Dans le bourg de Kersaint-Plabennec, au 23 de la Route de Plabennec, bordant le lotissement Le Dirou, un imposant calvaire, armorié de deux écussons, se dresse à une intersection. Haut d’environ six mètres et demi, il prend place sur un emmarchement carré à quatre degrés et un socle octogonal à chanfrein. Le fût à pan en granit gris clair soutient deux croisillons en kersanton, au premier duquel est sculpté sur un listel le millésime de 1516. Le second croisillon porte les gibets des larrons et deux statues géminées, encadrant un crucifix surmonté de deux anges (Castel 1980, p. 120-121). Au revers est adossée une Vierge à l’Enfant, copie supposée de la statue vénérée de Notre-Dame du Folgoat (Le Guennec 1981, p. 335).
Kersaint-Plabennec, calvaire du Dirou, vue générale.
Le monument n’est pas implanté là d’origine. Il était érigé à proximité d’une chapelle disparue dédiée à Saint-Michel, construite au sommet d’une butte artificielle réputée avoir été un tumulus, au voisinage de l’église actuelle. Déjà en ruines dans le premier tiers du XIXe siècle, ses matériaux auraient été pour partie réemployés lors de la construction de la chapelle Notre-Dame de Lanvelar, bâtie en 1837 à l’emplacement de l’église primitive de l’ancien bourg médiéval, au lieu-dit Kersent-Coz. Quelques années plus tard, en 1869, une mission religieuse aurait déplacé le calvaire au sommet de la butte, avant que celle-ci ne soit enfin aplanie en 1948. On réédifia alors le calvaire au lieu-dit Le Dirou, en bordure de la Route de Plabennec où il fut progressivement environné de constructions nouvelles suite à l’accroissement du bourg (Le Guennec 1981, p. 333, 335 ; Couffon, Le Bars 1980, p. 146 ; Pérennès 1915, p. 243).
Deux écus sont sculptés aux extrémités des bras de la croix. À main droite du Crucifié, le premier est chargé d’un lion morné, c’est-à-dire figuré sans griffe ni dents ni langue (armoirie 1).
Croix du Dirou, détail de l’écusson au lion, non identifiable avec certitude.
On songe aux armes des vicomtes de Léon, qui portaient d’or au lion parfois morné de sable, mais il a été montré que ce détail n’était pas signifiant au Moyen Âge et ne commença d’être retenu que très tardivement (Broucke 2012, p. 65-67). De plus, les vicomtes de Rohan ayant succédé aux Léon dès le XIVe siècle, ce seraient leurs armes que l’on s’attendrait plutôt à trouver, ainsi par exemple qu’au calvaire de la chapelle de Locmaria en Plabennec. De nombreuses autres familles en Léon portaient des armes au lion. Les Kermavan, puissant lignage originaire de Kernilis, qui blasonnaient d’or au lion d’azur, détenaient l’importante seigneurie de Lezquélen en Plabennec et étaient premiers prééminenciers des églises paroissiales de Plabennec et Kersaint-Plabennec. Il a été proposé de leur attribuer l’écusson (Le Guennec 1981, p. 335). Cependant, au XVIe siècle, ils écartelaient leurs armes propres de celles de Lezquélen aux quartiers d’honneur, ce qui n’est pas le cas ici, aussi faut-il se garder de toute identification trop péremptoire.
Calvaire du Dirou, détail de l’écu aux armes écartelées de Keraëret et Glencuff.
À main gauche du Christ, le deuxième écusson montre un écartelé, aux 1 et 4 d’un burelé de dix pièces chargé d’une bisse ondoyante entre les burelles, et aux 2 et 3 d’une aigle (armoirie 2). On y a reconnu les armes des Penfentenyo et des Dencuff (Le Guennec 1981, p. 335), deux familles nobles établies en plusieurs paroisses du Haut et Bas Léon (Potier de Courcy 1993, t. 1, p. 328, t. 2, p. 364). Si les Dencuff, qui portaient d’or à l’aigle bicéphale de sable (ibid., t. 1, p. 328), étaient possessionnés à Plabennec, en revanche, la seule alliance connue avec les Penfentenyo, entre Guyomarc’h de Penfentenyo de Mesgrall et Adélice Dencuff en 1569 (Floury, Lorant 2000, p. 1143), est postérieure à la date de réalisation du calvaire. Et surtout, les Penfentenyo portaient un burelé simple, sans bisse.
Les quartiers 1 et 4 doivent être réattribuées aux Keraëret ou Kerazret, originaires de Plougoulm et implantés essentiellement dans les paroisses proches de la côte nord du Haut Léon, qui portaient burelé d’argent et de gueules de dix pièces (parfois fascé d’or et de gueules de six pièces), à une bisse (parfois deux bisses affrontées) entrelacée(s) entre les burelles (Torchet 2010, p. 203). Ils ne doivent pas être confondus avec les Kernazret, lignage parent et quasi-homonyme, seigneurs dudit lieu en Loc Brévalaire, qui portaient des armes presque identiques. Vers le milieu du XVe siècle, Yvon de Keraëret, attesté en 1451, épousa Mahotte Glencuff ou Gleincuff, dame héritière de Kervélégan en Plouider, et d’autres terres (Charlou 2006, p. 47, 52), dont la famille blasonnait d’argent à l’aigle de sable (Torchet 2010, p. 193), parfois brisée d’une burelle de gueules brochante (Potier de Courcy 1993, t. 1, p. 453). Lors de la Réformation de 1426, les Glencuff étaient propriétaires des terres de Kerdarbar en Kersaint-Plabennec et Saint-Ellven en Plabennec (Torchet 2010, p. 94-95, 193). On en conclue que tout ou partie de ces biens devait être inclus dans l’héritage que Mahotte Glencuff, de son union avec Yvon de Keraëret, transmit à ses descendants, dont il y a plusieurs branches. Du fait d’un mariage homogame avec une héritière, ceux-ci écartelèrent les armes du couple en les conservant sur plusieurs générations. En 1516, un autre Yvon de Keraëret, petit-fils des précédents, époux de Marie de Rosmadec, était chef de nom et d’armes, sans qu’il soit possible de déterminer si les armes sculptées au calvaire étaient les siennes, ou celles d’un cadet.
On remarquera l’effet produit par les deux anges naissant du bras supérieur de la croix, qui vus depuis le sol, semblent embrasser les deux écus, qui paraissent quasi-sanctifiés de toucher aux mains sanglantes du Christ. Ces effets ménagés participent d’une mise en valeur eschatologique des deux armoiries seigneuriales, dont d’autres exemples s’observent sur des calvaires contemporains.
Auteur : Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Paul-François Broucke, Kersaint-Plabennec, calvaire du Dirou, https://armma.saprat.fr/monument/kersaint-plabennec-calvaire-du-dirou/, consulté
le 23/11/2024.
Bibliographie études
Broucke, Paul-François, « L’emblématique de la maison de Léon aux XIIe-XIVe siècles et les prééminences de Daoulas et La Roche-Maurice aux XVe-XVIe siècles », Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 90, 2012, p. 59-82.
Castel, Yves-Pascal, Atlas des croix et calvaires du Finistère, Quimper 1980.
Charlou, Laure, La famille et la seigneurie de Kerazret, des origines au XVIe siècle, mémoire de master, dir. Yves Coativy, Université de Bretagne Occidentale, 2006.
Couffon, René, Le Bars, Alfred, Diocèse de Quimper et de Léon. Nouveau répertoire des églises et chapelles du Finistère, Quimper 1988 (rééd.).
Floury, Jérôme, Lorant, Éric, Catalogue généalogique de la noblesse bretonne d’après la Réformation de la noblesse 1668-1672, Paris 2000.
Kersaint-Plabennec, calvaire du Dirou. Armoirie de Keraëret-Glencuff (armoirie 2)
Écartelé, aux 1 et 4 : burelé de dix pièces d'(argent) et de (gueules), à une bisse d'(azur) entrelacée entre les burelles (de Keraëret) ; aux 2 et 3 : d'(argent) à l’aigle de (sable) (Glencuff).