. 228, note 7), qui portait des armes à la quintefeuille, comme en témoignent l’écu sculpté sur un tombeau en bâtière découvert dans le cimetière de Voulon et celui figurant sur le sceau de Raimond de Bor († après 1340) (Beauchet-Filleau 1891, t. 1, p. 626 ; Eygun 1939, n. 155-156 : Sigilla).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Le Vigeant, église Saint-Georges, https://armma.saprat.fr/monument/eglise-saint-georges-le-vigeant/, consulté
le 02/04/2025.
Bibliographie études
J.-B. Courcelles, Histoire généalogique et héraldique des pairs de France, t. 8, Paris 1827.
E.-V. Foucart, « Rapport sur un voyage d’archéologie dan les arrondissements de Civray et de Montmorillon », Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 1, 1, 1835, p. 77-86.
« Inscriptions », Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 7, 1, 1852-1855, p. 242-248.
H. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. 1, Poitiers 1891.
H. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. 3, Poitiers 1905.
Th. Deliquet, Notes sur Le Vigeant, s.l. 1906.
Fr. Eygun, Sigillographie du Poitou jusqu’en 1515, Poitiers 1938.
J.-C. Papinot, M. Laverret, « Notes sur la découverte d’un gisant dans l’église paroissiale du Vigeant », Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 4, 13, 1975, p. 227-233.
L. Hablot, « L’héraldisation du sacré aux XIIe-XIIIe siècles, une mise en scène de la religion chevaleresque ? », dans M. Aurell (dir.), Chevalerie et christianisme aux XIIe et XIIIe siècles, actes du colloque (Poitiers 2010), Rennes 2011, p. 211-233.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Le Vigeant, église Saint-Georges. Armoirie vierge (armoirie 1)
Le Vigeant, église Saint-Georges. Armoirie du Fou/de Polignac (armoirie 5)
Mi-parti : au 1, d'(azur) à la fleur de lys d'(or), sommée de deux éperviers affrontés d'(argent) (du Fou) ; au 2, écartelé, aux 1 et 4 de…. au lion de…, aux 2 et 3 (de… au filet en barre de… ?) (Polignac).
Attribution : Armoirie repeinte ; Polignac (Poulignac), Louise de