Paris, couvent des Célestins (église, tombeaux)
En raison aussi de son lien avec le roi et sa famille, le couvent des Célestins à Paris était rapidement devenu un lieu de sépulture privilégié pour de nombreux personnages et familles de premier plan : après Saint-Denis, c’est dans l’église des Célestins que l’on trouvait la plus haute concentration de sépultures de princes. Si la chapelle d’Orléans, avec ses monuments funéraires du début du XVIe siècle, fournissait sans doute l’exemple le plus remarquable de ces sépultures privilégiées, à la fin du XVIIIe siècle Aubin Louis Millin précisait que le sol de l’église était encore recouvert de plates tombes, pour la plupart « très anciennes » et dont nombreuses appartenaient à des Célestins (Millin 1791, p. 19). Déjà en mauvais état de conservation à la fin du XVIIIe siècle, quand le même Millin affirmait que «les traits des figures et les caractères [étaient] presque entièrement effacés» (ibid.), puis en grande partie détruits et dispersés en 1848 (Guilhermy 1873, p. 440), ces monuments sont en partie connus grâce notamment aux dessins réalisés par Louis Boudan pour François Roger de Gaignières à la fin du XVIIe siècle. Nous apprenons ainsi qu’un véritable armorial de pierre devait se présenter aux yeux des religieux et des fidèles déjà avant 1550.
Les tombeaux et les épitaphes armoriés datant de la période médiévale et de la première Renaissance étaient essentiellement situés dans le chœur de l’église. L’épitaphe en pierre d’André d’Espinay, cardinal archevêque de Lyon et de Bordeaux, mort le 10 novembre 1500, était placé « contre un pillier du costé de l’Evangile proche la chapelle d’Orléans dans le choeur de l’église des Célestins de Paris » (Paris, BnF, RESERVE PE-11A-PET-FOL, f. 244). Très proche de Charles VIII, qu’il avait accompagné pendant sa campagne militaire en Italie, André d’Espinay avait reçu des obsèques exceptionnelles, s’agissant du premier cardinal enterré à Paris depuis plus de cent ans (Hamon 2011, p. 73). L’inscription commémorait le défunt « zelateur et benfaiteur de lordre des Celestins», auxquels il avait légué 1000 livres. Elle était gravée sur une plaque ornée, dans la partie supérieure, d’une Vierge de pitié entourée par des saints et des religieux : à gauche, nous reconnaissons le cardinal, présenté par saint André, son saint protecteur, tandis qu’à droite saint Pierre de Morrone introduit quatre religieux et invite la Vierge à prier pour l’âme du défunt (une cartouche porte l’inscription « ora pro eo virgo Maria »). En bas à droite, un écu bannière porte les armes du défunt (armoirie 1) : placé sur une crosse de procession, il est timbré d’un chapeau attestant son rang dans la hiérarchie ecclésiastique. Nous remarquerons dans cette armoirie, que l’on retrouve reproduite dans cette forme également sur le sceau du prélat et sur un manuscrit lui ayant appartenu (Paris, BnF, ms. Lat. 4365, f. 1r), la présence en cœur d’un écu aux armes des Visconti de Milan. André était en effet le fils de Béatrix de Montauban qui descendait, par le biais de sa mère Bonne Visconti, de la branche de la famille lombarde exclue de la succession au trône milanais par Jean Galéas, qui avait emprisonné et, probablement, tué son oncle Barnabé : loin de vouloir prétendre à l’héritage milanais, cette augmentation héraldique prouvait plutôt la prestigieuse ascendance de la famille du prélat (Hablot 2013, p. 280).
A quelques mètres seulement de cette inscription se trouvait le tombeau d’Anne de Bourgogne († 1432), duchesse de Bedfort par le biais de son mariage avec Jean de Lancastre († 1435). La sépulture de marbre noir avec gisant en marbre blanc se trouvait en effet « dans la muraille à coste gauche du grand autel » (Paris, BnF, Français 20077, fol. 7 : Collecta), donc elle aussi « du côté de l’évangile » (Guilhermy 1873, p. 440). Le monument avait été érigé par Philippe le Bon, frère de Anne, vers 1442, mais fut remanié, comme d’autres tombeaux conservés dans l’église, sous Henri IV (Baron 1990, p. 262-264), sans doute dans le but de rendre ces sculptures anciennes uniformes et convenables au goût de l’époque. Dans le dessin réalisé par Boudan (Paris, BnF, Français 20077, fol. 7 : Collecta) nous voyons ainsi que le gisant, en marbre blanc, couché sur une dalle noire et accompagné de sept personnages (des membres de sa famille et des pleurants anonymes), avait été inséré dans un encadrement classique, à pilastres et fronton, sur un soubassement dans le même style (Baron 1990, p. 262-264). Le cartouche portant les armes de la duchesse placé au somment du fronton du monument date surement de cette époque et remplace, vraisemblablement, des armoiries plus anciennes (armoirie 2). Des fragments d’une plaque de plomb portant l’inscription funéraire d’Anne de Bourgogne ont été retrouvés en 1847 dans un caveau mélangé à des ossements de la défunte (ibid., p. 438 ) : ils sont conservés aux musée de Cluny, tandis que le gisant et le couvercle du tombeau, tout comme deux pleurants du soubassement sont aujourd’hui au Louvre (inv. LP 442).
Le tombeau de Léon de Lusignan, roi d’Arménie, suivit le même sort de celui d’Anne de Bourgogne. Capturé par les mamelouks en 1375 et prisonnier en Egypte jusqu’en 1382, Léon de Lusignan s’était installé à Paris sous la protection de Charles VI et y trouva la mort en 1393. Son tombeau était situé « à costé du grand autel de l’église des Célestins de Paris » (Paris, BnF, RESERVE PE-11A-PET-FOL, f. 252 : Collecta) et fut transporté à Saint-Denis à l’époque de la Restauration (Guilhermy 1873, p. 437). Le relevé de Louis Boudan atteste que le monument avait été réaménagé, sans doute réintégrant des parties du tombeau d’origine, comme le socle de marbre portant la dalle de marbre noir sur laquelle est inscrit l’épitaphe du défunt (Guilhermy 1873, p. 437). Le tombeau représenté par Louis Boudan documente toutefois le remaniement qu’il avait subi sous Henri IV : si l’écu aux armes du défunt placé au somment du fronton date sans doute de cette intervention (armoirie 3a), les deux écussons triangulaires insérés, dans l’intrados de l’arcade, derrière la tête du gisant et à ses pieds pourraient bien dater de la fin du XIVe siècle et avoir été replacés à cet endroit lors de la restauration du monument (armoiries 3b-c).
Les entrailles de Jeanne de Bourbon († 1378) étaient conservées dans un grand tombeau de marbre également placé dans le mur à gauche du grand autel (Paris, BnF, RESERVE PE-11A-PET-FOL, f. 253 : Collecta, d’où est vraisemblablement tirée la lithographie de Jean Etienne Frédéric Giniez au Musée Carnavalet : inv. G.24920). Femme du roi Charles V, qui avait promu la fondation du couvent, Jeanne avait été également représentée en compagnie de son époux sur le portail de l’église : elle avait ainsi voulu marquer son affection vers le couvent qu’elle avait contribué à faire édifier. Comme les autres tombes de personnages de haut rang enterrés dans cette église, cette sépulture fit l’objet d’une transformation d’une certaine envergure, intéressant notamment le soubassement, sur lequel l’ancien gisant fut placé sur sa dalle inscrite en marbre noir, et l’arcade de l’enfeu, incrustée de marbres précieux et peinte sur le fond d’un semé de fleurs de lis d’or (qui fait clairement référence aux armes de France). Deux anges sont sculptés dans les écoinçons supérieurs de l’arcade : également placés sur un fond azur semé de fleurs de lis d’or, ils pouvaient appartenir au monument original. Le couronnement du tombeau reproduit par Boudan datait sans doute de la fin du XIVe siècle : cinq arcades trilobées reposent sur des consoles en forme de tête humaine (des saints ?) et terminent par un gable. Chacune d’entre elles encadre une peinture héraldique : au milieu nous trouvons les armes de France (pour indiquer Charles V) (armoirie 4a), accompagnées des deux cotés par celles de Jeanne de Bourbon, parties de France et de Bourbon (armoiries 4b-e). Au sommet, veillés par un ange portant la croix du Christ, deux anges tiennent un écusson aux armes de la reine (armoirie 4f). De ce tombeau, seul le gisant est conservé, ayant été déposé dans la basilique Saint-Denis après la Révolution : nous remarquerons le petit sac que la reine tient dans sa main gauche, destiné à porter, de manière fictive, ses organes.
Le sol du chœur était en revanche parsemé de plates tombes de cuivre, qui appartenaient à des personnages de premier plan. La plate tombe de cuivre de Jean Budé († 1502), audiencier à la chancellerie et conseiller de Louis XI (Omont 1885, p. 100), et de sa femme Catherine le Picard († 1506 : Petit 1896, p. 440), était elle aussi située dans le chœur de l’église (Oxford : Bibliothèque Bodléienne, Gough drawings Gaignières 6, f. 82 : Collecta). Les portraits des deux défunts, placés sous arcade, étaient accompagnés par les armes du mari (à dextre) (armoirie 5a) – que l’on connait par le biais aussi de nombreux manuscrits lui ayant appartenus (Bibale, mais voir par exemple Bern, Burgerbibliothek, Cod. 058, f. 1r) – et par celles parties de la femme (à droite) (armoirie 5b), les unes et les autres comme d’habitude gravées dans la bordure contenant l’épitaphe.
Toujours dans le chœurs, mais « du costé de l’epistre, proche l’entrée de la chapelle d’Orléans », se trouvait la plate tombe de cuivre jaune travaillée en bas-relief de Jean Bureau († 1490 : Anselme, du Fourny 1733, p. 137), évêque de Béziers (Paris, BnF, ms. Latin 17024, f. 73 : Collecta et aussi Oxford : Bibliothèque Bodléienne, Gough drawings Gaignières 6, f. 83 : Collecta). Le portrait du défunt, habillé de riches vestes épiscopales et tenant le pastoral sur son épaule, était encadré par une arcade terminant en une accolade, dont le profil était accompagné à l’extérieur par deux anges portant des écus à ses armes (armoiries 6a-b), que nous connaissons aussi par l’intermédiaire de certains manuscrits (Paris, Bibl. Mazarine, ms. 0837, f. 1 et ms. 2909, f. 120).
Près du maître autel, lieu privilégie de sépulture par sa proximité au corps du Christ lors de la messe, était placée la tombe de Jean le Viste († 1500) (Oxford, Bibliothèque Bodléienne, Gough drawings Gaignières 6, f. 87 : Collecta). Le portrait de cet illustre personnage, auquel a été attribué la commande de la célèbre tapisserie de la Dame à la licorne (Paris, Musée de Cluny), est placé sous une arcade polylobée flamboyante (Souchal 1983, p. 242-243) : habillé de la robe et du manteau doublé de fourrure qu’il portait comme président de la Cour des Aides, et avec une riche aumônière à la ceinture, Jean le Viste est représenté en prière, accompagné par deux écus à ses armes placés d’un côté et de l’autre de son effigie, dans la bordure portant l’inscription le célébrant (armoiries 7a-b).
Le tombeau de Guillaume Le Duc († 1452), conseiller du roi et président du parlement de Paris (Sauval 1724, p. 726), et de sa femme Jeanne Porcher († 1466) était en revanche accompagnée par un épitaphe accroché sur le mur « à gauche près la sacristie dans le choeur de l’église » (Oxford, Bibliothèque Bodléienne, Gough drawings Gaignières 6, f. 88 : Collecta). Les dernières lignes de l’inscription, celles qui contenaient l’invitation aux fidèles à prier pour l’âme des défunts, étaient accompagnées par les armoiries du couple : à dextre, par celles du mari (armoirie 8a) (documentée dans Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 2909, f. 18), à senestre par celles mi-parties de sa femme (armoirie 8b).
Deux plates tombes « de cuivre jaune » placées en proximité du pupitre complétaient l’ensemble des sépultures armoriées médiévales et de la Renaissance encore visibles dans l’église à la fin du XVIIe siècle. Celle de Philippe de Moulins († 1409) était plus précisément située « sous le pulpitre au milieu du chœur de l’église » (Oxford, Bibliothèque Bodléienne, Gough drawings Gaignières 6, f. 85 : Collecta). L’évêque d’Evreux et de Noyon, qui avait était également secrétaire particulier et conseiller de plusieurs rois (Jean le Bon, Charles V et VI) et de Louis d’Orléans (Sigilla), était représenté, sous une arcade flamboyante, accompagné par six écussons à ses armes, tous posés sur des crosses. Dans la bordure portant l’épitaphe, deux écus présentaient les armes plaines des Moulins (armoiries 9a-b). Dans les angles de la partie figurée de la dalle s’alternaient en revanche deux autres armoiries : en haut à gauche et en bas à droite, nous trouvons un écu fleurdelisé chargé de deux crosses adossées (armoiries 9c, f), que l’on peut identifier avec l’armoirie de l’évêché de Noyon (voir le sceau du secret de Vermond de la Bossière, évêque au XIIIe siècle : Sigilla) ; en haut à droite et en bas à gauche ces armoiries sont associées à celles des Moulins dans un écartelé que Philippe de Moulins adopta en tant qu’évêque de Noyon (armoiries 9d, e), comme le prouve l’armoirie sculptées dans le tympan de la porte latérale de l’église paroissiale de Moulins-Engilbert (base Mérimée). Nous noterons d’ailleurs que ces mêmes armoiries sont représentées également sur les vêtements liturgiques somptueux, qui habillent le portrait du haut prélat : nous les voyons dans la partie inférieure de l’aube (dans la forme de l’écartelé), sur la chasuble (armes plaines des Moulins) et sur le col de la dalmatique (encore dans la forme de l’écartelé). Les armes écartelées de l’évêque couvrent aussi la partie intérieure du dais qui protège la tête du portrait du défunt.
« Au costé droit du pulpitre, au milieu du chœur » (Oxford, Bibliothèque Bodléienne, Gough drawings Gaignières 6, f. 89 : Collecta) se trouvait enfin la tombe de Germain Paillard († 1418), neveu de Philippe de Moulins, frère de sa mère. Évêque de Luçon et originaire d’Auxerre, il appartenait à une famille qui avait fourni plusieurs membres au parlement de Paris. Lui aussi il en avait été membre avant sa nomination à Luçon. Il avait été enterré aux Célestins de Paris à côté de la tombe de son frère Philippe, archidiacre de Noyon, qui était également mort en 1418 (De la Fontenelle 1847, p. 89). En allusion à leur parenté illustre, les deux frères augmentaient leurs armes avec un chef aux armes des Moulins (ibid., p. 90), avec une croix ancrée parfois placée dans le canton dextre (Paris, Mazarine, ms. 2909, f. 114). Dans le tombeau de Germain Paillard quatre écussons, posés sur des crosses, portent cette armoirie que nous retrouvons aussi sur le sceau de l’évêque (Sigilla) : deux dans la bordure contenant l’épitaphe, deux dans la partie supérieure de la dalle (armoiries 10a-d). Comme dans le tombeau de son oncle Philippe de Moulins, le portrait de l’évêque est habillé avec des vêtements liturgiques extrêmement riches, ornés par ses armes : nous les voyons reproduites sur la chasuble et sur le col de la dalmatique, tandis que dans la partie inférieure de l’aube les armes des Paillard (toujours au chef à la croix ancrée) semblent former un écartelé avec une autre armoirie qui n’est malheureusement pas lisible dans le relevé de Louis Boudan.