Castelnau-Montratier, couvent des Clarisses du Pouget
Juché sur une colline, aux portes de la cité de Castelnau-Montratier, dans le département du Lot, le couvent de Clarisses du Pouget avait été fondé par le cardinal Bertrand du Pouget en 1318 dans son fief natal (Limayrac 1885, p. 187 ; Jugie 1991, p. 73). Né à Castelnau-Montratier vers 1280 (ibid.), Bertrand du Pouget appartenait à la petite noblesse locale, son père étant peut-être chevalier (l’acte original de 1313 qui le qualifie ainsi est aujourd’hui perdu). Familier du cardinal Jacques Duèze, il accéda au premier cercle du pape Jean XXII, qui l’éleva à la pourpre cardinalice en décembre 1316 au titre de Saint-Marcel. Crée évêque d’Ostie en 1327, il fut rapidement choisi par le souverain pontife comme légat en Italie du Nord et du Centre, de 1320 à 1334, avec la mission de régler les conflits entre les guelfes partisans du pape et les gibelins, soutiens de l’empereur, en appuyant la maison d’Anjou contre ce dernier. Les succès militaires s’enchaînèrent rapidement avec notamment la prise de Bologne, où Bertrand du Pouget fit construire le palais de la Rocca de Porta Galliera censé devenir la résidence du pontife, en cas de concrétisation du projet d’établissement de la papauté à Bologne. La révolte de la cité transalpine en 1333 obligeât le cardinal-légat à fuir vers les bords du Rhône où il mourut en 1352, retrié à Villeneuve-lès-Avignon.
Malgré son importance historique, le monastère de Castelnau-Montratier a été très peu étudié et cela jusqu’à des temps très récents (Bru 2011 ; Moureau 2018 ; id. 2020). Sa transformation en exploitation agricole après sa suppression à la Révolution et la démolition des bâtiments principaux du couvent au milieu des années 1970 expliquent ce manque d’intérêt. Si aujourd’hui les bâtiments du Pouget ne sont que ruines, la connaissance de cette fondation est assurée par une description des lieux réalisée après les destructions perpétrées durant les guerres de Religion, rapportée par les religieuses elles-mêmes, en 1668 (Greil 1900, p. 114-121), et par dom Bruno Malvezin, dans son histoire de la Chartreuse de Cahors (Merceron, Merceron 1979, p. 204). Nous apprenons ainsi que le couvent comportait un réfectoire, un grand degré pour mener aux deux étages de chambres, une galerie donnant accès au chœur de l’église, laquelle était entièrement voûtée, un noviciat neuf puis une cour en forme de cloître, un « côté de cloître », une grande salle, des caves, une chambre pour le confesseur et une pour les étrangers. De cet ensemble il subsiste aujourd’hui le portail de la chapelle, consacrée en 1321 : de cet édifice, faisant à l’origine 20 mètres de long sur une dizaine de large, il ne reste que le mur nord, ainsi que le mur du chevet, à pans trois coupés. Ce portail donne aujourd’hui dans un vaste bâtiment rectangulaire composé d’une vaste salle d’environ 20 mètres de long sur 7 mètres de large, qui s’ouvre vers l’ouest au moyen de deux grandes arcades. Accolé à celle-ci, au sud, se trouve un espace presque carré, de dimensions plus modestes (6 mètres sur 7 mètres). Des traces d’arrachement de deux murs parallèles très épais sont visibles sur son flanc est. Ceci est la trace d’un corps de logis qui le prolongeait pour pouvoir accueillir les 24 moniales prévues dans la fondation. Il est tentant de voir dans ce bâtiment rectangulaire le manoir seigneurial des du Pouget, qui remonterait donc à la fin du XIIIe ou au début du XIVe siècle et dont la forme rappelle notamment celle de la Borde des Prés, propriété de la famille éponyme.
Gisant du cardinal Bertrand du Pouget. Castelnau-Montratier, mairie (photo : E. Moureau).
Les armes de Bertrand du Pouget, que nous connaissons par le biais de nombreuses reproductions à la fois dans des décors monumentaux et dans des manuscrits (Toulouse, BM, ms. 77, f. 12v, 36v, 60v, 72v : base Bibale), figuraient sans doute à plusieurs endroits du couvent. Dom Malvesin le confirme en indiquant que l’église du couvent comportait encore à son époque « des vitres » sur lesquelles étaient peintes les armes du cardinal (armoiries 1a-?), dont il donne toutefois un blasonnement sans doute partiellement erroné (« d’or à la bande de gueules au chef d’azur » : Merceron, Merceron 1979, p. 204), ainsi que « en divers endroits du monastère » (armoiries 2a-?) (Merceron, Merceron 1979, p. 206). Parmi ceux-ci était le tombeau du haut prélat qui, composé d’une cuve surmontée d’un gisant en calcaire fin provenant de Pernes-les-Fontaines, se dressait à l’origine dans la chapelle du couvent. Dom Malvezin témoigne de la beauté de l’ensemble détruit par les Huguenots, dont faisait partie l’effigie du cardinal qu’il voyait « renversée à terre, presque toute défigurée » (Merceron, Merceron 1979, p. 204). Redécouvert par hasard par Robert Merceron in situ en 1978, alors qu’il venait d’être retiré de terre par le propriétaire, ce gisant, très mutilé, est aujourd’hui conservé dans la mairie de Castelnau-Montratier (base POP). Le cardinal est représenté allongé, revêtu de ses vêtements épiscopaux : aube, tunicelle, dalmatique, étole, manipule, chasuble et chape. Cette dernière est ornée d’un large orfroi en forme de T et d’un col débordant, dont les deux pans ont peut-être été solidarisés au moyen d’une petite fibule en S. Les plis de la chasuble, en cuiller, forment un fort relief sous les mains du prélat. Quant à ceux de la chape, ils adoptent un mouvement en bec très réaliste. L’orfroi central n’est autre qu’une succession d’un quadrilobe ornemental dont le décor alterne entre rinceaux en forme de croix et armoiries du prélat (armoiries 3a-b) timbrées du chapeau : une bande surmontée d’un chef (Fangarezzi 2010, p. 4-5).
De la cuve de ce même monument funéraire provient également une pièce erratique réutilisée dans une maison construite aux abords immédiats du site à la fin des années 1970. Sur sa façade principale est intégré un bas-relief de forme carré, sculpté dans un calcaire très fin de couleur beige-rosé. Dans un quadrilobe figure un écu, timbré d’un chapeau de cardinal avec des houppes pendantes de part et d’autre, dans lequel nous pouvons reconnaitre les armes du cardinal (armoirie 3c) (Fangarezzi 2010, p. 4-5). Il pourrait s’agire de la « grande pierre polie comme du marbre » sur laquelle Bruno Malvezin reconnaissait la représentation des armes du prélat en 1707 (Merceron, Merceron 1979, p. 204). Ce fragment a été mis au jour lors de travaux de terrassement sur le site au début du XXe siècle avec un second élément, plus important mais non localisé à ce jour, présentant deux quadrilobes encadrant deux écus également aux armes du Puget timbrées d’un chapeau de cardinal (armoirie 3d-e). Au soubassement du monument funéraire de Bertrand du Pouget appartenait visiblement aussi le relief encastré au-dessous d’une porte du couvent au moins depuis le milieu du XXe siècle (Merceron, Merceron 1979, p. 206) (armoirie 3f) : photographié en 1952 par le Casier archéologique, il n’est pas localisé aujourd’hui. La forme du cadre de l’écu et les roses insérées entre un retable armorié et l’autre ne laissent aucun doute sur l’appartenance de ces fragments au même ensemble.
Auteur : Emmanuel Moureau
Pour citer cet article
Emmanuel Moureau, Castelnau-Montratier, couvent des Clarisses du Pouget, https://armma.saprat.fr/monument/castelnau-montratier-couvent-des-clarisses-du-pouget/, consulté
le 09/10/2024.
Bibliographie études
Bru Nicolas (dir.), Archives de pierre. Les églises du Moyen Âge dans le Lot, Milan 2011.
Fangarezzi Riccardo, « Il cardinale Bertrando del Poggetto, l’abate Bernardo, la lunetta araldica della torre di Nonantola nella Rocca de Vignola », Memorie. La rivista del Centro Studi Storici Nonantolani, 10, 8-10, 2010, p. 3-7
Greil Louis, « États des monastères des filles religieuses du diocèse de Cahors en 1668 », Bulletin de la société des études littéraires, scientifiques et artistiques du Lot, 25, 1900, p. 105-157.
Jugie Pierre « Un Quercynois à la cour pontificale d’Avignon : le cardinal Bertrand du Pouget (v. 1280-1352) », La papauté d’Avignon et le Languedoc (1316-1342) (Cahiers de Fanjeaux, 26), Toulouse 1993, p. 68-95.
Limayrac Léopold, Ètude sur le Moyen Age. Histoire d’une commune et d’une baronnie du Quercy (Castelnau-de-Montratier), Cahors 1885.
Merceron Pierrette, Merceron Robert, « Quatre cardinaux quercinois en Avignon au XIVe siècle. Traces héraldiques », Bulletin de la Société des études littéraires, scientifiques et artistique du Lot, 100, 1979, p. 202-217.
Moureau Emmanuel, Bâtir pour l’éternité. Le cardinal Pierre des Prés (1280-1361) et la collégiale Saint-Martin de Montpezat-de-Quercy, thèse de doctorat, dir. Quitterie Cazes, Université de Toulouse-Jean Jaurès, 2018.
Moureau Emmanuel, « Le couvent des Clarisses de Saint-Marcel du Pouget : nouvelle approche et découvertes », Bulletin de la société des études littéraires, scientifiques et artistiques du Lot, 141, 2020, p. 22-37.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Castelnau-Montratier, couvent des Clarisses du Pouget. Armoirie Bertrand du Pouget (armoiries 1a-?)
(D’or à la bande d’azur au chef de gueules).
Attribution : Du Pouget Bertrand
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chapelle
Emplacement précis : Baie
Support armorié : Verrière
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue