Des neuf cathédrales de la Bretagne historique, celle de Saint-Brieuc, longue d’environ soixante-quinze mètres, affiche des proportions modestes. Remaniée à de multiples reprises, c’est un édifice à la lecture archéologique très complexe, en plan comme en élévation. L’imbrication de volumes d’époques et de styles différents, aux raccords inégalement camouflés, la survivance et les réemplois d’éléments issus d’états disparus, la conformation étrange de certains espaces en suite à des transformations successives parfois maladroites, en font un monument atypique, pour ne pas dire attachant. De nombreux auteurs lui consacrèrent leur plume, cumulant une bibliographie parmi les plus importantes pour une église en Bretagne, dont n’émerge cependant aucune synthèse récente. Son appréciation au sein de la création architecturale, rendue malaisée, est généralement envisagée sans complaisance (Couffon 1934, p. 81 ; Le Méhauté 2011, p. 169). L’austérité massive des tours occidentales, réputées avoir été fortifiées, l’ont fait qualifier de « cathédrale-forteresse » (Morvan 1924, p. 173 ; Couffon 1950, p. 15 ; Hourlier 1992, p. 168), une appellation que l’intérêt discret des historiens de l’art pour ses parties les plus remarquables, un chœur du XIVe siècle et une intéressante chapelle flamboyante à l’angle du transept sud, ne suffit pas à nuancer. En l’attente d’une étude approfondie qui mettrait en lumière l’originalité de certains partis, notamment l’ancien chevet dont subsistent plusieurs vestiges mal compris (Broucke, à paraître), la cathédrale de Saint-Brieuc offre des points de comparaison précieux pour l’ensemble du Moyen Âge.
Dans l’ignorance de ce qui précéda, les plus anciens éléments conservés, ténus, appartiennent à un chevet à déambulatoire desservant une chapelle absidale, de deux travées droites et une travée tournante, lancé vers les années 1180-1200 et largement reconstruit au XIVe siècle (Couffon 1950, p. 10 ; Couffon, Le Méhauté 1955, p. 28-30). Le chantier se poursuivit pendant les deux premiers tiers du XIIIe siècle selon un phasage délicat à déterminer, car il n’en reste, hors la zone du porche occidental, que des bases éparses et quelques chapiteaux redécouverts dans les années 1950.
Cathédrale de Saint-Brieuc, vue des tours et de la façade de cathédrale.
Leur analyse a mis en lumière un projet primitif de nef à trois vaisseaux de huit travées à supports alternés et élévation à trois niveaux, dont les bas-côtés seuls auraient étaient voûtés, commencé depuis le carré du transept et finalement réduit à sept travées, qui aurait été érigée dans les premières décennies du XIIIe siècle (Couffon, Le Méhauté 1955, p. 34-38). Vers les années 1210, on aurait élevé le porche occidental, peu profond, et la tour nord ouverte sur porche, l’argumentaire reposant sur l’examen des supports subsistants, très retouchés, et sur l’interprétation d’un texte hagiographique (Couffon 1934, p. 90 ; Le Méhauté 2011, p. 170). Le transept, saillant et pourvu de deux absidioles de profondeur inégale, témoigne de multiples reprises. Se raccrochant dans son état premier aux campagnes de la nef, le bras nord aurait été achevé plus tardivement vers la fin du XIIIe siècle (Morvan 1924, p. 186), et l’on postule que la croisée aurait été réaménagée en même temps que le chœur dans les années 1350 (Couffon 1950, p. 21 ; Le Méhauté 2011, p. 176).
Cathédrale de Saint-Brieuc, vue du choeur et du bras nord du transept.
La deuxième moitié du XIVe siècle fut chaotique. En 1353, l’incendie du manoir épiscopal et suppose-t-on de la tour nord, survenu sur fond de querelle entre les capitaines de la cité, se serait communiqué à la cathédrale, endommageant le chœur et le déambulatoire. L’évêque Guy de Montfort (1335-1357) les aurait alors reconstruit en urgence en moins de quatre ans, en réemployant au maximum les anciens matériaux (Couffon 1934, p. 93-94 ; Id. 1950, p. 22 ; Étienne 2002, p. 426). En 1375, la ville fut mise à sac et la cathédrale aurait été une nouvelle fois sinistrée, puis à nouveau encore en 1394, lors d’un siège mené par le connétable de Clisson contre les partisans retranchés du duc Jean IV. À cette occasion, la tour sud fortifiée et une partie de la nef au moins auraient été fortement endommagées (de Bourgogne, de Barthélémy 1855, p. 212-214).
La paix retrouvée, on aurait restauré l’édifice sans envisager de transformation importante, sauf à la tour sud, qui aurait réédifiée après 1394 (Couffon 1950, p. 24), vers 1431-1434 (Le Mehauté 2011, p. 172) ou vers 1450 (Hourlier 1992, p. 170). On aurait revitré les fenêtres hautes du chœur dont l’une portait la date de 1399 (Couffon 1934, p. 99), puis la verrière au pignon du bras nord du transept (ibid., p. 100 ; Le Méhauté 2011, p. 176). Au courant du XVe siècle, des campagnes localisées virent le percement d’une rose au fronton occidental, et d’une vaste fenêtre au pignon du transept sud. Sous l’évêque Jean Prigent (1439-1472), on éleva une vaste chapelle flamboyante à l’angle des trois dernières travées de la nef et du croisillon sud (de Bourgogne, de Barthélémy 1855, p. 216), qui fut achevée sous l’épiscopat de son successeur Pierre de Laval (1472-1478) (Amiot 2016, p. 120). Dans le même temps, on aménagea des chapelles annexes, par à-coups et sans logique d’ensemble, l’une adossée contre la chapelle de Jean Prigent, les autres sur le déambulatoire. On aurait d’abord construit les trois chapelles au nord (Couffon 1950, p. 14), puis les deux au sud, qui étaient en voie d’achèvement à la mort de l’évêque Christophe de Penmarc’h (1478-1505) (Couffon 1963, p. 37). Une autre chapelle fut aménagée dans les années 1480 sous le porche de la tour nord, qui fut obturé à cette occasion (Le Méhauté 2011, p. 172).
Cathédrale de Saint-Brieuc, carte postale montrant la nef vers le début du XXe siècle.
La cathédrale ne connut plus de transformation notable avant la réédification de la nef entre 1712 et 1715, ne laissant subsister de l’ancienne que quelques éléments du revers de façade (Étienne 2002, p. 426). La Révolution engendra la perte d’une large part du mobilier, et la destruction de la quasi-totalité du décor héraldique, qui serait survenue au printemps 1794 (Morvan 1924, p. 206). La liste des restaurations et transformations survenues au XIXe et au début du XXe siècle, trop longue pour être détaillée, concerna l’ensemble du monument. Les plus conséquentes furent les réfections successives des réseaux d’une grande part des fenêtres, de toutes les voûtes hors celles de la nef, la suppression de la chapelle sous la tour nord et la restitution de son porche, la destruction de la chapelle de la première travée tournante du déambulatoire au nord, le percement de plusieurs accès secondaires (Couffon 1934, p. 108).
En 1954-1956, une importante campagne vit la redécouverte des bases des supports médiévaux, et restitua les niveaux de sols primitifs en réinstallant au sein d’un nouveau pavement quelques anciennes tombes rescapées (Sonnier 1961, p. 102, 104). Enfin, les parties orientales, humides et assombries, présentant des désordres de maçonnerie, firent l’objet d’une ambitieuse restauration menée de 2009 à 2019.
Vue de la cathédrale de Saint-Brieuc depuis le flanc nord, n. d., carte postale du début du XXe siècle.
La cathédrale de Saint-Brieuc a perdu l’essentiel de son décor armorié médiéval, fortement diminué par des remaniements à toutes les époques, les destructions sévères de la Révolution et certaines restaurations anciennes discutables. Ce qui en reste retint toute l’attention pour ses apports à la connaissance du chantier et de ses bienfaiteurs : dès 1847 une étude spécifique fut consacrée aux armoiries, qui mérite d’être signalée peut-être comme la plus précoce du genre en Bretagne consacrée à l’héraldique monumentale. Par la suite, les historiens de l’édifice sans exception explorèrent peu ou prou le sujet. Les écussons subsistants dans la pierre, pour certains déplacés et la plupart endommagés, forment encore une somme appréciable, qui peut être augmentée du souvenir d’une mention de prééminences et de quelques témoignages tardifs. Il convient d’y distinguer plusieurs ensembles, parmi lesquels les armoiries subsistantes dans les anciennes chapelles, aux enfeus et aux tombes réinsérées dans la nef forment un tout cohérent au regard du visiteur contemporain. Les écussons aux voûtes et arcs-boutants du chœur et du transept méritent un examen différencié, de même que le décor armorié récemment restitué de la chapelle flamboyante de l’Annonciation à l’angle sud de la nef. Leur analyse corrélée, jointe à certaines observations archéologiques, permet de formuler des hypothèses importantes susceptibles de renouveler l’historiographie traditionnellement admise concernant la marche du chantier aux XIVe et XVe siècles (Broucke, à paraître). Enfin, l’analyse du décor héraldique de plusieurs vitraux disparus mais connus par des textes, mérite un traitement spécifique.
Auteur : Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Paul-François Broucke, Saint-Brieuc, cathédrale Saint-Etienne, https://armma.saprat.fr/monument/saint-brieuc-cathedrale-saint-etienne/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Saint-Brieuc, Unité départementale de l’architecture et du patrimoine des Côtes d’Armor, fonds documentaire sur la cathédrale Saint-Étienne,Élodie Baizeau : plan et coupes en élévation de la cathédrale Saint-Étienne, 2010.
Bibliographie études
Amiot, Christophe, « Cathédrale de Saint-Brieuc. Écus de la voûte de la chapelle de l’Annonciation », Société d’émulation des Côtes d’Armor. Mémoires, 144, 2016, p. 113-121.
Batard, Christophe, « Cathédrale Saint-Étienne. Les restaurations intérieures du chevet et du transept », Congrès archéologique de France, t. 173, Monuments des Côtes d’Armor – Le « Beau Moyen Âge », Paris 2015, p. 277-287.
Broucke, Paul-François, La chronologie du chantier de la cathédrale de Saint-Brieuc au Moyen Âge, nouvelles hypothèses, à paraître (2021).
Couffon, René, « Remarques sur l’histoire de la cathédrale et la chronologie des évêques de Saint-Brieuc au Moyen Âge », Association bretonne, 45, 1934, p. 81-108.
Couffon, René, « Répertoire des églises et chapelles du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier (Lanvallay-Saint-Hervé) », Société d’émulation des Côtes-du-Nord, bulletins et mémoires, 71, 1939, p. 1-267.
Couffon, René, « Cathédrale de Saint-Brieuc », Congrès archéologique de France, t. 107, Paris 1950, p. 9-33.
Couffon, René, Le Méhauté, André, « Recherches sur la cathédrale romane de Saint-Brieuc et l’ecclesia imperfecta de saint Guillaume », Société d’émulation des Côtes-du-Nord, bulletins et mémoires, 93, 1955, p. 27-38.
Couffon, René, « Recherches sur le vénérable chapitre de Saint-Brieuc au XVe siècle et sa contribution à la restauration de la cathédrale », Société d’émulation des Côtes-du-Nord, bulletins et mémoires, 91, 1963, p. 24-60.
Étienne, Pascal, « Saint-Brieuc. Cathédrale Saint-Étienne », dans J.-M. Pérouse de Montclos (dir.), Dictionnaire guide du patrimoine. Bretagne, Paris 2002, p. 426-427.
Glaz, Mathieu, Les évêques de Saint-Brieuc de 1220 à 1525. Étude prosopographique, mémoire de master (dir. J. Kerhervé), Université de Bretagne Occidentale, 2008.
Guimart, Charles, « Note sur la cathédrale de Saint-Brieuc », Bulletin monumental, 3, 1847, p. 586-598.
Hourlier, Thierry, « Les églises fortifiées aux XIVe et XVe siècles dans les anciens diocèses de Saint-Brieuc et Tréguier », Société d’émulation des Côtes d’Armor. Mémoires, 120, 1992, p. 157-174.
Le Méhauté, André, « La cathédrale de Saint-Brieuc », Bulletin de l’Association bretonne. Congrès de Saint-Brieuc, 119, 2011, p. 169-189.
Morvan, Jules, « Histoire et monographie de la cathédrale de Saint-Brieuc », Société d’émulation des Côtes-du-Nord, bulletins et mémoires, 55, 1924, p. 173-221.
Sonnier, Jean, « Restauration intérieure de la cathédrale de Saint-Brieuc », Les monuments historiques de la France, 7, 1961, p. 97-104.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Aucune armoirie n'a été répertoriée dans ce monument.