Amboise, château (logis)
Outre la tour des Minimes et la tour Heurtault, les logis du château d’Amboise étaient également ornés d’armoiries et fortement imprégnés d’emblématique. À leur avènement, Anne de Bretagne et Charles VIII s’installèrent dans le logis du donjon, aujourd’hui disparu, édifié sous Louis XI et Charlotte de Savoie et réaménagé entre 1493 et 1496 (Loiseau de Grandmaison 1868-1870, p. 253-304 ; Gaugain 2013, p. 261-282). Conformément aux usages de l’époque, Charles VIII résidait à l’étage tandis qu’Anne de Bretagne logeait au rez-de-chaussée. Au premier étage, l’oratoire du roi, probablement aménagé dans un angle de sa chambre, était décoré, comme les grandes chambres, de taffetas jaune et gris — des couleurs associées à l’emblématique de Charles VIII — agrémenté de doubles S en velours noir (Gaugain 2022, p. 207). Une des chambres du logis était peut-être dotée d’une cheminée dont un piédroit est conservé dans l’un des dépôts lapidaires du château (Gaugain 2022, p. 208). Il est sculpté de S barrés dans douze médaillons, dont la signification demeure incertaine. Souvent accompagné de la devise royale « Plus qu’aultre » (Paris, BnF, ms. Fr. 376, fol. 1 et tapisserie de la guerre de Troie conservée au Victoria and Albert Museum : Vrand 2020, p. 252), le S, associé au terme « fermessa », évoquerait la fidélité, une qualité essentielle du preux chevalier (Thomas 2012, p. 133), mais il pourrait également faire référence au soleil et à la sagesse de Salomon, en écho à un passage du Nouveau Testament comparant la splendeur des lys à la gloire du roi biblique. À la veille de son sacre, le dauphin Charles composa d’ailleurs, avec son aumônier, une Prière de Salomon destinée à obtenir la sagesse (sapientia) (Gaugain 2022, p. 213).
Dès l’hiver 1495-1496, un second logis, plus vaste et plus représentatif des prétentions monarchiques de Charles VIII, fut construit sous le nom de logis des Sept Vertus, dont le nom dérive des statues en terre cuite représentant les personnifications des vertus qui l’ornaient, illustrant les qualités chevaleresques et catholiques sur lesquelles était fondée l’éthique princière à la fin du Moyen Âge. Bien que fonctionnant concomitamment avec le logis du donjon, ce nouvel édifice était marqué par volonté d’affirmation politique et dynastique du souverain, en lien avec ses ambitions italiennes. Son décor, fortement empreint d’iconographie chevaleresque et héraldique, s’inscrivait ainsi dans une stratégie de légitimation du pouvoir royal et de revendication des royaumes de Naples et de Jérusalem similaires de celles qui inspiraient les panneaux sculptés aux portes du château.
Bien que le logis, achevé à la fin de l’année 1496, ait disparu lors de l’incendie de 1789, son décor emblématique nous est partiellement connu grâce aux travaux du docteur Bruneau à la fin du XVIIIe siècle, basés sur les comptes de l’année 1495-1496, aujourd’hui disparus. D’après Bruneau « les quatre pinacles de ce singulier édifice » arboraient les armes de France accolées à celles de Jérusalem (armoiries 2c-f ?), tandis qu’un croissant, emblème de l’ordre chevaleresque homonyme, figurait sous l’écu (Bossebœuf 1897, p. 172). La description de ces décors héraldiques, systématiquement négligés par l’historiographie sur le château, ne permet malheureusement pas de reconstituer avec précision l’agencement des écus. Toutefois, il semble probable que les deux armoiries en question figuraient associées dans un seul écu qui devait être entouré par le collier de l’ordre du croissant. En analogie avec les ensembles héraldiques jadis visibles sur les portes des Minimes et Heurtault, l’écu ne devait donc pas porter les armes de France, mais celles d’Anjou écartelées à celles de Jérusalem. Par la même source, nous apprenons que même ce décor était complété par des épées palmées qui étaient sculptées en semis sur les murs extérieurs, tout comme dans la grande salle des gardes (Tours, AD Indre-et-Loire, C 950, fol. 2r : Bossebœuf 1897, p. 172 ; Gaugain 2022, p. 209).

Amboise, château d’Amboise, logis côté cour.
L’intérieur du logis était conçu comme une mise en scène du pouvoir royal. À l’occasion de la venue du cardinal de Bourbon en 1498, les appartements furent aménagés dans une palette de couleurs spécifique : violet, gris, noir et blanc (Thomas 2019a). Ces teintes, attestées dès 1495 dans les aménagements du château, reprenaient celles arborées par Charles VIII lors de sa victoire à Fornoue en 1495, inscrivant ainsi dans l’architecture la mémoire des succès militaires du souverain (Gaugain 2022, p. 212). L’emblématique royale s’exprimait également dans le décor des verrières, qui ornaient les logis du roi et de la reine, situés au premier étage. L’inventaire de 1495-1496 mentionne ainsi des vitraux réalisés par le maître verrier Gille Jourdain, comportant des épées palmées associées aux initiales des souverains : des « A » et des palmes pour Anne de Bretagne, des épées et des palmes pour Charles VIII (Gaugain 2014, p. 113). L’iconographie du logis des Sept Vertus, bien que largement méconnue aujourd’hui, s’inscrivait ainsi dans une stratégie de glorification royale et de continuité dynastique. Cette mise en scène du pouvoir reposait sur une articulation étroite entre architecture et emblématique, où références chevaleresques, armoiries et devises se répondaient dans un discours visuel cohérent. Des statues aux vitraux, en passant par les sculptures extérieures, chaque élément contribuait à forger une image monarchique forte, pour exalter la souveraineté de Charles VIII et légitimer ses prétentions sur Naples et Jérusalem.
Sous le règne de Charles VIII, un nouveau logis seigneurial à trois étages est édifié, dominant directement la Loire. Son intérieur présente des décors dont l’authenticité suscite aujourd’hui des interrogations en raison de la vaste campagne de restauration menée par Victor et Gabriel Ruprich-Robert entre 1874 et 1906 et du manque de sources textuelles les concernant. Le décor héraldique visible de nos jours se concentre dans la salle des États (ou salle du Conseil) qui, située au premier étage, s’ouvre à l’est sur les jardins. Cette vaste pièce se compose de deux nefs à cinq travées voûtées et est dotée de deux imposantes cheminées monumentales placées de part et d’autre. De son décor, intégralement repris par Victor et Gabriel Ruprich-Robert, seules les hermines ornant le manteau de la cheminée occidentale sont attestées par les sources (Gaugain 2022, p. 210). Il est néanmoins probable que la restitution du XIXe siècle ait respecté les ornements d’origine. En effet, les clefs de voûte portent les devises de Charles VIII ainsi que des écus aux armes de France et de Bretagne, éléments que l’on retrouve également sur le manteau de la grande cheminée. Les armes de Charles VIII, placées à senestre (armoirie 1g), sont entourées du collier de l’ordre de Saint-Michel, tandis que celles d’Anne de Bretagne, à dextre (armoirie 5a), sont ceintes de la cordelière. Les deux écus sont surmontés d’une couronne et tenus par un ange, l’ensemble étant disposé sur un champ semé d’hermines et d’épées palmées.

Amboise, château d’Amboise (logis), vue des lucarnes.
À l’extérieur, les grandes lucarnes donnant sur la Loire semblent offrir davantage de garanties quant à l’authenticité des décors (Labande-Mailfert 1950, p. 95 ; Babelon 2004, p. 79), bien qu’elles aient également été restaurées par Ruprich-Robert, comme l’atteste un dessin préparatoire pour la restitution de l’élévation (Mérimée PA00097503, num.° MH0099802 : POP). Si aucune source écrite ne permet de confirmer l’authenticité de ces décors, un fragment de lucarne, conservé dans l’un des dépôts lapidaires du château et portant des traces bûchées des épées et des lettres K, plaide en faveur de leur existence ancienne. Leur absence dans une lithographie antérieure aux restaurations (Tours, Bibliothèque municipale, L.A. Amboise, Est 11) ne semble en effet pas significative, étant ces éléments souvent négligés dans les représentations de ce genre en raison aussi de leur état de conservation.
Ces éléments sculptés semblent ainsi confirmer que, pour l’ornementation du château, Charles VIII a délibérément privilégié l’affichage de ses devises plutôt que de ses armoiries, un choix hautement significatif dans le contexte de sa campagne en Italie. Alors que ses armoiries, intemporelles et immédiatement reconnaissables, l’identifiaient avant tout comme roi de France, ses devises portaient une charge politique plus spécifique et plus personnelle, directement liée à ses prétentions au trône de Naples. En mettant en avant ces emblèmes plus intimes et confidentiels, le roi construisait un discours emblématique qui associait son règne aux vertus qu’il souhaitait incarner – telles que la sagesse ou la tempérance– et qui renforçait la légitimité de ses ambitions italiennes. Ce choix traduisait ainsi une volonté de s’affirmer non seulement comme souverain français, mais aussi comme héritier légitime du royaume de Naples, en s’appuyant sur un langage emblématique à la fois politique et personnel.

Jacques Androuet du Cerceau, Vue du château d’Amboise du costé de la rivière (1579), détail du Logis des Septs Vertus. Londres, British Museum, 1972,U.857 (dans Boudon, Mignot 2010, p. 151).
Un second logis donnant sur les jardins fut entrepris sous le règne de Charles VIII, mais le souverain ne put en voir l’achèvement, sa mort survenant subitement. Cette aile en équerre du logis seigneurial, abusivement désignée sous le nom d’« aile Louis XII », présente, sur les ébrasements de deux fenêtres de l’étage côté est, un décor sculpté composé d’un semis de fleurs de lis et d’hermines, encadré de cordelières et de bâtons de pèlerin ornés d’aumônières. Ces derniers imitent des arbres écotés, dont l’un conserve encore ses racines. Ce programme iconographique pourrait faire référence à la reine Anne de Bretagne, connue pour sa piété et son goût pour les pèlerinages (Babelon 2004, p. 104), mais aussi rappeler l’attachement de Charles VIII à cette pratique dévotionnelle (Thomas 2019a). Selon Évelyne Thomas, ce décor trouverait donc un prolongement dans celui de la chambre du roi dans le logis du donjon, dite « chambre des Micheletz », qui était ornée d’une tapisserie figurant des pèlerins (michelets), témoin du culte particulier rendu à saint Michel après la guerre de Cent Ans. Cette iconographie manifeste non seulement l’engouement pour le pèlerinage au Mont-Saint-Michel, mais aussi l’attachement du souverain à l’ordre de Saint-Michel, dont il était grand maître. La récurrence de cette thématique dans son nouveau logis suggère que Charles VIII envisageait peut-être d’étendre cette iconographie à l’ensemble de sa résidence, renforçant ainsi la dimension à la fois spirituelle et politique de son attachement au Mont-Saint-Michel.

Amboise, château d’Amboise (logis), salle du conseil avec cheminée armoriée.
Par ailleurs, le docteur Bruneau signale l’existence d’un décor peint sur le plafond du logis, composé d’un « L », initiale de Louise de Savoie, formé par douze ailes d’oiseaux, probablement exécuté lors des travaux menés sous Louis XII (Thomas 2019b, p. 59). Un décor similaire est attesté à Tours, dans l’hôtel de Beaune-Semblançay, à une époque où Louise de Savoie s’installa précisément au château avec ses enfants, Marguerite et François. D’après Bruneau, ses armoiries auraient figurées sur les lucarnes du logis (« les fenêtres les plus élevées ») (armoiries 6a-d ?), sous la forme d’un « mi-parti d’Orléans et de Savoie environnées (sic) de cordelières » (Tours, Bibliothèque municipale, ms. Fr. 1320, fol. 90 : Crépin-Leblond et alii 2015, p. 42). Bruneau fit sans doute confusion entre les armoiries d’Orléans (d’azur à trois fleurs de lys d’or au lambel d’argent de trois pendants) et celles d’Angoulême, effectivement portées par Louise de Savoie, qui se distinguent par l’ajout d’un croissant de gueules sur chaque pendant du lambel. Si ces observations se confirment, ces dernières armoiries témoigneraient d’une superposition de couches héraldiques correspondant aux différentes phases de construction du logis, chaque souverain cherchant à apposer ses emblèmes sur l’édifice. Cette dynamique se poursuit d’ailleurs sous François Ier, qui entreprend la surélévation du logis en 1515 et fait sculpter sur le pignon sud au-dessus du second bandeau, son emblème de la salamandre et, d’après Bruneau, un « F », initiale de son prénom (Babelon 2004, p. 110).

Amboise, château d’Amboise, lucarne du logis (dépôt lapidaire).
Côté cour, la façade de l’étage supérieur ne comportait à l’origine aucun décor, comme en attestent des photographies de 1890 (Paris, BnF, dép. estampes et photographie, VA-37 (1), H125739). L’ornementation actuelle est une restitution due aux Ruprich-Robert, inspirée de la façade postérieure. Il n’existait donc pas de pilastres autour des fenêtres avant la restauration. En revanche, la corniche à modillons est d’origine, de même que les hautes lucarnes, dont l’italianisme contraste avec les lucarnes flamboyantes du logis voisin (Babelon 2004, p. 110), ornées d’éléments héraldiques. De gauche à droite, on y trouve les armes de François Ier, entourées du collier de l’ordre de Saint-Michel et de « F » couronnés (armoirie 1h) ; un écu de Claude France, ceint de cordelières (armoirie 7) ; enfin, les armes de France, bizarrement entourées de cordelières (armoirie 1i). Ce dernier détail atteste du caractère fantaisiste de ce décor, qui résulte en effet intégralement d’une création de Ruprich-Robert, comme l’attestent les photographies antérieures aux restaurations, sur lesquelles les lucarnes apparaissent dépourvues de tout décor héraldique, et d’autres clichés qui montrent les nouvelles lucarnes venant d’être sculptées, avant qu’elles ne soient mises en place (Mérimée, PA00097503, num.°60L01280 et 60L01282 : POP). Ces ajouts héraldiques s’inscrivent dans un programme de restauration plus large, mené parallèlement à l’installation des armoiries du roi France, avec le collier de l’ordre de Saint-Michel (Charles VIII, Louis XII, François 1er ?) et d’Orléans sur les lucarnes de ce logis donnant sur les jardins (armoiries 1l ; 3b). Les restaurateurs, conscients du rôle de François Ier dans l’achèvement du logis, ont choisi de mettre en avant ce monarque, tout en répondant aux souhaits de la famille d’Orléans, propriétaire actuelle du château, de perpétuer la stratigraphie emblématique du site par l’apposition de leurs propres armoiries (la présence des initiales HO à côté de l’armoirie permettent d’attribuer la commande à Henri d’Orléans, duc d’Aumale).
Enfin, nous signalons la présence de quatre clefs de voûte armoriées, aujourd’hui conservées dans les dépôts lapidaires du château, mais dont la provenance exacte n’est pas connue. La première présente un écu en losange entièrement bûché, au-dessus ou au-dessous duquel un ornement semble avoir existé, possiblement un collier d’ordre ou plus probablement une cordelière (armoirie 8), puisque la forme losangée de l’écu suggère qu’il s’agissait d’armoiries féminines. L’écu aurait donc pu porter, dans le contexte du château d’Amboise, les armes de Anne de Bretagne ou celles de Louise de Savoie. La deuxième clef de voûte, également dépourvue d’ornement extérieur, porte un écu de forme traditionnelle, lui aussi martelé (armoirie 9). La troisième clef est ornée d’un écu aux armes de France, surmonté d’une couronne, et accompagné de salamandres sculptées de part et d’autre, ce qui permet de l’attribuer à François Ier (armoirie 1m) et imaginer sa provenance de la partie haute du logis sur le jardin, que le roi avait fait surélever. La quatrième clef présente un écu aux armes d’Anne de Bretagne entouré d’une cordelière (armoirie 5b) qui aurait pu aussi bien se trouver dans le logis des Sept Vertus, que dans les nouveaux logis édifiés par Charles VIII.