En 1296, Etienne Béquard, archevêque de Sens, acheta à ses frais une maison avec jardin et dépendance située dans l’ancien quartier Saint-Paul, un secteur de la ville de Paris prisé par les seigneurs ecclésiastiques. À sa mort, en avril 1309, il la légua par testament aux archevêques ses successeurs (Prou 1885, p. 48-50). En 1361 elle passa dans les mains de Charles V qui, envisageant la construction d’une résidence à l’exterieur des remparts de Philippe Auguste, la réunit à l’ensemble de bâtiments qui allaient former l’hôtel Saint-Pol (Bournon 1879, p. 68-69). Avec l’acquisition par le roi de la première résidence des archevêques de Sens, ces derniers s’installèrent, depuis 1365, dans l’hôtel d’Hestomesnil. Archevêque de 1474 à 1519, Tristan de Salazar récupéra cette résidence qui versait désormais dans un état d’abandon (ibid., p. 51), jeta au sol les structures anciennes et éleva à leur place une demeure somptueuse en style flamboyant. En forme de triangle, elle était composée par deux corps de bâtiments principaux, reliés par un logis donnant sur le jardin. Le chantier avait vraisemblablement débuté après février 1498, quand l’archevêque de Sens passa un marché avec des maçons pour la construction de l’aile sud « au long de la rue de la Mortellerye » (Bos 2001, p. 327-328). Les travaux de reconstruction étaient bien avancés en 1507 quand la résidence résulte habitée (Prou 1885, p. 58), mais ils ne furent toutefois terminés que quelques années plus tard par les archevêques Etienne de Poncher et Antoine Duprat. Louée à bail à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, puis divisée en plusieurs appartements, la résidence connut une phase de décadence.
Louis Boudan, Veue de l’hostel de Sens a Paris. Paris, BnF (Collecta).
Devenu Bien national à la suite de la loi du 2 novembre 1789, l’hôtel de Sens fit l’objet de mutilations, ordonnées par le gouvernement révolutionnaire, visant notamment la destruction des élément héraldiques et emblématiques qui en ornaient les murs, à l’extérieur tout comme à son intérieur. Un certain Grelet, entrepreneur en bâtiment, avait été chargé de l’opération, le 26 septembre 1793, par la Section de l’Arsenal de Paris : il devait « rayer et effacer tous les titres, marques de féodalité tenant à l’ancien régime, imprimés sur les murs de l’hôtel de Sens » (Lambeau 1921, p. 189). Les armoiries, tout comme les fleurs de lys et les autres images datant de l’époque gothique furent donc martelées et détruites, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’édifice, par les compagnons de Grelet qui, entre temps, avait été appelé aux armes (ibid.). La destruction de ces éléments nécessita d’un mois de travail et de l’emploi d’un échafaudage de cordes suspendu. Le compte rendu des travaux effectués mentionne ainsi la destruction, entre autres, de « différentes armoiries, prises dans la masse, avec leurs flèches formant portails » et de dix écussons en pierre sous la voûte (des clefs de voûte armoriées ?), mais aussi le retournement des plaques de cheminées dont certaines sans doute ornées d’armoiries (ibid., p. 190). Le travail fut conduit avec grand zèle, à tel point que Troche, en 1847, certifiait que « ces blasons et ornements ont disparu sous le ciseau révolutionnaire » (Troche 847, p. 157).
Louis Boudan, Veue de la grande porte de l’hostel de Sens a Paris pres le port St Paul. Paris, BnF (Collecta).
Les relevés exécutés pour Gaignières et les quelques traces encore visibles au XIXe siècle permettent cependant d’avoir une idée, bien que partielle, des éléments héraldiques qui ornaient cette résidence, dont l’aspect extérieur sévère, caractérisé par les tourelles construites sur les angles de l’édifice, rappelle les formes d’un manoir plutôt que celles d’une résidence urbaine. Comme d’habitude, le portail principal – celui sur l’actuelle rue du Figuier – présentait un tympan orné d’armoiries (Paris, BnF, Dép. Estampes et photographie, inv. VA-248(C)-FOL : Collecta). Suivant une solution très répandue à la fin du Moyen Âge, trois écussons armoriés trouvaient place à cet endroit, suivant un ordre hiérarchique bien établi, sur un fond mélangeant des étoiles et des panelles, meubles des armes Salazar. Au milieu se trouvait un écu aux armes de France (à trois fleurs de lys) (armoirie 1), encadré par le collier de l’ordre de Saint-Michel et timbré d’un heaume couronné, accompagné, d’un côté et d’autre, par deux écus armoriés : à dextre, par l’armoirie du chapitre métropolitain de Sens « surmonté d’une croix et d’un chapeau à cordelettes pendantes » (armoirie 2), tenu par deux anges et complété par un phylactère inscrit avec les mots « Saint Estienne de Sens », et, à senestre, par l’armoirie de Tristan de Salazar († 1519) (armoirie 3a) surmontée « d’une croix et du chapeau à cordelettes » et soutenue par « deux grands oiseaux ou chimères, aux ailes éployées », probablement des colombes, comme l’on voyait également sur le tombeau dans la cathédrale de Sens (Paris, BnF, Dép. estampes et photographie, RESERVE PE-6-FOL : Collecta) (dans l’hôtel parisien l’écu était également accompagné par les mots, inscrits dans une banderole, « Tristan de Salazar, archevesque de Sens » : Lambeau 1921, p. 192).
Les vantaux de la porte, à en croire au dessin de Louis Boudan, étaient ornés par une plaque aux armes non d’Antoine Duprat (Troche 1847, p. 155 et note 1), mais d’Etienne Poncher (armoirie 4), comme le révèle une comparaison avec le tombeau de l’archevêque jadis dans la cathédrale de Sens (Paris, BnF, Dép. Estampes et photographie, RESERVE PE-6-FOL : Collecta) : ils ont été supprimés en 1844 par M. Leroy, propriétaire de l’hôtel (Troche 1847, p. 155 et note 1). À côté de cette porte cochère, la porte piétonne présentait elle aussi un tympan à l’ornementation héraldique, mélangeant les meubles (étoiles de six rais et panelles), qui composaient l’armoirie Salazar, vraisemblablement sculptés en relief et peints. Les armes de Tristan de Salazar étaient ensuite sculptées aussi sur la lucarne de la fenêtre surmontant l’entrée principale de l’hôtel, comme le documente le dessin de Boudan (Paris, BnF, Dép. Estampes et photographie, VA-248(C)-FOL : Collecta) et l’on saisie encore dans les esquisses réalisé par François-Alexandre Pernot avant 1875 (Paris, Musée Carnavalet, inv. D.6564) et par Aglaüs Bouvenne en 1870 (ibid., inv. D.12782) (armoirie 3b). Réduites à une silhouette au milieu du XIXe siècle (Troche 1847, p. 158), elles ont été restaurées par la suite, en ajoutant le chapeau et le phylactère qui n’étaient probablement pas présents dans la composition d’origine. Nous n’avons en revanche aucune information sur deux autres écussons visibles, dans le dessin de Louis Boudan, sur un élément en saillie (une lucarne ?) couronnant la tourelle nord de la façade. Leur ressemblance avec l’armoirie Salazar que l’on vient de voir laisse croire qu’ils portaient également les armes de l’archevêque de Sens (armoiries 3c-d).
Louis Boudan, Vue de la petite porte de l’hostel de Sens dans la rue de la Mortellerie a Paris. Paris, BnF (Collecta).
La petite porte donnant sur la rue de la Mortellerie (actuelle rue de l’Hôtel de ville) était en revanche ornée d’un tympan présentant (Paris, BnF , Dép. Estampes et photographie, inv. VA-248(C)-FOL : Collecta), probablement encore sur un fond d’étoiles et de panelles (Troche 1847, p. 158), seulement les armes de l’archevêque de Sens (« Tristan de Salazar archevesque de Sens » était marqué dans le phylactère déployé dans la partie inférieure) ; tenues par deux colombes, elles étaient posées sur une croix et surmontées par un chapeau à cordelière (armoirie 3e). La réalisation et l’ornementation emblématique de cette ouverture avaient été déjà prévus au moment du marché passé, le 14 février 1498, avec les maçons chargés de la construction de cette aile de la résidence. Il avait été en effet établi de « en icelui pan de mur, faire une grant porte […] laquelle sera faicte de pierre de taille garnye d’un larmier et deux reprinses et les armes de mond. seigneur s’il luy plaist » (Bos 2002, p. 328 ; Corrozet 1586, p. 212 semble donner lui aussi une description de ce portail avec les armes de l’archevêque). De même, le contrat indique que la porte dans l’axe de ce portail sur le côté cour aurait pu être « ainsi qu’il plaira a mond. seigneur […] armoriée aux armes de mond. seigneur » (Bos 2002, p. 328) (armoirie 3f).
A l’intérieur de la cour, les armes de Tristan de Salazar, posées sur une croix, étaient sculptées aussi sur le tympan de la grande baie vitrée qui éclairait, au premier étage du corps de logis principal, la chapelle privée des archevêques de Sens (armoirie 3g) (Troche 1847, p. 159) et, encore, sur un élément en saillie (une bretèche ?), couronnée de créneaux, situé dans la partie haute de la tour hors œuvre logéant la cage d’escalier (armoirie 3h) (Troche 1847, p. 160 ; Prou 1885, p. 57 parle d’un semé d’étoiles). En fin, la porte d’accès à la tour était probablement elle aussi ornée des armes du fondateur, cependant totalement disparues déjà au milieu du XIXe siècle (Troche 1847, p. 160).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Paris, Hôtel de Sens, https://armma.saprat.fr/monument/paris-hotel-de-sens/, consulté
le 20/10/2025.
Bibliographie sources
Tombeau d’Etienne Poncher, archevêque de Sens. Paris, BnF, Dép. Estampes et photographie, RESERVE PE-6-FOL.
Louis Boudan, Veue de l’hostel de Sens a Paris. Paris, BnF, Dép. Estampes et photographie, VA-248(C)-FOL.
Louis Boudan, Veue de la grande porte de l’hostel de Sens a Paris pres le port St Paul. Paris, BnF, inv. VA-248(C)-FOL.
Louis Boudan, Vue de la petite porte de l’hostel de Sens dans la rue de la Mortellerie a Paris. Paris, BnF, inv. VA-248(C)-FOL.
Bibliographie études
Bos Agnès, « Paris. Deux documents inédits sur l’architecte Jean de Felin (1488) et sur l’hôtel des archevêques de Sens », Bulletin Monumental, 159, 4, 2001, p. 327-328.
Bournon Fernand, « L’hôtel royal de Saint-Pol », Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Île-de-France, t. 6, 1879, p. 54-179.
Corrozet Gilles, Antiquitez, chroniques et singularitez de Paris, Paris 1586.
Lambeau Lucien, « Communication de M. Lucine Lambeau sur la suppression, pendant la Révolution, des signes de la féodalité et de la superstition à l’hotel de Sens », Procès-verbaux de la commission municipale du Vieux Paris, 1921, p. 188-193.
Prou Maurice, « Recherches sur les hôtels de l’archevêché de Sens à Paris », Bulletin de la Société archéologique de Sens, 13, 1885, p. 47-75.
Troche Nicolas-Michel, « Notice historique sur l’hôtel de Sens, ancienne résidence à Paris des archevêques de Sens », Revue archéologique, 1, 1847, p. 146-163.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Paris, Hôtel de Sens. Armoirie roi de France (armoirie 1)
D'(azur) à trois fleurs de lys d'(or).
Collier d’ordre : ordre de saint Michel.
Attribution : Roi de France
Cimier : Lambrequin : de …
Timbre : Un heaume couronné
Position : Extérieur
Étage : Rez-de-chaussée
Pièce / Partie de l'édifice : Façade
Emplacement précis : Portail
Support armorié : Tympan
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue