Fondée avant 783 par Roger comte de Limoges et par sa femme Euphrasie, au fil des siècles l’abbaye de Saint-Saveur de Charroux devint l’établissement monastique le plus considérable au diocèse de Poitiers, après Fontevrault, pour nombre et extensions des prieurés sujets : au XIIIe siècle elle vantera 213 établissements à ses dépendance (Eygun 1969, p. 15). C’est l’abbé Geoffroy qui, en 1017, entreprend la construction d’une première grande église abbatiale, dédicacée en 1027 mais détruite en 1048 par un incendie. Un nouveau chantier fut alors lancé pour bâtir l’immense église (elle atteindra les 114 mètres de longueur) dont on voit aujourd’hui les vestiges, dominées par la haute tour jadis au centre de la croisée ronde du transept (pour une synthèse voir base Gertrude).
Frappées par des revers économiques déjà au XIIIe siècle, elle fut pillée en 1346 au début de la guerre de Cent ans et, successivement, endommagée par les troupes qui s’y installèrent. En 1422 un grand incendie détruit la plupart des structures du monastère et brûla la charpente de l’église (Crozet 1969, p. 16; Bourgeois 2005, p. 47). Dans la même période, le nombre de moines et les revenus continuèrent à chuter.
La reforme de la gestion des biens de l’abbaye et la restauration des édifices furent promues par Jean Chaperon dans la seconde moitié du XVe siècle. Descendent d’une famille angevine, déjà prieur de Rié, il fut nommé abbé de Saint-Sauveur avant le 30 mai 1441 (mais selon Beauchet-Filleau 1895, II, p. 243 il aurait été nommé le 8 décembre 1444 ), quand un document le mentionne comme déjà en charge (De Monsabert 1910, p. 344, doc. CCXIX), et il le resta jusqu’à 1477 . Son activité de bâtisseur commença par la réparation des toitures – par exemple il fait couvrir le narthex de l’église par des plaques de plomb pour éviter les infiltrations d’eau (De Monsabert 1910, p. 378, doc. CCXXXIX) – et poursuit par la reconstruction de la salle capitulaire. Son oeuvre fut continué par Jean Fresneau, son neveu et successeur. Cependant c’est seulement l’« image » de Jean Chaperon qui s’affiche encore aujourd’hui à plusieurs endroits du cloître et de la salle capitulaire.
Il est probable que les travaux de réaménagement et reconstruction de cette partie de l’établissement furent réalisés dans la dernière phase de l’abbatiat de Jean Chaperon. En effet, une belle inscription en gothique, encore conservée sous une arcade au fond du cloître, témoignent des fouilles réalisées en 1473 dans le cloître, probablement pour jeter les fondations des structures nouvelles, et qui portèrent à la découverte de trois tombeaux d’abbés (Eygun 1952, p. 298; Crozet 1969, p. 21) : RESTAURATUR PATRUM HORUM / TRIUM HANC OSSA CLAUSTRORUM / PASTORALIBUS ABBATUM / REVERENDORUM CUM BACULIS / IN SUIS HIC MAUSOLEIS / REPERIUNTUR OCTOBRIS / PRIMA DIE MILLESIMI / QUADRINGENTESIMI (PRIMI) TERCII. On accédais au cloître du portail flamboyant, surement mis en place dans la même phase et qui s’ouvrait directement sur la croisée du transept. L’aile orientale du cloître ne conserva alors de son état roman que les volumes, puisque les édifices avaient été déjà très remaniés au XIIIe siècle (Bourgeois 2005, p. 54). Des travaux encore plus importants réalisés dans les années 1470 ne restent toutefois que des vestiges : les demi-colonnes adossées aux murs des édifices qui renfermaient la cour et les départs des voûtes qui couvraient les galléries.
Charroux, abbaye Saint-Sauveur, cloître, chapiteau à l’entrée de la salle du chapitre aux armes de l’abbé Jean Chaperon
Les armes de l’abbé marquaient la nouvelle construction et étaient placées, à notre avis, selon un plan établi pour leurs donner une visibilité maximale. Ceux qui accédaient au cloître de l’église trouvaient immédiatement une armoirie sur le chapiteau de la première colonne sur la gauche, celle qui se trouvait entre la première et la deuxième travées de la galerie orientale (armoirie 1). L’écu, qui fait 17 cm de haut, est maintenant vierge, mais il est plausible qu’il portait à l’origine les armes des Chaperon. En effet, quelques mètres avant, le chapiteau de la colonne qui marque, sur la gauche, l’accès à la salle capitulaire est timbrée par un autre écu de la même taille (armoirie 2), où on reconnait les trois chaperons de l’armoirie parlante de l’abbé. Le choix de placer l’armoirie sur ce pilier tenait surement compte de l’importance hiérarchique de la dextre (la droite pour ceux qui regardaient l’entrée de la salle de l’autel qui devait être juste en face, adossé à la parois orientale de la salle), mais il visait probablement même à créer un rapport visuel avec les autres armoiries de l’abbé commanditaire, qui parsemaient la salle du chapitre. D’abord, l’armoirie des Chaperon était reproduite sur les écu (17,5 centimètres de haut) qui ornent les deux faces du chapiteau de la première colonne à droite de l’entrée (armoiries 3, 4) : sur le coté septentrionale l’écu a été bûché (armoirie 3), mais sans arriver à effacer totalement le profil des trois chaperons, tandis que sur l’autre coté l’armoirie est parfaitement conservée (armoirie 4), probablement parce qu’à l’époque des destructions, était couverte par du plâtre ou par des élément du mobilier (les deux écus mesurent 15 centimètres de haut).
Charroux, abbaye Saint-Sauveur, salle capitulaire, colonne avec chapiteau aux armes de l’abbé Jean Chaperon
En fin, la clef de voûte de la première travée à droite porte encore les armes de l’abbé (armoirie 5) dans un écu qui a été probablement abîmé par les greffes en métal installées, nous pensons, pour soutenir des lampes. Pourquoi cette mise en signe de la première travée de la salle du chapitre ? Est-ce que l’orientation de l’écu sculpté sur la clef de voûte, avec la tête orienté vers la paroi méridionale, révèle le positionnement d’un second autel sur ce coté de la salle ? Malheureusement les documents n’aident pas à répondre à cette question. Il faudra toutefois souligner que les fouilles de la salle du chapitre réalisées en 1949 trouvèrent treize sépultures d’abbés, datées de XIe-XIIe siècle mais placées dans le travées centrales et dans la première travée à droite, d’une façon qui parait confirmer l’existence d’une hiérarchisation originelle de l’espace.
Il est probable que d’autres éléments héraldiques timbraient les structures claustrales, comme l’on semble indiquer le demi-chapiteau remployé sur l’entrée d’une maison à coté de l’église Saint-Sulpice et, de toute évidence, provenant du même ensemble. D’ailleurs, les armes de Jean Chaperon sont encore visibles sur le chapiteau gauche (dextre) du portail oriental du cloître (armoirie 6), celui qui donnait accès aux structures annexes à l’abbaye, comme l’aumônerie. Bien que l’écu soit de taille un peu plus petite par rapports aux autres (13 centimètres), la structure et la forme du décor du chapiteau (feuillage et moulures) et de la colonne à cannelures plates révèlent leur conception à l’intérieur du même chantier.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Charroux, abbaye Saint-Sauveur, https://armma.saprat.fr/monument/abbaye-saint-sauveur-charroux/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie études
P.-A. Brouillet, Indicateur archéologique de l’arrondissement de Civray. Canton de Couhé-Vérac, Civray 1865.
H. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. II, Poitiers 1895.
P. De Monsabert, Chartes et documents pour servir à l’histoire de l’abbaye de Charroux, Poitiers 1910 (Archives historiques du Poitou, 39).
R. Crozet, « L’Abbaye de Charroux, les grandes lignes de son histoire et de ses constructions », dans Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest , 4ème série, t. 10, 1, 1969, p. 11-24.
L. Bourgeois,« Charroux (Vienne) », dans Les petites villes du Haut-Poitou de l’Antiquité au Moyen Age. Formes et monuments, t. 2. Angles sur l’Anglin, Argenton-Château, Charroux, Melle, Parthenay, Rom, sous la dir. de Id., Chauvigny 2005, p. 43-75.