Châtillon-sur-Thouet, église de la Madeleine Maison-Dieu
Selon des documents dont l’interprétation n’est pas toujours aisée, le prieuré augustinien de La Madeleine ou de la Maison-Dieu aurait été fondé à l’initiative de Guillaume III de Parthenay peu après son retour de la croisade en 1169 (Maxwell 2007, p. 261). Comme l’église Saint-Jacques, il est situé sur un axe de communication très important et fréquenté dès le XIe siècle qui, de la ville de Parthenay, remontait vers Thouars et Bressuire (Maxwell 2007, p. 263 ; Id. 2010, p. 55-56). L’activité marchande de la ville, spécialisée surtout dans le commerce de tissus et de cuirs, favorisa l’installation de commerçants à l’extérieur de l’enceinte urbaine mais près des remparts. Grâce à des exemptions mises en place dès 1297 (ibid., p. 59), les habitants de ces faubourgs pouvaient se soustraire, du moins partiellement, au payement des impôts sans perdre les avantages offerts par la proximité de la ville. Le développement des faubourgs dès le XIe siècle est donc lié surtout à cette activité marchande, plus qu’au passage de pèlerins se rendant à Compostelle (ibid., p. 56, Ledain 1858, p. 149).
La construction du prieuré de la Madeleine et de l’hôpital annexe aurait donc répondu aux exigences des deux bourgs « marchands » qui s’étaient développés, à partir du XIe siècle, au nord de la porte Saint-Jacques (ibid., p. 60). De plus, son emplacement – à proximité de la ville mais suffisamment distant pour limiter les risques de contagion – rendait cet établissement idéal pour accueillir les pauvres et les malades (Maxwell 2007, p. 263).
Seul vestige conservé de l’établissement conventuel, avec quelques traces du cloître, l’église conserve sa structure romane avec une seule nef, couverte d’une voûte en berceau, et un chœur, plus étroit se terminant dans une abside en cul-de-four. Ses caractéristiques formelles confirmeraient une datation de l’édifice à la deuxième moitié du XIIe siècle (Maxwell 2007, p. 265-267). Des larges pans du décor peint médiéval ont été récupérés et restaurés dans cette partie de l’église en 1994-1995 (Landry-Delcroix 2012, p. 243). Les éléments conservés appartiennent à deux phases différentes, réalisées à environ deux siècles de distance. La phase la plus ancienne est visible dans le chevet. La voûte et les parois latérales sont couvertes d’un faux appareillage tracé en rouge sur un badigeon de chaux blanc, avec les faux joints verticaux redoublés en noir. Des fleurs rouges apparaissent dans l’appareillage de la voûte, comme cela arrivait fréquemment dans ce type de décor entre le XIIIe siècle et le début du XIVe siècle (voir, pour rester dans le Poitou, l’ « Hôtellerie » de Nanteuil-en-Vallée ou la chapelle de la commanderie templière de Plaincourault), ce qui nous conduirait à exclure que l’ornementation actuellement visible correspond à un projet réalisé à l’époque de la construction de l’édifice ou juste après (comme le voudrait Maxwell 2007, p. 264).
Écusson aux armes de Arthur de Richemont. Prieuré Sainte-Madeleine de la Maison Dieu, Châtillon-sur-Thouet.
Les chapiteaux ont été coloriés de façon à mettre en exergue l’ornementation sculptée, tandis que l’intrados de l’arc d’accès au chevet a été orné d’un bandeau composé de fleurs de lys rouges insérées dans des médaillons de la même couleur : dépourvues de toute valeur emblématique ces fleurs étaient plutôt utilisés dans ce contexte comme symbole de pureté.
En revanche, une ornementation plus clairement connotée du point de vu emblématique a été découverte dans l’abside en cul-de-four réaménagée à l’époque gothique, comme le prouve la grande baie axiale qui permet l’afflux de la lumière à l’intérieur de l’édifice. Si les peintures qui couvrent le chevet pourraient dater du XIIIe siècle (Landry-Delcroix 2012, p. 243), celles de l’abside sont de toute évidence plus tardives comme le démontrent leurs traits formels, propres du gothique international. Déjà établie au XVe siècle (ibid.), la chronologie de cette campagne décorative est davantage précisée par les armoiries qui y apparaissent, jusqu’à présent non identifiées. Les écoinçons entre les fenêtres abritent en effet des anges tenant des écussons devant leur poitrine. La tête blonde encadrée par un nimbe rouge, les ailes ouvertes, ils étaient probablement quatre à l’origine, peints sur un fond rougeâtre orné de rinceaux blancs (on en retrouve des fragments à côté de la fenêtre centrale). Il n’en reste que deux.
À gauche (dextre, la partie plus valorisante du point de vue symbolique) la série était ouverte par un ange tenant un écu aux armes d’Arthur de Richemont (armoirie 1), que l’on voit même dans l’écusson sculpté sur le clocher de l’église Saint-Laurent de Parthenay et sur la cloche du beffroi (La tradition 1897, p. 105) : d’hermine au lambel à trois pendants de gueules chargé de neuf lionceaux d’or (Eygun 1938, p. 303, n. 915-916a, ans 1435-1453; p. 551, n. 581bis, an 1443; Nantes, Archives départementales de Loire-Atlantique). Nommé connétable de France en 1425 par Charles VII, puis gouverneur de Normandie en 1450, Arthur de Richemont fut duc de Bretagne en 1457-1458. En 1415 il avait obtenu la terre de Parthenay, à charge de la conquérir à Jean II Larchevêque, son seigneur légitime. Entré effectivement en possession de son bien en 1427, il le conserva jusqu’à sa mort, sans héritiers, survenue à Nantes le 26 décembre 1458 (Hélary 2012, p. 955-956). Comme cela avait été établi lors de la donation, la terre de Parthenay revint alors au roi, qui la donna à Jean d’Orléans, comte de Dunois, dont la possession fut reconnue en 1460 (Fleuret 1994, p. 94, doc. 7).
Écusson aux armes de Catherine de Luxembourg-Saint-Pol. Prieuré Sainte-Madeleine de la Maison Dieu, Châtillon-sur-Thouet.
Par conséquent, les peintures de la chapelle doivent dater d’avant décembre 1458 ou, plus précisément, d’avant le 22 septembre 1457 quand, après la mort de son neveu Pierre II, Arthur devint duc de Bretagne sous le nom de Arthur III. Après le couronnement ducal du 30 septembre 1457, Arthur abandonna en effet ses armes pour prendre celles pleines de Bretagne, comme le démontrent les sceaux qu’il utilisa pour sceller deux actes le 8 octobre 1457 (Nantes, Archives départementales de Loire-Atlantique) et le 18 août 1458 (Nantes, Archives départementales de Loire-Atlantique).
L’ange aux armes d’Arthur de Richemont est suivi par un autre, dont l’image est presque illisible. Il tient un écusson parti,également très abîmé (armoirie 2), qui nous aide à préciser davantage la chronologie des peintures. Des traces d’hermine sont visibles dans la moitié gauche, tandis qu’un lion à la queue fourchée passée en sautoir se décèle dans celle droite. Même si ses couleurs sont très altérées et les traces d’autres couches de peintures (probablement apposées dans le but de l’effacer) en entravent la lecture, l’armoirie peut être identifiée avec celle de Catherine de Luxembourg († 1492). Fille de Pierre Ier de Luxembourg-Saint-Pol, elle fut la troisième femme d’Arthur de Richemont, qu’elle épousa le 2 juillet 1445. Elle partit ainsi les armes du mari (à senestre) avec celles de son père (à dextre) qui portait d’argent au lion de gueules à la queue fourchée passée en sautoir, armé, couronné d’or et lampassé d’azur. Cette armoirie est reproduite sur son sceau attaché à un acte daté du 30 juin 1459 (Nantes, Archives départementales de Loire-Atlantique, 10 Fi 388), avec une seule mais remarquable différence. En tant que duchesse de Bretagne, elle partit désormais ses armes avec celle d’hermine plain de Bretagne.
Il est plausible que les armes du couple se répétaient dans la moitié droite de l’abside, mais il n’en reste aucune trace. Par contre, l’embrassement de la baie centrale était orné d’une tapisserie peinte non pas aux armes de Bretagne (Baudry 2007, p. 35), mais à celles d’Arthur de Richemont (armorie 3), comme l’indique le lambel de gueules, jadis chargé des neuf lionceaux.
Baie aux armes de Arthur de Richemont. Châtillon-sur-Thouet, Eglise du prieuré Sainte-Madeleine de la Maison Dieu, abside.
Le décor peint de l’abside de l’église de la Madeleine, qui devait être complété par un Christ en majesté au cul-de-four (Landry-Delcroix 2012, p. 243), a donc été réalisé dans un fourchette comprise entre la célébration du troisième mariage d’Arthur de Richemont, le 2 juillet 1445, et son couronnement comme duc de Bretagne, le 30 septembre 1457. Les raisons de cette commande restent toutefois inconnues. Si, d’un coté, nous savons que Catherine s’installa à Parthenay dès le décembre 1445 et qu’elle aimait y séjourner (elle y tomba même malade en 1457), de l’autre, il ne faudra pas oublier qu’Arthur de Richemont (et ses épouses) fit des donations aux églises de Parthenay pour la fondation de chapelles – c’est le cas de l’église Sainte-Croix (cf. Paris, Archives Nationales, JJ 187, n. 3, f. 2v) – ou pour leur aménagement – c’est le cas de l’église Saint-Laurent et de celle Sainte-Croix, dont il fit construire le clocher en 1457 (Ledain 1876, p. 225-226 ; Baudry 2007, p. 33). D’ailleurs, une transaction d’une certaine importance fut passée au milieu du siècle entre Arthur de Richemont et le prieur de la Maison Dieu : en conflit à cause des exemptions fiscales dont bénéficiaient les vassaux de la Maison Dieu, les deux parties parvinrent enfin à se réconcilier le 11 février 1450 (Ledain 1876, p. 218 ; Fleuret 1994, p. 90-93 ; Baudry 2007, p. 46-49). S’il faut clairement résister à la tentation de lier l’exécution des peintures à ce document – qui ne contient d’ailleurs aucune mention des travaux effectués dans le prieuré – l’acte reste significatif puisqu’il témoigne des rapports finalement rétablis entre le seigneur de Parthenay et la communauté religieuse de Châtillon-sur-Thouet.
Enfin, en l’état actuel des connaissances, nous ignorons si la réalisation du décor peint de l’abside (et sa réfection ?) est liée à l’enfeu ouvert sur le côté nord, comme le pensait déjà M.-P. Baudry (ibid., p. 35). Sa clef de voûte, qui portait peut-être les armes de la famille du défunt, a été en effet démontée.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Châtillon-sur-Thouet, église de la Madeleine Maison-Dieu, https://armma.saprat.fr/monument/eglise-de-la-madeleine-maison-dieu-chatillon-sur-thouet/, consulté
le 16/10/2024.
Bibliographie sources
Nantes, Archives départementales de Loire-Atlantique, sceaux.
Bibliographie études
B. Ledain, La Gâtine historique et monumentale, Paris 1876.
La tradition populaire en Poitou et Charente, Paris-Niort 1897.
F. Eygun, Sigillographie du Poitou jusqu’en 1515, Poitiers 1938.
L. Fleuret, La ville de Parthenay à la fin du Moyen Age, Parthenay 1994.
M.-P. Baudry, Arthurde Richemont. Seigneur de Parthenay, connétable de France, duc de Bretagne, Poitiers 2007.
R. Maxwell, The art of medieval urbanism. Parthenay in Romanesque Aquitaine, Pennsylvania 2007.
R. Maxwell, « Pilgrimage and the Dynamics of Urbanism Reconsidered : Faubourg Architecture in Romanesque Aquitaine », dans Architectural History, 53, 2010, p. 41-76.
X. Hélary, « RICHEMONT Arthur de Bretagne, comte de (1393-1458) », dans Ph. Contamine, O. Bouzy, X. Hélary, Jeanne d’Arc. Histoire et dictionnaire, Paris 2012,p. 955-956.
C. Landry-Delcroix, La peinture murale gothique en Poitou XIIIe-XVe siècle, Rennes 2012.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Châtillon-sur-Thouet, église de la Madeleine Maison-Dieu. Armoirie Arthur de Richemont (armoirie 1)
D’hermine (Bretagne) au lambel à trois pendants de (gueules chargé de neuf lionceaux d’or).
Attribution : Bretagne, Arthur III de ; Richemont, Arthur de
Châtillon-sur-Thouet, église de la Madeleine Maison-Dieu. Armoirie Catherine de Luxembourg-Saint-Pol (armoirie 2)
Parti : au 1, d’hermine (Bretagne) au lambel à trois pendants de (gueules chargé de neuf lionceaux d’or) (Richemont) ; au 2, d'(argent) au lion de (gueules) à la queue fourchée passée en sautoir, (armé, couronné d’or et lampassé d’azur) (Luxembourg-Saint-Pol).