Situé sur une colline surplombant Troyes à une altitude de 145 mètres, le village de Montgueux, appelé parfois le « Montrachet de Champagne », est notamment connu pour son vin de champagne de grande qualité. Au sommet de la butte, au centre du village, l’église Sainte-Croix fut érigée à la fin du XVe et durant le premier quart du XVIe siècle. La voûte et le clocher s’effondrèrent en 1937, puis furent reconstruits ensuite. Les vitraux anciens, partiellement endommagés, furent replacés en 1955 (Corpus 1992, p. 142). L’édifice bénéficie d’un classement au titre des Monuments historiques en date du 26 décembre 1938 (base Mérimée). Une restauration récente a contribué à restituer des clefs de voûtes qu’il est difficile d’interpréter. En revanche, plusieurs armoiries anciennes subsistent.
Ange portant un écu armorié. Montgueux, église Sainte-Croix.
Un corbeau très abîmé, localisé dans la troisième travée sud laisse entrevoir un écusson armorié porté par un ange et meublé vraisemblablement d’une croix dont les extrémités ont été endommagées (armoirie 1). L’élément subsistant ne permet pas d’identifier son propriétaire. En revanche, les verrières conservent deux belles armoiries qu’il est possible de reconnaître. La baie d’axe, recomposée partiellement, décrit la Légende de la sainte Croix (Corpus 1992, p. 142, baie 0). Dans la partie inférieure de la lancette droite, on reconnaît les armoiries des Le Mercier (armoirie 2) (Fichot 1884, p. 126 ; Palasi 2008, num. 1499). La famille, dont l’un des membres, Guillaume Le Mercier, fut maire royal de Troyes de 1538 à 1540, fut également mécène pour d’autres édifices de la cité tricasse (les musées de Troyes conservent un carreau de pavement orné des armes mi-parties de cette famille). La soufflette sommitale conserve des phylactères sur lesquels la phrase « Dieu pour guide » pourrait s’avérer être une devise. En revanche, le texte du phylactère accompagnant l’écu armorié est peut-être un remontage de 1955 : on y distingue les mots «[…]bus Herod[…] Thabita » qui renvoient à la résurrection de Thabita évoquée dans les Actes (Ac, IX, 36-42). Il ne semble pas devoir y voir une devise ou un cri de guerre liés à cette armoirie.
La baie située sur le côté sud du chœur utilise en revanche une armoirie en remploi (Corpus 1992, p. 142, baie 02). Elle est entourée d’une couronne fleurie selon la mode qui se diffuse à partir du milieu du XVIe siècle. Elle appartient à la famille Clerey (armoirie 3) (Fichot 1884, p. 126 ; Palasi 2008, num. 588), lignage allié aux grandes familles troyennes (les Molé notamment) et dont les armes se trouvent dans plusieurs églises de Troyes et sur des œuvres conservées dans les musées de la ville (Troyes, Archives dép. Aube, Fichier Chandon). On y a reconnu le blason de Denis Clerey (Corpus 1992, p. 142), sans doute parce qu’un homonyme épousa une Jeanne de Goix en 1554, en quatrième noces, mais l’information parait devoir être écartée. En effet, cette dernière ne saurait être confondue avec Colette Le Goix qui était encore mariée à Nicolas Riglet à cette époque, comme l’atteste le tombeau du couple conservé dans cette même église.
Pierre tombale de Nicolas Riglet et de Colette Le Goix (Legois). Montgueux, église Sainte-Croix.
La belle pierre tombale en pierre bleue de Tournai du seigneur de Montgueux, Nicolas Riglet († 1560), notaire et secrétaire du roi et de son épouse, Colette Le Goix ou Legois († 1577) (Demésy 2003, p. 86), compte parmi les beaux objets conservés dans l’église. Située à l’origine dans la chapelle ménagée dans le bas-côté nord de l’église, aux pieds de l’autel (Fichot 1884, p. 125), elle est aujourd’hui fixée sur le mur nord de la nef. Des traces de mastic coloré sont encore visibles par endroits, notamment entre les caractères de la légende. Le décor assure une élégante mise en perspective des deux personnages qui se positionnent en avant de l’architecture figurée. Une clef pendante sépare les deux époux dont la représentation est soignée. La physionomie est remarquablement traitée montrant le nez fort de l’homme et le prognathisme de l’épouse. Il s’agit de véritables portraits funéraires montrant l’aisance du couple à travers ses riches vêtements. Les défunts sont accompagnés de leurs armoiries, inscrites dans un ovale et placées sur un cuir. L’emplacement attribué aux écus armoriés permet de les situer au premier plan, entre les portraits et au-devant de l’architecture, ce qui met en exergue leur importance sémiotique. L’armoirie de Nicolas Riglet est représentée dans la partie supérieure de la dalle, à savoir dans la zone la plus honorable (armorie 4) (Le Clert 1912, num. 1464 ; Palasi 2008, num. 2151), tandis que celle de sa femme est placée aux pieds des deux figures (armoirie 5). Malgré l’état d’usure de la dalle, dans ce deuxième écusson nous pouvons facilement reconnaitre les armes habituelles de Colette Le Goix. Celle-ci partitionnait en effet l’armoirie de son époux (dextre) avec celle de sa famille d’origine (senestre), qui était caractérisée par un chef chargé de trois têtes de boucs (ou béliers) (Fichot 1888, p. 243, 556 ; Le Clert 1912, num. 791 cité par Palasi 2008) et non pas par trois oiseaux comme on le trouve parfois indiqué sur la base d’une mauvaise interprétation du tombeau de Montgueux (Fichot 1884, p. 125 ; Palasi 2008, num. 1088).
Remise des clefs à saint-Pierre avec donateur (Pierre Mauroy). Montgueux, église Sainte-Croix.
Enfin, l’église conserve deux volets peints datés de 1571, éléments subsistants d’un retable illustrant la Passion du Christ en partie intérieure, dont la partie centrale (Descente de croix ou Mise au tombeau ?) a disparu. Les volets extérieurs illustrent La Remise des clefs à saint Pierre en présence des donateurs, un homme et une femme identifiés par les écus armoriés en forme de targe peints sur leurs prie-Dieu. L’armoirie qui identifie l’homme appartient à la famille Mauroy (Palasi 2008, num. 1737) (armoirie 6). Celui-ci est présenté aux pieds de saint Pierre, détail qui permet de l’identifier avec Pierre Mauroy († v. 1592), maire royal de Troyes de 1566 à 1568. Appartenant à une branche cadette de la famille, Pierre en brisait les armes par l’ajout d’une étoile à cinq rais accompagnant le chevron en chef (Mauroy 1910, p. 37), détail qui était vraisemblablement reproduit également dans le retable de Montgueux mais qui résulte aujourd’hui peu visible. La femme représentée sur l’autre volet doit être identifiée avec l’épouse de Pierre Mauroy, Marie Le Gras († 1610), quatrième fille de Simon Le Gras et d’Étiennette Le Tresnard (l’épisode biblique de la remise des clefs par Jésus à saint Pierre ferait donc allusion à l’union du couple). L’écusson accompagnant son portrait est très abimés (armoirie 7). S’il est certain qu’il portait une armoirie mi-partie, nous ne sommes pas en mesure d’établir si l’or qui apparaît dans la moitié senestre en constituait le fond ou une pièce honorable. Nous signalerons que la peinture laisse tout de même percevoir des tiges végétales qui pourraient correspondre à celles figurant dans l’armoirie de la famille Le Gras (Palasi 2008, num. 1481).
Nous signalerons à ce propos que Pierre Mauroy, seigneur de Colaverdey (aujourd’hui Charmont-sous-Barbuise), avait financé la création d’une chapelle dédiée à saint Pierre à Saint-Jean-au-Marché de Troyes, destinée à servir de sépulture pour lui et sa femme. Les armoiries du couple y étaient également représentées « au bas de la voûte » de la chapelle « sur les verrières et aussi au-dessus d’icelles » dans des écus portés par des anges tenant une couronne de laurier ; elles ornaient également le mobilier de la chapelle (bancs et confessionnaux), tout comme les parements liturgiques utilisés par le clergé lors de cérémonies célébrées à son intérieur (Mauroy 1910, p. 36). Par ailleurs, le couple finança aussi un vitrail à leurs armes dans le chœur de l’église Saint-Pantaléon dans la même ville, encore visible au début du XXe siècle (Mauroy 1910, p. 37).
Auteur : Jean-Luc Liez
Pour citer cet article
Jean-Luc Liez, Montgueux, église Sainte-Croix, https://armma.saprat.fr/monument/montgueux-eglise-sainte-croix/, consulté
le 23/11/2024.
Bibliographie sources
Troyes, AD Aube, généalogie, Fichier Chandon, fiche Clerey/1 ; fiche Le Gras/4 ; fiche Mauroy/2.
Bibliographie études
Corpus vitrearum, t. 4, Champagne-Ardenne, Paris 1992.
Demésy, Françoise, Œuvres d’Art ignorées. Les dalles funéraires de l’Aube. Hommage à Charles Fichot, Troyes 2003.
Fichot Charles, Statistique monumentale du département de l’Aube, t. 1, Troyes 1884.
Fichot Charles, Statistique monumentale du département de l’Aube, t. 2, Troyes 1888.
Le Clert, Louis, Armorial historique de l’Aube, Troyes 1912.
Montgueux, église Sainte-Croix. Armoirie Colette Le Goix (armoirie 5)
Mi-parti : au premier, d'(azur) à trois pals alésés d'(argent) placés 2 et 1, au chef de (gueules) chargé de trois étoiles d'(argent) (Riglet) ; au deuxième d'(azur ou argent) à trois Y d'(or ou sable) placés 2 et 1, au chef chargé de trois têtes de bouc d'(or) (Le Goix).
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Bas-côté sud ; Chapelle
Emplacement précis : Sol
Support armorié : Plate-tombe ; Tombeau
Structure actuelle de conservation : Déplacée dans le même monument
Montgueux, église Sainte-Croix. Armoirie Marie Le Gras (armoirie 7)
Mi-parti : au premier (d’azur au chevron d’or accompagné de trois couronne d’or et d’une étoile de cinq rais ? d’or en chef) (Mauroy) ; au deuxième (d’azur à trois roseaux d’or chacun surmonté d’un besant du même, au chef vairé d’or et d’azur) (Le Gras).