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ARmorial Monumental du Moyen-Âge
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Bourbon-L’Archambault, château (tour Quiquengrogne)

 

La tour Quiquengrogne, située dans l’angle sud-est de l’enceinte du château de Bourbon-L’Archambault, classé aux Monument Historiques en 1862 (base POP), est l’un des seuls vestiges encore en place des fortifications médiévales. Constituée d’un appareil à bossage composite, assis sur une base de pierre lisse, la tour est coiffée d’une terrasse crénelée, à laquelle a été ajoutée, au début du XVIIIe siècle, une tourelle avec horloge. Avec la tour « Amirale », qui défendait autrefois l’étang de la ville et dont ne subsistent plus aujourd’hui que les substructures, elle fut vraisemblablement l’une des deux tours bâties sous l’impulsion du duc Louis II, mentionnées en 1429 par Jean d’Orronville dans sa Chronique du bon duc Loys de Bourbon (1876, p. 319). Malgré le démantèlement d’une grande partie du château, devenu carrière de pierre pour les habitants du village et des alentours, la tour Quiquengrogne résista au temps et à l’action des hommes jusqu’au début du XXe siècle, suite à quoi l’intérieur de la tour subit de très lourdes modifications afin d’être aménagé en cuisine pour l’école communale pour filles du village (Bruand 1991, p. 103).

Gargouille restaurée aux armes de Charles Ier de Bourbon. Bourbon-L’Archambault, Tour Quiquengrogne
(cliché : B. Marouzé).

Si cet intérieur ne conserve aujourd’hui aucun décor armorié, plusieurs sont encore visibles à l’extérieur de la tour, témoignant de l’intervention des ducs de Bourbons. Ainsi, deux des trois gargouilles observables en façade, portent des écussons orientés vers le sol : surplombant le bourg médiéval et ses habitants, les armoiries qui y sont représentées étaient donc facilement visibles par tous ceux qui s’approchaient à l’enceinte de la fortification. La première gargouille est à l’effigie d’un griffon, assis sur une console, tenant entre ses quatre pattes un écu aux armes mi-parties de Bourbon et de Bourgogne. Mise en place en 2000, elle reproduit fidèlement la sculpture d’origine, qui a été déposée lors de la restauration de l’édifice et est encore aujourd’hui conservée au château (armoirie 1).

Bourbon-L’Archambault, Tour Quiquengrogne, Gargouille aux armes d’Agnès de Bourgogne. Bourbon-L’Archambault, château (déjà Tour Quiquengrogne)
(cliché : B. Marouzé).

La seconde gargouille, qui figure un lion tenant les armes pleines de Bourbon entre ses pattes avant (armoirie 2), a été également sculptée en 2000, elle aussi de manière fidèle à l’originale. En témoigne la description des gargouilles armoriées faite par Xavier Barbier de Montault à fin du XIXe siècle, qui parlait en effet d’un « griffon fantastique » tenant « un écusson ogivé, mi-parti aux armes de Bourbon et de Bourgogne ancien » et « d’un lion qui retient les armes de Bourbon dans ses deux pattes de devant » (Barbier de Montault 1876, p. 110). Il est cependant à noter que l’écusson mi-parti de Bourbon et Bourgogne présente une erreur, reproduite à la restauration : le bandé de Bourgogne au deuxième quartier est inversé et représenté en barré. Malgré cela, le couple d’armoiries peut sans ambiguïté être attribué au duc Charles Ier et à la duchesse Agnès de Bourgogne, qu’il épousa en 1425, seule porteuse de cette composition mi-partie documentée par plusieurs autres attestations monumentales – c’est le cas de la Sainte-Chapelle de Bourbon-L’Archambault et du portail de la collégiale de Montbrison (La Mure 1869, t. 2, p. 188-189), par exemple – et sigillographiques (base SIGILLA).


Cartouche aux armes des Bourbon, après restauration. Bourbon-L’Archambault, Tour Quiquengrogne (clichés : B. Marouzé).

Le parement de la tour accueille également un cartouche sculpté de style gothique. Entouré par un encadrement qui a aussi fonction de larmier, il abrite trois écussons : certainement martelés dans un premier temps lors de la Révolution (AD 03, L 850) et déjà jugés « illisibles » par Barbier de Montault (1876, p. 110), ils furent arrasés à nouveau en 2000, puis resculptés, dans un effort de restauration maladroit et malheureusement mal documenté. Cette campagne fut doublement dommageable : les nouveaux écus présentent désormais des compositions héraldiques sans cohérence historique démontrable et la destruction des décors originaux dans le processus de « restauration » en rend à présent l’analyse ardue, sinon impossible. L’écu supérieur du cartouche (armoirie 3), que Barbier de Montault affirmait avec assurance à l’origine « meublé aux fleurs de lys de Bourbon », sans en spécifier toutefois le nombre (Barbier de Montault 1876, p. 110), a été restauré sous la forme d’un écu de Bourbon moderne, à trois fleurs de lis. Or, puisque la tour, commencée sous Louis II de Bourbon, fut agrandie ou modifiée par la suite sous le principat de Charles Ier, cet écusson, datant probablement de cette période, aurait pu porter soit les armes semées (base SIGILLA), soit la forme trinitaire (base SIGILLA), toutes deux documentées dans l’emblématique de ce prince. Le choix de cette restauration destructive, bien que sensé au regard du reste du décor de la tour, laisse donc planer l’ambiguïté sur la forme originelle de l’écusson.

Cartouche aux armes des Bourbon ( ?), avant restauration. Bourbon-L’Archambault, Tour Quiquengrogne (clichés : B. Marouzé).

La restauration des deux écussons inférieurs est encore plus problématique. Barbier de Montault n’en donnait en effet aucune description mais se limitait à en parler comme d’armes donnant « l’alliance des deux fiefs de Bourbon et de Bourgogne » (Barbier de Montault 1876, p. 110), qui ne trouvent toutefois aucune correspondance dans les armoiries actuellement visibles. Aujourd’hui, après restauration, celui de dextre présente en effet les armoiries des premiers seigneurs de Bourbon, à savoir d’or au lion de gueules, accompagné de huit coquilles d’azur en orle (armoirie 4) ; tandis que le second écu affiche un étrange bandé à la bordure engrêlée (armoirie 5). Si la présence des anciennes armes de Bourbon s’explique déjà difficilement sur un édifice du XIVe-XVe siècle, le second écu résulte forcément d’une erreur d’interprétation, ces armoiries n’étant en effet portées que par quelques personnages, tous parfaitement étrangers à l’histoire de cet édifice, tels Eudes de Bourgogne († 1266) (base SIGILLA), Eudes de Frolois († 1307)  (base SIGILLA) et Eudes IV de Bourgogne († 1349) (base SIGILLA).

L’association des premières armes de Bourbon et de Bourgogne pourrait ben sûr s’expliquer par une volonté du commanditaire du décor de souligner l’ancienneté de l’alliance entre ces deux dynasties, mais cette explication demeure difficile à accepter puisque ce type de pratique n’est documentée nulle part ailleurs et constituerait donc un unicum. Nous pourrions également penser que le choix d’insérer dans la tour l’image des premières armes de Bourbon découlait de l’impossibilité, pour le jeune Charles de Clermont, de prendre les pleines armes ducales pour signifier son mariage avec Agnès de Bourgogne, puisque son père Jean de Bourbon, bien qu’emprisonné par les Anglais, était toujours chef de nom et d’armes de la famille. Pourtant, l’emploi des pleines armes de Bourbon est attesté chez Charles dès 1427 (base SIGILLA), avant même son accession au trône ducal (1434) et alors que son père est toujours en vie. De plus, les pratiques héraldiques des Bourbons, si elles témoignent d’une volonté évidente de rappeler l’ancienneté et la noblesse de leurs origines – comme le prouve, par exemple, les décors de la Sainte-Chapelle du château –, ne valorisent jamais leur lien de filiation avec les premiers seigneurs de Bourbon.

Bourbon-L’Archmbault, tour Quiquengrogne, vision d’ensemble.

Bien au contraire, c’est leur sang royal et leur filiation patrilinéaire avec saint Louis qui est systématiquement valorisée et mise en scène. Les ducs privilégient donc naturellement leurs armoiries fleurdelisées et abandonnent totalement l’emploi des premières armes seigneuriales. Cet abandon est d’ailleurs confirmé par une lettre d’anoblissement et de concession, datée de 1334 (Paris, AN, AE//343 : base ARCHIM), dans laquelle le duc Louis Ier († 1341) augmente de fleurs de lis brisées les armoiries de deux de ses chevaliers, Jean et Guy de Bourbon (fils bâtards du duc ou issus d’une branche cadette), qui portaient des armes dont « lescu est dor a un lion rampant de guelles et a un orle de coquilles dasu » (Hablot 2016, p. 257). Les premières armoiries des seigneurs de Bourbon, sorties de la panoplie emblématique ducale et documentées chez des nobles de plus basse extraction déjà dans la première moitié du XIVe siècle, n’auraient donc aucune raison de figurer, un siècle plus tard, sur un décor d’une telle importance et d’une telle visibilité.

En l’absence de preuve convaincante du contraire, il faut donc admettre que la restauration du cartouche armorié de la tour n’a sans doute pas été fidèle à la réalité historique. Le décor présentait plus probablement les armes ducales de Bourbon et de Bourgogne dans leur forme moderne, célébrant le renouvellement de l’alliance entre les deux familles princières suite au mariage de Charles Ier et d’Agnès, dont les armes figurent déjà sur les deux gargouilles avoisinantes.

 

 

 

 

 

Auteur : Antoine Robin

Pour citer cet article

Antoine Robin, Bourbon-L’Archambault, château (tour Quiquengrogne), https://armma.saprat.fr/monument/bourbon-larchambault-chateau-tour-quiquengrogne/, consulté le 21/11/2024.

 

Bibliographie sources

Jean d’Oronville, La chronique du bon duc Loys de Bourbon, ed. A.-M. Chazaud, Paris 1876.

Moulins, AD 03, L 850, ff. 18-30v.

Paris, AN, AE/II/343.

La Mure, Jean-Marie de, Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez, en forme d’annales, sur preuves authentiques, tome II, Paris 1868, p. 188-189.

Bibliographie études

Barbier de Montault Xavier, Le château de Bourbon-L’Archambault (Allier), Moulins 1876.

Bruand Yves, « Le château de Bourbon-L’Archambault », Congrès Archéologique de France, Paris 1991, p. 97-108.

Hablot Laurent, « L’héraldique au service de l’histoire. Les armoiries des bâtards à la fin du Moyen-Âge, études de cas », dans C. Avignon (dir.), Bâtards et bâtardises dans l’Europe médiévale et moderne, Rennes 2016, p. 257-277.

Photographies du monument

Armoiries répertoriées dans ce monument

Bourbon-L’Archambault, château (tour Quiquengrogne). Armoirie Agnès de Bourgogne (armoirie 1)

Mi-parti : au 1, d’(azur) à trois fleurs de lis d’(or) à la bande de (gueules) brochant (Bourbon) ; au 2, écartelé au 1 et 4, d’(azur) semé de fleurs de lis d’(or) à la bordure componée d’(argent) et de (gueules) (Touraine), au 2 et 3, bandé (ici barré) de six pièces d’(or) et d’(azur), à la bordure de (gueules) (Bourgogne) ; sur le tout d’(or) au lion de (sable) armé et lampassé de (gueules) (Flandre).

  • Attribution : Bourgogne Agnès de
  • Tenants / Supports : Un griffon
  • Position : Extérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Tour de l'enceinte
  • Emplacement précis : Mur
  • Support armorié : Gargouille
  • Structure actuelle de conservation : Déplacée dans le même monument
  • Technique : Sculpture en pierre
  • Période : 1401-1425 ; 1426-1450 ; 1451-1475
  • Dans le monument : Bourbon-L’Archambault, château (tour Quiquengrogne)

Bourbon-L’Archambault, château (tour Quiquengrogne). Armoirie Charles Ier de Bourbon (armoirie 2)

D’(azur) à trois fleurs de lys d’(or), au bâton en bande de (gueules)  brochant.

  • Attribution : Bourbon Charles Ier de ; Armoirie restaurée
  • Tenants / Supports : un lion
  • Position : Extérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Tour de l'enceinte
  • Emplacement précis : Mur
  • Support armorié : Gargouille
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Sculpture en pierre
  • Période : 1401-1425 ; 1426-1450 ; 1451-1475 ; 1901-2000
  • Dans le monument : Bourbon-L’Archambault, château (tour Quiquengrogne)

Bourbon-L’Archambault, château (tour Quiquengrogne). Armoirie restaurée (Bourbon ?) (armoirie 3)

(D’azur semé de fleurs de lis d’or au bâton en bande de gueules brochant ou d’azur à trois fleurs de lis d’or, au bâton en bande de gueules brochant).

  • Attribution : Armoirie bûchée ; Armoirie restaurée ; Bourbon famille de
  • Position : Extérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Tour de l'enceinte
  • Emplacement précis : Mur
  • Support armorié : Pierre sculptée
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Relief en pierre
  • Période : 1401-1425 ; 1426-1450 ; 1451-1475 ; 1901-2000
  • Dans le monument : Bourbon-L’Archambault, château (tour Quiquengrogne)

Bourbon-L’Archambault, château (tour Quiquengrogne). Armoirie bûchée et restaurée (armoirie 4)

De…

  • Attribution : Armoirie bûchée ; Armoirie illisible ; Armoirie restaurée
  • Position : Extérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Tour de l'enceinte
  • Emplacement précis : Mur
  • Support armorié : Pierre sculptée
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Relief en pierre
  • Période : 1401-1425 ; 1426-1450 ; 1451-1475 ; 1901-2000
  • Dans le monument : Bourbon-L’Archambault, château (tour Quiquengrogne)

Bourbon-L’Archambault, château (tour Quiquengrogne). Armoirie bûchée et restaurée (armoirie 5)

De…

  • Attribution : Armoirie bûchée ; Armoirie illisible ; Armoirie restaurée
  • Position : Extérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Tour de l'enceinte
  • Emplacement précis : Mur
  • Support armorié : Pierre sculptée
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Relief en pierre
  • Période : 1401-1425 ; 1426-1450 ; 1451-1475 ; 1901-2000
  • Dans le monument : Bourbon-L’Archambault, château (tour Quiquengrogne)

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