ArmmA

ARmorial Monumental du Moyen-Âge
Afficher la recherche

Rechercher dans le site

Recherche héraldique

Amboise, château (tour des Minimes)

 

Le château d’Amboise est ceinturé d’une enceinte percée de deux entrées monumentales : la tour des Minimes, au nord, et la tour Heurtault, au sud. Ces deux ouvrages, inspirés des grandes tours cylindriques des forteresses contemporaines comme Nantes, Chaumont ou Langeais, conservent une vocation militaire, comme en témoignent les embrasures de tir réparties sur toute leur hauteur (Babelon 2004, p. 68). Toutefois, leur fonction principale dépasse la simple défense : elles offrent avant tout un accès majestueux au château, servant ainsi à la mise en scène du pouvoir royal.

Il semblerait que la première élevée soit la tour des Minimes, ainsi nommée en raison de la proximité d’un couvent appartenant à cet ordre, situé en bord de Loire. Elle est attestée dans les comptes royaux dès 1495-1496 (Babelon 2004, p. 69). On y accède par une porte monumentale surmontée d’un panneau héraldique, dont les reliefs sculptés ont été en grande partie mutilés. Nous pouvons néanmoins distinguer deux écus bûchés, mais encore partiellement lisibles. Celui de droite était entouré d’un collier de l’ordre de Saint-Michel, dont on devine encore les traces (armoirie 1a). Celui de gauche était en revanche encadré par un collier de l’ordre du Croissant (armoirie 2a), dont la présence n’a jamais été signalée jusqu’à présent par les sources sur le château et par l’historiographie qui, à propos de ce relief, parle de deux écus aux armes pleines de France (Babelon 2004, p. 70 ; Gaugain 2022, p. 210) ou bien portant l’un les armes de Charles VIII, l’autre celles d’Anne de Bretagne (Bossebœuf 1897, p. 217).

Amboise, château d’Amboise (tour des Minimes), détail du portail d’entrée surmonté du relief armorié.

Or, la présence du collier de l’ordre du Croissant suggère une toute autre lecture de cet ensemble armorié qui, de toute évidence, était chargé d’une dimension politique qui a été jusqu’à présent ignorée. Fondé en 1448 par René d’Anjou, roi de Sicile et de Jérusalem, l’ordre du Croissant répondait initialement à une ambition dynastique et politique, celle de réunir les possessions angevines dispersées et raviver la prétention angevine sur le royaume de Naples, perdu en 1442 au profit des Aragonais (Mérindol 2000). À la mort de René d’Anjou en 1480 l’ordre du Croissant s’éteint et les possessions angevines reviennent progressivement à la couronne de France : la Lorraine en 1453, l’Anjou en 1471 sous Louis XI, et enfin la Provence en 1481. Cependant, dès son accession au trône en 1483 Charles VIII revendique également la possession du royaume de Naples (Mérindol 2000, p. 508) et, dès 1494, profite de la mort de Ferrante Ier pour réclamer la couronne napolitaine. Se fondant sur l’héritage des droits angevins, il fait examiner par des juristes les actes de succession au royaume de Naples et prétend y trouver la confirmation de sa légitimité (Babelon 2004, p. 85). Le jeune roi se persuade alors que son projet accomplit une mission divine au service de la chrétienté et envisage son expédition militaire dans le sud de l’Italie comme une nouvelle croisade, visant à rétablir son pouvoir sur Naples avant de poursuivre vers Constantinople et Jérusalem. En septembre 1494, Charles quitte ainsi Amboise pour l’Italie. Le 22 février 1495, il entre à Naples et, le 12 mai, il ceint les couronnes de Naples et de Jérusalem. Son ambition est cependant de courte durée puisque, revenu en France en novembre 1495, il doit faire face à l’échec de son entreprise et à l’expulsion des Français d’Italie (Babelon 2004, p. 87-90).

Mentionnée dans les comptes dès 1495, la porte des Minimes est donc un ouvrage strictement contemporain de l’expédition italienne, dont l’ornementation héraldique pourrait prendre une signification différente en fonction du moment où la commande de sa réalisation a été passée, à savoir avant ou après le retour en France du roi. En effet, dans le cas d’une commande passée depuis l’Italie, ce décor traduirait la volonté du souverain de manifester son statut de roi de France et de Naples à travers un programme architectural et iconographique glorifiant son double règne. En revanche, s’il s’agissait d’une commande passée après le retour de Charles VIII en novembre 1495, le relief armorié pourrait se présenter comme un acte de contestation face à la perte du royaume italien, un refus d’accepter la légitimité de son éviction et une affirmation de sa prétention malgré les revers militaires.

Dans un cas comme dans l’autre, la présence du collier de l’ordre du Croissant accompagnant l’armoirie du roi sur la porte des Minimes prend tout son sens, évoquant la tradition angevine et le souvenir des ambitions napolitaines de la maison d’Anjou. Sa présence permet également d’identifier l’armoirie qui était figurée sur l’écu de senestre (armoirie 2a) puisque, dans l’emblématique royale, le collier du Croissant est exclusivement associé aux armes que Charles VIII arborait après son couronnement à Naples : un écartelé aux armes d’Anjou-Sicile et de Jérusalem, que nous retrouvons, toujours entouré de l’insigne de l’ordre du Croissant, aussi sur le tombeau du roi, aujourd’hui disparu mais documenté par une aquarelle de Louis Boudan pour François-Roger de Gaignières (Oxford, Bodleian Library, Gough drawings Gaignières 2, fol. 48 : Collecta). Ce tombeau mettait en scène la persistance de la prétention napolitaine de Charles VIII à travers un déploiement d’armoiries et de devises, parmi lesquelles figuraient des épées flamboyantes et des initiales « K », que le souverain employa également à son retour de Naples.

Portant donc, d’une part, les armes pleines de France, avec le collier de l’ordre de Saint-Michel (à senestre), et d’autre part, un écartelé Anjou-Jérusalem, avec le collier de l’ordre du Croissant (à dextre), les deux écus sculptés sur la porte des Minimes présentaient ainsi Charles VIII à la fois comme roi de France et comme souverain du royaume de Naples et de Jérusalem. Un procès-verbal d’état des lieux du château rédigé en 1761, donc avant les destructions révolutionnaires, permet d’avoir davantage d’informations sur cette composition héraldique, en précisant qu’à l’époque trois écus aux armes de France et couronnés étaient visibles : « les deux du bas ornés de cordons et celui du haut de deux salamandres couronnées » (Tours, AD Indre-et-Loire, C 950, fol. 7r : Gaugain 2022, p. 210). Si le document preuve qu’au XVIIIe siècle la signification des armoiries associées à l’ordre du Croissant était déjà tombée dans l’oubli, la mention d’une troisième armoirie fleurdelisée, aujourd’hui disparue, accompagnée de deux salamandres couronnées (armoirie 1b), devise de François Ier, révèle une modification ultérieure du décor héraldique surement commandée par le nouveau souverain soucieux au même temps de signifier son intervention architecturale et affirmer sa propriété du château et, vraisemblablement, de se présenter comme l’héritier de Charles VIII, dans une logique de continuité dynastique.

Clef de voûte chargée d’un écu aux épées palmées. Amboise, château d’Amboise, tour des Minimes, intérieur.

L’héraldisation de la tour des Minimes ne s’arrête pas au panneau sculpté placé sur l’entrée monumentale. Des images héraldiques et emblématiques ornent également les clefs de voûte visibles à son intérieur, dont l’authenticité peut sembler cependant parfois douteuse en raison de l’intervention des architectes Victor et Gabriel Ruprich-Robert au XIXe siècle. Louis Bossebœuf, qui décrit le château en 1897, alors que les travaux de restauration sont encore en cours, fournit néanmoins un témoignage précieux sur les motifs sculptés existants à son époque (Bossebœuf 1897, p. 217), puisqu’il mentionne également les éléments héraldiques et emblématiques encore visibles de nos jours. Si dans la partie inférieure de la tour les clefs de voûte sont ornées de fleurons et de motifs courants, à partir de l’étage où commence le dallage en pavés et où les ouvertures s’agrandissent vers l’extérieur, les ornements des clefs montrent un changement de thème et une évolution stylistique qui suggère l’intervention de nouveaux sculpteurs, voire d’un autre maître d’œuvre. Les décors emblématiques de cette section se succèdent selon une organisation précise : on distingue d’abord des K adossés (initiales de Charles VIII), entourés de motifs végétaux enroulés ; ensuite, un A initial d’Anne de Bretagne, conçu de manière élaborée (deux cornets noués en leur sommet le composent, laissant échapper des tiges feuillagées vers l’extérieur, tandis que l’intérieur est orné d’hermines entrelacées, formant le lien de la lettre) ; puis, un ange qui présente les armes de France (armoirie 1c) ; et enfin, sur l’avant-dernier pendentif, deux anges tenant un écu chargé d’une épée palmée, devise de Charles VIII. Ces clefs suggèrent alors un phasage de la construction s’étendant sur l’ensemble du règne de Charles VIII, dans la mesure où les épées palmées, adoptées par le roi à l’occasion de sa chevauchée triomphale dans la ville de Naples à peine conquise (12 mai 1495) (Babelon 2004, p. 99), ne se rencontrent que dans la partie supérieure de l’édifice.

Au sommet de la tour, la voûte, entièrement restaurée par les architectes Victor et Gabriel Ruprich-Robert, se distingue par une élévation plus importante. Ses clefs reprennent des motifs inspirés des décors précédents, agrémentés cependant des armoiries des Orléans qui, présentées par un ange à la retombée des voutes de l’entrée supérieure de la tour, constituent une invention totale du XIXe siècle (armoirie 3a). Enfin, dans le portique extérieur, divisé en quatre travées et édifié sous Charles VIII pour donner accès à la tour, nous rencontrons un écu bûché dont l’authenticité ne fait guère de doute (armoirie 1d). Situé dans la travée faisant face à l’entrée de la tour, il présente des traces de perforations suggérant l’installation ultérieure d’un dispositif d’accrochage, tel qu’une suspension ou un lustre. L’écu, inscrit dans un décor de feuillage ou de draperie et encadré de feuilles d’acanthes, devait probablement porter les armes de France, comme l’indique la présence originaire d’une couronne par la suite bûchée et recouverte d’enduit.

Auteur : Sarah Héquette

Pour citer cet article

Sarah Héquette, Amboise, château (tour des Minimes), https://armma.saprat.fr/monument/amboise-chateau-tour-des-minimes/, consulté le 31/03/2025.

 

Bibliographie études

Babelon Jean-Pierre, Le Château d’Amboise, Arles 2004.

Bossebœuf Louis, Amboise. Le château, la ville et le canton, Tours 1897.

Gaugain Lucie, « Le décor du château d’Amboise de Charles VIII à Anne de Bretagne : monogrammes, emblématique et symbolique », dans L. Hablot, M. Metelo de Seixas, M. Ferrari (dir.), Devises, lettres, chiffres et couleurs : un code emblématique, 1350-1550, Lisbonne 2022, p. 205-219.

Mérindol Christian de, « L’ordre du Croissant. Mises au point et perspectives », dans N. Coulet, J.-M. Matz (dir.), La noblesse dans les territoires angevins à la fin du Moyen Âge, Rome 2000, p. 499-509.

Photographies du monument

Armoiries répertoriées dans ce monument

Amboise, château (tour des Minimes). Armoirie roi de France (armoirie 1a)

(D’azur à trois fleurs de lis d’or).

Collier d’ordre : ordre de saint Michel.

  • Attribution : Charles VIII roi ; Armoirie bûchée ; Roi de France
  • Timbre : Une couronne
  • Position : Extérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Tour
  • Emplacement précis : Portail
  • Support armorié : Relief
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Sculpture en pierre
  • Période : 1476-1500
  • Dans le monument : Amboise, château (tour des Minimes)

Amboise, château d’Amboise (tour des Minimes). Armoirie roi de France (armoirie 1c)

D'(azur) à trois fleurs de lys d'(or).

  • Attribution : Roi de France
  • Tenants / Supports : Un ange
  • Position : Intérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Tour
  • Emplacement précis : Voûte
  • Support armorié : Clef de voûte
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Sculpture en pierre
  • Période : 1476-1500
  • Dans le monument : Amboise, château (tour des Minimes)

Amboise, château d’Amboise (tour des Minimes). Armoirie roi de France (armoirie 1d)

(D’azur à trois fleurs de lys d’or).

  • Attribution : Armoirie bûchée ; Roi de France
  • Timbre : Une couronne
  • Position : Extérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Porche
  • Emplacement précis : Voûte
  • Support armorié : Clef de voûte
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Sculpture en pierre
  • Période : 1476-1500
  • Dans le monument : Amboise, château (tour des Minimes)

Amboise, château (tour des Minimes). Armoirie Anjou-Sicile / Jérusalem (armoirie 2a)

(Écartelé : aux 1 et 4 d’azur à trois fleurs de lis d’or au lambel de gueules [Anjou-Sicile] ; aux 2 et 3 d’argent à la croix potencée d’or cantonnée de quatre croisettes du même [Jérusalem]).

Collier d’ordre : ordre du Croissant.

  • Attribution : Roi de Naples ; Charles VIII roi ; Armoirie bûchée
  • Timbre : Une couronne
  • Position : Extérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Tour
  • Emplacement précis : Portail
  • Support armorié : Relief
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Sculpture en pierre
  • Période : 1476-1500
  • Dans le monument : Amboise, château (tour des Minimes)

Amboise, château d’Amboise (tour des Minimes). Armoirie Orléans (armoirie 3a)

D'(azur) à trois fleurs de lys d'(or), au lambel d’(argent).

  • Attribution : Orléans famille ; Armoirie restaurée
  • Tenants / Supports : Deux marmousets
  • Position : Intérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Tour
  • Emplacement précis : Voûte
  • Support armorié : Cul-de-lampe (culot)
  • Structure actuelle de conservation : In situ
  • Technique : Sculpture en pierre
  • Période : 1801-1900
  • Dans le monument : Amboise, château (tour des Minimes)

Amboise, château (tour des Minimes). Armoirie roi de France (armoirie 1b)

(D’azur à trois fleurs de lis d’or).

  • Attribution : Roi de France
  • Timbre : Une couronne
  • Devise : Deux salamandres couronnées.
  • Position : Extérieur
  • Pièce / Partie de l'édifice : Tour
  • Emplacement précis : Portail
  • Support armorié : Relief
  • Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
  • Technique : Sculpture en pierre
  • Période : 1501-1525
  • Dans le monument : Amboise, château (tour des Minimes)

Recherche

Menu principal

Haut de page