Avant la Révolution, la terre de Dierre dépendait à la fois de l’élection et du grand doyenné d’Amboise et du grand-archidiaconé de Tours (Carré de Busserolle 1879, p. 466). Aujourd’hui située dans l’arrondissement de Tours, la commune abrite l’église paroissiale Saint-Médard, construite au début du XIIe siècle puis agrandie aux XVe et XVIe siècles. Formée d’une nef romane à trois travées terminée par un chevet couvert d’une voûte sur croisée d’ogives, l’église est flanquée au sud d’un collatéral également vouté sur croisée d’ogives datant du XVe siècle. Au XVIe siècle, le collatéral nord est ajouté ainsi que la tour carrée mais les voûtes n’ont jamais été construites. L’ensemble de l’édifice reçut la bénédiction de Martin de Beaune, archevêque de Tours, en 1523 et les portes des bas-côtés furent refaites dans un style Renaissance en 1542 grâce à une donation de François Ier (Bosseboeuf 1900, p. 278). Restaurée grâce à une donation de la reine mère Elisabeth d’Angleterre, mère de la reine Elisabeth II, suite à sa visite à Dierre en 1963 (Tourainissime), l’église a été classée aux Monuments historiques en 1965 (base POP).
Dierre, église Saint-Médard, bas-côté sud.
À son intérieur, l’église présente plusieurs éléments héraldiques, déployés uniquement dans le bas-côté sud. Sur la clef de voûte de la première travée est sculptée l’image d’un bœuf accompagné d’un couteau, d’un couperet et d’un fusil à aiguiser qui a été identifiée comme étant les armoiries de la corporation des bouchers d’Amboise par l’érudit Jacques-Xavier Carré de Busserolle (1879, p. 467 ; Ranjard 1986, p. 348) (armoirie 1). Si le peu de sources conservées sur les corporations tourangelles au Moyen Âge ne nous ne permettent pas de vérifier cette attribution, nous devons tout de même rappeler que les associations de métiers de la ville de Tours avaient leurs propres armoiries dès le XVe siècle. À titre d’exemple, la corporation des bouchers de Tours portait, en 1491, d’azur, à un saint Eutrope d’or et un berger gardant des moutons de même (Chauvigné 1885, p. 18). L’importance des corporations à Amboise, résidence royale profitant du rayonnement de Tours, était relativement considérable du fait du lien étroit que la ville entretenait avec la royauté et de la haute bourgeoisie marchande qui participait à la réussite économique de la ville. Depuis le XIIIe siècle, les bouchers d’Amboise s’étaient réunis en un quartier situé le long du cours de l’Amasse et étaient, avec les tanneurs, l’une des corporations les plus prospères de la ville (Gaugain 2014, p. 326).
La présence de leurs emblèmes dans l’église de Dierre – par ailleurs dédiée à saint Médard, patron des agriculteurs – se justifie par le fait que la corporation aurait financé une partie des travaux pour la construction du collatéral sud. En échange, elle aurait pu mettre ses armes sur la voûte et profiter des prairies de la paroisse situées le long du Cher, d’une étendue d’environ cent vingt arpents, pour faire paître leurs animaux (Carré de Busserolle 1879, p. 466). Le marquage héraldique des églises de la part des corporations est d’ailleurs un phénomène connu à ces dates, comme le prouve, pour rester dans la même période et dans une zone géographique proche, le cas de l’église Saint-Pierre de Loudun, où les armes de la corporation des bouchers de la ville (un bœuf), qui financèrent les réparations de l’édifice dans la seconde moitié du XVe siècle, sont figurées sur un culot du bas-côté nord.
Clé de voute armoriée (armes de la corporation des bouchers d’Amboise ?). Dierre, église Saint-Médard, bas-côté sud.
Toujours selon Jacques-Xavier Carré de Busserolle (1879, p. 466), le Trésor royal aurait également financé la construction du collatéral sud. Dans l’état actuel des connaissances, nous ne pouvons pas établir si l’affirmation de l’érudit se basait sur des sources écrites attestant d’un financement royal ou exclusivement sur la présence des armes de France sur la clef de voûte de la deuxième travée du même bas-côté (armoirie 2). En effet, la représentation des armoiries royales dans un édifice religieux était fréquente en France à la fin du Moyen Âge : elles pouvaient attester de la protection royale de l’édifice ou bien témoigner de la fidélité des habitants envers le roi. À Dierre, ces armes sont orientées vers l’est, partie la plus sacrée de l’édifice, et elles sont surmontées d’une couronne et soutenues par deux lions. Même si le manque de source ne nous permet pas de déterminer avec précision sous quel roi de France la donation aurait été effectuée – si celle-ci a bien eu lieu –, l’analyse formelle de l’armoiries, et notamment des lions qui la soutiennent, nous permet de situer cette intervention à la fin du XVe siècle, donc sous le règne de Charles VIII. Réputé pour son mécénat actif en Touraine, celui-ci établit sa cour dans le château royal d’Amboise dès le début de son règne en 1483. Selon cette hypothèse, la protection qu’offrait le doyenné d’Amboise aurait alors doublement profité à l’église de Dierre pour le financement de la construction de son bas-côté sud grâce au soutien de la corporation des bouchers d’Amboise et du roi résidant dans la même ville. Notons également qu’à la différence des emblèmes de la corporation des bouchers d’Amboise restés intacts, les fleurs de lys des armes royales ont été grattées, probablement lors des Guerres de Religion ou à la Révolution, époques durant lesquelles les signes de la monarchie pâtirent de nombreuses destructions (Hablot 2016).
Clé de voute aux armes de France (Charles VIII ?). Dierre, église Saint-Médard, bas-côté sud.
Un écu aujourd’hui vierge, mais qui pouvait avoir porté des armoiries peintes ou sculptées (perdues ou elles aussi délibérément grattées ?), orne le cul-de-lampe attaché à la face ouest du pilier de la deuxième travée du même bas-côté sud, disposé sur une frise de feuilles d’acanthe (armoirie 3). Face à lui, un ange est figuré sur le coin est du chapiteau du pilier de la première travée et est accompagné d’entrelacs végétaux caractéristiques de la fin de la période médiévale : malgré un état de conservation peu satisfaisant, il semblerait avoir tenu un écu dans ses bras (armoirie 4). Si les surfaces des écus en question ne portent pas de trace de peintures ou reliefs, le fait que les deux éléments emblématiques étaient placés face à face dans le même espace dépose en faveur d’une stratégie de mise en signe héraldique que nous n’arrivons pas à saisir en raison du manque de documents. Même si la fonction et l’identité de ces armoiries restent inconnues, nous pouvons tout de même observer que, dans le dialogue entre les deux armoiries, les différences dans le choix des tenants et des ornements extérieurs à l’écu semblent établir une organisation hiérarchique de l’ensemble.
Auteur : Sarah Héquette
Pour citer cet article
Sarah Héquette, Dierre, église Saint-Médard, https://armma.saprat.fr/monument/dierre-eglise-saint-medard/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie études
Carré de Busserolle Jacques-Xavier, Dictionnaire géographique historique et biographique d’Indre-et-Loire et de l’ancienne province de Touraine, t. 2, Tours 1879.
Chauvigné Auguste, Histoire des corporations d’arts & métiers de Touraine, Tours 1885.
Bosseboeuf Louis-Auguste, « A travers la Touraine (suite) », Bulletin de la Société archéologique de Touraine, 12, 1899-1900, p. 270-280.
Ranjard Robert, La Touraine archéologique : guide du touriste en Indre-et-Loire, Mayenne 1986 (éd. or. 1930).
Gaugain Lucie, Amboise. Un château dans la ville, Tours 2014.
Hablot Laurent, « Le bris des armes : l’iconoclasme héraldique dans la société médiévale », in M. Gil, P. Charron, A. Vilain (dir.), La pensée du regard. Etudes d’histoire de l’art du Moyen Âge offertes à Christian Heck, Turnhout 2016, p. 181-191 .