Surplombant la Garonne, le village d’Auvillar est situé aux confins du département de Tarn-et-Garonne, en Gascogne. Dès l’époque carolingienne, voire à la période antique (une statue de Vénus des Ier-IIIe siècles a été découverte en 1949 dans le sol de la nef de l’église : base POP) un point fortifié contrôle la vallée et le fleuve (Garrigou-Grandchamp 2022, p. 12). Au XIe siècle, Auvillar devient le siège d’une importante vicomté indépendante, détachée de celle de Gascogne. Le bourg se développe dès la première moitié du XIIe siècle autour de deux pôles (ibid., p. 13) : un près du château et un second, dit le faubourg de la Sauvetat. Aux marges de celui-ci est construite l’église Saint-Pierre, classée Monument Historique en 1862 (base POP), qui à l’origine était un prieuré du monastère bénédictin Saint-Pierre du Mas-Grenier, distant d’une quarantaine de kilomètres. Une inscription en marbre, aujourd’hui insérée à la base du clocher, rappelle le souvenir d’un prêtre chapelain de cette église, décédé en 1186 (Corpus 1982, p. 115). Cependant, les documents d’archives concernant l’église ne remontent pas au-delà du milieu du XIIIe siècle, époque à laquelle les moines bénédictins possèdent la cura animarum ou charge des âmes de la paroisse d’Auvillar. Une petite communauté de religieux semble avoir résidé sur place, dans un corps de bâtiments situé sur le flanc nord de l’église, aujourd’hui disparu (Garrigou-Grandchamp 2022, p. 39).
Auvillar, église Saint-Pierre, vue générale de l’intérieur de la nef (photo : E. Moureau).
L’église Saint-Pierre, bâtie en pierres blanches bien appareillées à partir du XIIe siècle et largement transformée aux XIII-XV siècles, a des formes monumentales – elle fait 43 mètres de long sur 27 mètres de large – mais adopte un plan simple : une vaste nef centrale à trois travées est accolée de deux larges bas-côtés, l’une comme les autres voûtés sur des croisées d’ogives. Le bas-côté nord se termine par une absidiole couverte d’un cul-de-four et le chevet, rectangulaire, est voûté d’ogives avec liernes et tiercerons. De vastes fenêtres à réseaux laissent entrer la lumière. De la phase romane ne subsistent que l’absidiole nord, avec des chapiteaux sculptés de motifs végétaux, ainsi que l’arc triomphal, qui retombe sur des piliers à colonnes engagées. Au milieu du XIIIe siècle, le chevet semi-circulaire d’origine a été en effet remplacé par l’actuel grand vaisseau rectangulaire à deux travées, tandis que la nef et les bas-côtés sont édifiés au XIVe siècle, comme en témoigne notamment le décor sculpté : les piliers ornés de feuillages, chasseurs, animaux et chimère, tout comme la clé de voûte de la troisième travée du collatéral nord qui figure un saint Pierre, coiffé de la tiare et portant une croix et une clé. Après la guerre de Cent Ans, dans la deuxième moité du XVe siècle, le voûtement du chœur est entièrement repris et des nouvelles clés de voûte sculptées sont mises en place, dont l’une représente à nouveau le prince des apôtres, avec une curieuse tiare fleurdelysée. Enfin, Jean IV de Clermont-Toucheboeuf, abbé du Mas-Grenier, entreprend en 1540 la construction de la forte tour du clocher (Joy 2014). Après avoir été fortement endommagée en 1570 par les protestantes, l’église d’Auvillar fait l’objet de nouveaux travaux entre 1602 et 1620. Toutefois, à la fin du XVIIIe siècle, l’église Saint-Pierre, faute d’entretien, est en mauvais état et une partie de la charpente de la nef s’effondre en 1790. Remplacée par une voûte en bois, elle chute à nouveau en 1860 et une voûte en maçonnerie légère est alors construite en 1867, tandis que la façade occidentale (inachevée) est rebâtie en 1884 par Théodore Olivier (Garrigou-Grandchamp 2022, p. 42).
Auvillar, église Saint-Pierre, retable peint sur le mur du chevet (photo : J.-F. Peiré-DRAC Occitanie).
Si l’intérieur de l’église se signale par la présence d’un riche décor pictural sur les murs de la nef et du chœur, ainsi que sur les voûtes (milieu XIIIe siècle et XVe siècle), qui a été découvert lors de la restauration de l’édifice en 2009-2022, des éléments armoriés participent de la mise en signe du chevet. La clé de voûte de la seconde travée du chœur, datée du milieu du XVe siècle, porte les armes du roi de France à trois fleurs de lis d’or surmontées d’une couronne fleurdelysées et inscrites dans un réseau flamboyant (armoirie 1a). Ces mêmes armoiries, portées par deux anges, se retrouvent sculptées sur le chapiteau de l’angle sud-est du chevet (armoirie 1b). Si la présence des armes royales dans un édifice religieux est tout à fait commune dans la France de la fin du Moyen Âge, elles pourraient être ici plus intimement liée à l’histoire d’Auvillar : acquise par le roi Philippe IV le Bel en 1301, qui la donne à Arnaud de Goth, frère du pape Clément V, elle est dévolue par mariage aux Armagnacs en 1336 puis aux Foix en 1481, aux Albret en 1525 et, suite à l’accession au trône d’Henri IV, intégrée au domaine royal (ibid.). Les deux armoiries pourraient donc dater d’une des deux périodes durant lesquelles Auvillar était passée sous la tutelle du roi de France à la suite de la confiscation des biens de Jean V comte d’Armagnac, soit entre 1455 et 1461, soit entre 1470 et 1481 (Galabert 1907). Cela trouverait confirmation dans la reconstruction de l’édifice au milieu du XVe siècle.
Ecu aux armes supposées de l’abbé Géraud de Prat. Auvillar, église Saint-Pierre (photo : E. Moureau).
Par ailleurs, un lien avec la famille royale semble avoir été établi aussi par les peintures, bien plus tardives, retrouvées dans la chapelle latérale sud. Sur un premier décor sous-jacent médiéval de fausse-coupe de pierre a été réalisé une vaste composition de même nature que le faux retable du chœur, datant du XVIIe siècle (Moureau, Parrot, Ruiz 2015), avec des guirlandes avec rinceaux et fleurs mais également des arbres couverts de fruits (pommes et poires, un dragon, un rapace et deux autres oiseaux). Si la signification de ce décor n’est pas encore établie, la présence sur les clés des arcs formerets des deux murs latéraux de fleurs de lys entourées de deux dauphins couronnés laisse supposer que ces peintures ont été réalisées à l’occasion de la naissance du Dauphin de France (le futur Louis XIII), soit peu après le 27 septembre 1601.
En face du pilier aux armes royales, un chapiteau est orné d’un écu porté par deux lions (armoirie 2), probablement gratté à un moment indéterminé pour le rendre illisible. Sur le pilier médian nord du chevet, deux griffons soutiennent un écu également lisse (armoirie 3) : peut-être portant à l’origine des armoiries peintes, il est surmonté d’un chapeau ecclésiastique avec six houppes de chaque côté. Un chapeau avec douze houppes – qui identifie d’habitude les évêques, abbés réguliers, protonotaires apostoliques et vicaires-généraux – surmonte aussi l’écu armorié sculpté sur le chapiteau du pilier médian sud qui lui fait face, celui-ci portant une armoirie avec trois fleurs à cinq pétales tigées, présentant encore des traces de couleur rouge, et un chef bandé (armoirie 4). Si ces armes ne correspondent à celles d’aucun évêque de Condom (évêché dont dépendait Auvillar jusqu’en 1790), nous noterons que, parmi les abbés du Mas-Grenier, Géraud de Prat (1464-1500) (Jouglar 1864, p. 98-100), dont les armes n’étaient pas connues jusqu’à présent, pourrait avoir porté comme armoiries parlantes ces fleurs qui évoquent son nom (prat signifiant pré en occitan). Puisqu’il a eu une activité documentée de bâtisseur, ayant relevé de ses ruines l’église abbatiale du Mas-Grenier dont il a été abbé, il ne serait pas incongru que Géraud de Part soit également à l’initiative de la restauration du chevet de l’église d’Auvillar, important prieuré de son abbaye dont il a occupé la charge avant d’être élu abbé du Mas-Grenier (ibid., p. 98).
Chapiteau aux armes du roi de France. Auvillar, église Saint-Pierre (photo : E. Moureau).
Une clé armoriée orne enfin la voûte de la chapelle Notre-Dame de Pitié (l’actuelle sacristie) (armoirie 5), située à l’emplacement à l’origine occupé par l’absidiole sud. L’écu, posé sur un réseau flamboyant, figure sur fond de gueules une croix en pointe, une fasce crénelée et trois étoiles à huit rais en chef, le tout d’argent. Cette polychromie est toutefois moderne et ne correspond peut-être pas aux émaux d’origine des armoiries. Comme le propose Pierre Garrigou-Grandchamp (2022, p. 57), ces armes pourraient être celles de Raymond de Bernard – prêtre qui précise, dans son testament de 1493, de vouloir doter d’une chapellenie la chapelle qu’il avait fait déjà construire – ou celles de son frère du même nom « bourgeois et marchand » qui, dans son testament de 1502, élit sa sépulture dans cette même chapelle de Notre-Dame-de-Pitié (Marboutin 1938, p. 52).
Auteur : Emmanuel Moureau
Pour citer cet article
Emmanuel Moureau, Auvillar, église Saint-Pierre, https://armma.saprat.fr/monument/auvillar-eglise-saint-pierre/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie études
Galabert François. « Ch. Samaran. La maison d’Armagnac au XVe siècle et les dernières luttes de la féodalité dans le Midi de la France. (Mémoires et documents publiés par la Société de l’École des Chartes, t. VII.) Paris, Picard, 1907 », Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, 21, 83, 1909, p. 372-380.
Garrigou-Grandchamp Pierre, L’église Saint-Pierre d’Auvillar. Histoire et archéologie d’un monument majeur de la Lomagne, Canens 2022.
Jouglar Adolphe, Monographie de l’abbaye du Mas-Grenier, Toulouse 1863.
Joy Diane, « Auvillar, église Saint-Pierre », Congrès archéologique de France, 170e session, Tarn-et-Garonne, Paris 2012, p. 27-35.
Magny Ludovic de, La science du blason : accompagnée d’un armorial général des familles nobles de l’Europe, Paris 1858.
Marboutin Jean-Raoul, « L’église d’Auvillar (Tarn-et-Garonne) », Revue de Gascogne, 33, 1938, p. 49-55, 97-103.
Moulenq François, Documents historiques sur le Tarn-et-Garonne, t. 3, Montauban 1881.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Auvillar, église Saint-Pierre. Armoirie roi de France (armoirie 1a)