Construit sur la frontière nord du comté de Champagne, en limite de forêt, vers 1205 par Robert II de Dreux, neveu du roi Louis VII, ce château, aujourd’hui en ruine, est ceint d’un fossé sec, large et profond, rendant sa prise ardue. La forteresse originelle, dont des vestiges ont été documentés lors des fouilles de 2018 (Galmiche 2018, p. 302), passa d’abord entre les mains des Châtillon, puis de la deuxième maison de Valois-Orléans, comme celles de Pierrefonds, de la Ferté-Milon ou encore la cité de Château-Thierry. Parvenu dans les possessions du comte d’Angoulême, il est donné en usufruit à Louise de Savoie, épouse de Charles d’Orléans et mère du futur François Ier. Louise, en accord avec son fils, céda en 1528 la baronnie au connétable Anne de Montmorency (1493-1567) qui possédait par ailleurs déjà d’immenses domaines, dont Chantilly et Écouen (Rentet 2011). Durant sa longue carrière, ce grand serviteur de l’État connut quatre rois : François Ier, Henri II – qu’il accueillit trente-sept fois en treize ans à Fère-en-Tardenois (Chatenet 2019, p. 73) – François II et Charles IX.
Fère-en-Tardenois, château, pavillon d’entrée au pont-gallerie.
Anne de Montmorency, qui avait sans doute prit possession d’un château en mauvais état, fit réaliser d’importants travaux de rénovation. L’année « 1539 » gravée sur l’entablement du portail d’accès à la forteresse fournit une indication chronologique pour l’avancement du chantier : cette même année est celle où Anne de Montmorency fait entamer les travaux à Chantilly. Une date 1543 était en revanche visible sur des restes de vitrail (De Janvry 1974, p. 19). Dans les années 1550 la direction des travaux fut confiée à Jean Bullant (1515-1578), architecte qui, avec Philibert Delorme et Jean Goujon, contribua à diffuser les formes classiques en France. Bullant fit notamment remplacer l’ancien pont-levis par une galerie monumentale à deux niveaux enjambant le fossé sec. Cinq arcades sont ainsi jetées dans le vide. Le principe n’est pas nouveau, puisque le duc Jean de Berry l’avait déjà adopté à la fin du XIVe siècle pour son château de Mehun-sur-Yèvre. Le style de cette intervention est clairement inspiré de la Renaissance. Un ordonnancement classique est retenu pour tous les aménagements : on accède à la galerie par un pavillon d’ordre toscan, tandis que l’ordre corinthien est privilégié pour l’entrée du château.
Des reliefs présentant des écus armoriés figuraient à quatre reprises dans la galerie du château (armoiries 1-4). On les trouvait tout d’abord entre les colonnes du pavillon d’entrée (armoiries 1-2) : placés d’une part et d’autre du portail, ils surmontaient des niches vraisemblablement conçues pour abriter des statues (à l’instar d’Ecouen, où des niches surmontées par les armoiries d’Anne et de sa femme abritaient les Prisons de Michel-Ange). Insérés dans des encadrements classiques, auxquels des rinceaux végétaux étaient superposés, ces écus armoriés sont aujourd’hui presque illisibles, soit parce qu’ils ont été bûchés à la Révolution, soit parce qu’ils ont été abîmés par les agents atmosphériques et l’incurie des hommes. Des traces du collier de l’ordre de Saint-Michel sont toutefois encore bien visibles autour de l’armoirie sculptée à gauche du portail d’entrée (armoirie 1). Ce détail nous permet d’affirmer que l’écu portait les armes d’Anne de Montmorency qui avait reçu le collier de l’ordre en 1522. Une couronne timbrait probablement à l’origine l’écu du connétable : c’est le signe de la dignité ducale attribuée à Anne de Montmorency par Henri II en 1551.
Relief aux armes d’Anne de Montmorency. Fère-en-Tardenois, château, pavillon d’entrée.
L’interprétation du deuxième écu, celui sculpté à droite du portail d’entrée, demeure plus difficile en raison de son état de conservation. Nous noterons cependant que l’absence de collier et d’enseignes de fonction (telle l’épée de connétable) laisse penser que l’écu ne portait pas les armes d’Anne de Montmorency, mais plutôt celles de sa femme, Madeleine de Savoie († 1586), que le connétable avait épousé en 1526 (Wilson-Chevalier 2013, p. 128). Comme nous le verrons tout de suite l’emblématique de Madeleine de Savoie – elle aussi illustre mécène et bâtisseuse, dont la figure est souvent mise à tort dans l’ombre par l’activité de son époux (Wilson-Chevalier 2013) – est toujours bien présente dans les chantiers les plus importants réalisés par Anne de Montmorency (c’est par exemple le cas du château d’Ecouen). Si le rôle de Madeleine dans le chantier de Fère à partir de 1551 a été depuis longtemps reconnu (Moreau-Nelaton 1911, t. 1, p. 320), nous noterons que la composition avec les armes du mari à dextre de l’entrée et celle de l’épouse à senestre répondait à un schéma bien attesté dans l’héraldique monumentale et bien documenté dans les œuvres commandité par Anne de Montmorency et Madeleine de Savoie (comme nous pouvons le voir, pour rester dans le cadre de la commande Montmorency-Savoie, dans le petit château de Chantilly).
Fère-en-Tardenois, château, pile du pont-gallerie aux armes d’Anne de Montmorency.
Deux haut-relief aux armes des propriétaires du château, imposants et se faisant face, sont également sculptés sur les deux piles centrales de la galerie, celles les plus hautes et les plus importantes du point de vue architectural (armoiries 3-4). Si la hauteur à laquelle elles sont placées découragea sans doute les révolutionnaires qui auraient pu les détruire, les agents atmosphériques ont tout de même endommagée la pierre et rendu donc l’interprétation de ces représentations plus compliquée. Le relief regardant vers le pavillon, le mieux conservé, présente l’écu aux armes des Montmorency encadré par le collier de l’Ordre de Saint-Michel (armoirie 3). Un heaume présenté de face (une partie de la visière à grille ouverte est encore visible) timbre l’écu armorié. Deux anges, placés d’une part et d’autre de celui-ci (et portant l’épée de connétable ?), semblent lui poser sur la tête un objet que l’on identifiera facilement avec le cimier à la tête de chien (un braque) utilisé par les Montmorency et, notamment, par Anne, comme nous pouvons le voir, par exemple, dans le vitrail de la collégiale Saint-Martin de Montmorency (à ce propos voir le dessin fait par Louis Boudan : Paris, BnF, dép. est. et photo, RESERVE PE-5-FOL, f. 48 : Collecta). Des lambrequins, représentés dans la forme « végétalisée » que l’on voit utilisée depuis le XVe siècle, ornent le cimier qui reposait probablement sur un tortil ou une couronne (Pierre Couhault, communication orale). Des trophées militaires – thème d’origine classique célébrant les succès du commandant de l’armée – complètent la représentation, en occupant l’arrière-plan.
Dans le relief sculpté sur la pile d’en face, celui regardant vers la forteresse, est en revanche sculpté un écu aux armes mi-parties Montmorency-Savoie (armoirie 4), appartenant sans doute à Madeleine de Savoie (Wilson-Chevalier 2013, p. 127). Les armes de la connétable sont placées sous un pavillon que deux anges, placés d’un côté et de l’autre de l’écu, semblent garder ouvert, alors qu’une cordelière simple entoure l’écu. Nous serions tentés de reconnaître dans ce détail, malheureusement aujourd’hui mal lisible, la cordelière à nœuds traditionnelle dans l’emblématique de Savoie et qui entoure souvent les armes de Madeleine (voir à ce propos, par exemple, le Retable de la Passion du Musée d’Écouen, inv. OA 1313) (Salet 1990, p. 26).
Auteurs : Jean-Luc Liez, Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Jean-Luc Liez, Matteo Ferrari, Fère-en-Tardenois, château, https://armma.saprat.fr/monument/fere-en-tardenois-chateau/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie études
Chatenet, Monique, « Une cour nomade », Henri II à Saint-Germain-en-Laye. Une cour royale à la Renaissance, RMN, 2019.
De Janvry, Olivier Choppin, « Le château de Fère-en-Tardenois, une galerie Renaissance en plein ciel », La Demeure historique, 36, 1974, p. 18-22.
Galmiche, Thierry, « Fère-en-Tardenois (Aisne). Château de Fère », Archéologie médiévale, 48, 2018, p. 302.
Lefèvre-Pontalis, Eugène, « Fère-en-Tardenois. Château », dans L. Demaison et al. (dir.), Guide du congrès de Reims, en 1911, Caen 1911, p. 238-241.
Moreau-Nelaton, Étienne, Histoire de Fère-en-Tardenois, Paris 1911.
Rentet, Thierry, Anne de Montmorency, Grand maître de François Ier, Rennes 2011,
Salet, Francis, « Emblématique et histoire de l’art », Revue de l’art, 87, 1990, p. 13-28.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Fère-en-Tardenois, château. Armoirie Anne de Montmorency (armoirie 1)
D'(or) à la croix de (gueules) cantonnée de seize alérions d'(azur).
Timbre : une couronne ?
Tenant : deux anges.
Collier d’ordre : Saint-Michel.
Attribution : Montmorency Anne de ; Armoirie bûchée
Position : Extérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Pavillon d'entrée ; Galerie
Fère-en-Tardenois, château. Armoirie Madeleine de Savoie (armoirie 2)
(Mi-parti : au premier, d’or à la croix de gueules cantonnée de seize alérions d’azur) (Montmorency) ; (au deuxième, de gueules à la croix d’argent) (Savoie).
Attribution : Savoie Madeleine de ; Armoirie bûchée
Position : Extérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Pavillon d'entrée ; Galerie
Fère-en-Tardenois, château. Armoirie Madeleine de Savoie (armoirie 4)
Mi-parti : au premier, d'(or) à la croix de (gueules) cantonnée de seize alérions d'(azur) (Montmorency) ; au deuxième, de (gueules) à la croix d'(argent) (Savoie).
Tenant : deux anges.
Devise : cordelière à nœuds de Savoie.
Attribution : Savoie Madeleine de
Position : Extérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Pile de pont ; Galerie