Édifiée au milieu du XIIe siècle sur le bord de la Gartempe, grâce à un don d’Eschivard I de Preuilly (1151), l’abbaye cistercienne de la Merci-Dieu verse aujourd’hui dans un état d’abandon. Il est difficilement imaginable que l’édifice regorgeait encore au XVIIIe siècle de sculptures et peintures dont une partie au moins datées de la fin du Moyen Âge et du début de la Renaissance. Les éléments héraldiques y étaient nombreux comme l’atteste une description de l’édifice réalisée par les religieux mêmes au début du XIXe siècle dans le cadre d’une procédure judiciaire concernant les droits sur l’abbaye engagée entre M. de Breteuil et Nicolas Ysore d’Hervaut, marquis de Pleumartin et seigneur de la Roche-Posay (Thibaudeau 1783, p. 211 ; la sentence favorable à Nicolas d’Hervaut fut prononcée en 1718). Si la « qualité d’héritier du fondateur » ne lui était pas contestée, la possession du complexe abbatial ne pouvait s’appuyer que sur « quelques sépultures de seigneurs de la Roche-Posay dans l’église de la Merci-Dieu, et leurs armoiries apposées en plusieurs endroits de l’église » (ibid., p. 211-212).
Les éléments héraldiques se concentraient dans la zone du chevet de l’église et du chœur, là où les tombeaux de la famille des fondateurs de l’abbaye avaient été placés et où se trouvait aussi la chapelle des Preuilly, seigneurs de la Roche-Posay avant que, par l’extinction de la branche directe et le mariage de Louise de Preuilly avec Geoffroy Chasteigner, elle ne passa dans les possessions de ce dernier lignage. La description fournie par les religieux est très précise et il nous paraît important de la transcrire dans son intégralité.
« Nous avons commencé par un ancien tombeau qui est du côté de l’épitre, près ce qu’il dit être la chapelle de Preuilly : à main droite d’icelle, dans la muraille, sous une arcade, est une figure d’homme en pierre, armé, tenant en sa main gauche un écu sans aucun blason (armoirie 1), et aux pieds duquel il parait une figure de chien en pierre, sans tête et sans aucune inscription. Vis-à-vis l’autel de ladite chapelle de Preuilly, et à côté du susdit présent tombeau, sont trois tombes à plat de terre, sur la première desquelles est gravée la figure d’un homme armé, identifié par une inscription : Hic iacet nobilis miles, le nom est effacé, et s’ensuit de Roche-Posay de Pruilliacii, qui expiravit 23 die mensis Aprilis, anno Domini, le mille ne paroît pas, CCCC. Anima eius requiescat in pace, amen. Sur la poitrine de la figure gravée, est un écusson chargé de trois alérions (armoirie 2a) ». Il devrait s’agir d’Eschivart VI de Preuilly, mort le 23 avril 1409. Sa femme était ensevelie à son côté. À la seconde tombe joignant celle-là était en effet gravée la figure d’une femme, avec un écusson à chaque côté de la tête (armoiries 3a-b) ; les deux chargés de trois trèfles avec un alérion. L’inscription gravée autour de la tombe (Hic iacet Sarrasina) permettait l’identification de la defunte avec Sarrazine de Prie, femme d’Eschivart VI de Preuilly, morte en 1426. Il est donc plausible que les écus étaient partis aux armes des familles des deux époux.
La Roche-Posay, abbaye de la Merci-Dieu.
La serie des sépultures familiales ne s’arrêtait pas là. « Joignant à ladite tombe est une autre tombe sur laquelle il y a une figure de femme gravée, qui a au-dessus de la tête deux écussons, dont l’un est chargé de trois alérions seulement (i.e. trois aigles éployées, armes des seigneurs de Preuilly) (armoirie 2b) et l’autre d’un lion passant (armoirie 4a) ; et autour de ladite tombe se lit : Ci git dame Louise de Peuilly, dame de la Roche Posay, veuve de messire Geoffroy Châteigner, chevalier, seigneur de Saint-Georges de Rexes et trépassa l’an 1474, le 25e jour de février. Dieu lui fasse pardon. Amen ». C’étaient donc les armes familiale et celles de son époux, Geoffroy Chasteigner, mort en 1424, qui accompagnaient le portrait de Louise de Preuilly, fille de Eschivard VI et de Sarrazine de Prie.
Thibaudeau à ce point précise (ibid., p. 213, note 3) qu’entre ces deux tombes, il y en avait une autre sur laquelle étaient incisés deux écussons en tête, « l’un à droite portant trois aigles éployées (armoirie 2c), qui sont les armes de Preuilly, et celui à gauche est parti de trois aigles éployées, et de trois trèfles qui sont les armes de Prie (armoirie 3c) ». L’érudit poitevin ne donne pas d’autres informations sur cette sépulture, mais il est bien probable qu’elle appartenait à Agathe de Preuilly († 1312), épouse de Jean II de Prie († 1317), seigneur de Buzançais dès 1303 (Racines & histoire).
La description réalisée au XVIIIe siècle poursuit mentionnant d’autres apparats héraldiques, toujours concentrés dans la zone du chevet de l’église ou à son étroite proximité (ibid., p. 214). Elle nous informe donc que « sur un pilier à côté de ladite chapelle de Preuilly, est un écusson écartelé d’argent et de gueule», dans lequel nous pouvons reconnaître les armes des Varèze (armoirie 5a). Entrant ensuite dans le chœur, se trouve « une tombe du côté de l’évangile, élevée de terre d’environ un pied et demi, sur laquelle est un écusson, avec un lion passant et une crosse passée derrière l’écu (armoirie 4b) ; autour de ladite tombe sont écrits ces mots : Renatus Châteigner, huius Monasterii olim Abbas, cuius anima, Dei misercordia, cum beatis quiescat in cielis : ames, si palceat. Ab humanis, altissimo permittente, migravit anno salutis nostrae MDLXV, die XIX mensis Martii ».
Poursuivant son tour du chevet de l’abbatiale, les rédacteurs du document transcrit par Thibaudeau affirment d’avoir « remarqué que dans les deux piliers du chœur il y a deux écussons à chacun l’un sur l’autre : le plus élevé (armoirie 5b) est sur un petit carré noir et écartelé d’argent et de gueule sans autre chose (Thibaudeau spécifie que «ce sont les armoiries de Jeanne de Varèze, veuve de Pierre Châteigner, seigneur de la Roche-Posay » et que « l’écusson doit être d’or et de gueule » : ibid., p. 216, note 1) ; celui de dessous est un écu couché (i.e. penché) dans le pilier du côté droit (armoirie 6), où il parait un lion d’or rampant, assez mal fait, mi-parti d’argent et de sable ; et dans le pilier du côté de l’évangile, est un écusson couché (armoirie 7), mi-parti d’argent, le reste effacé, chargé de six jumelles (Thibaudeau précise que « ce sont les armes de Gouffier ; il n’y a que trois jumelles de sable sur un champ d’or » : ibid., p. 216, note 3), l’écusson surmonté d’un casque posé de profil». Une composition donc formée par des écus, à ce moment inconnus, probablement en relief et peints, représentés penchés timbrés, selon une disposition que l’on retrouve souvent entre le milieu du XIVe siècle et le milieu du XVe.
Les armes d’un Chasteigner, qui avait été abbé au milieu du XVIe siècle, étaient donc sculptées sur les planches en bois ornant les stalles du chœur (il doit s’agir de René, enterré dans un tombeau placé à l’intérieur même du chœur). Elles apparaissaient notamment au siège occupé par l’abbé à l’occasion des messes solennelles et à un autre placé à son côté : « Et revenant aux places où se mettent les religieux, nous avons remarqué qu’à côté de celle de l’abbé, il y a un ais d’un pied et demi de long, attaché avec des clous, sur lequel il y a un écusson d’or au lion passant de sinople (fig. 4c), avec une crosse au-dessus de l’écusson ; et au-dessus de l’écusson sur le même ais, est en chiffre 1545 ; et au-dessous d’une autre place qu’occupe ordinairement, aux grandes messes, l’abbé, la plus près du grand autel, nous y avons remarqué un écusson en bois, sur lequel est un lion de sinople en champ d’or, sans crosse au dessus (fig. 4d) » (ibid., p. 216-217). La description se termine avec deux écus représentés sur les piliers du chœur « vis-à-vis du milieu des places des religieux ». À cet endroit il y a deux écussons écartelés d’argent et de gueule, dont celui du côté de l’épitre est effacé (armoiries 5c-d) » (ibid. p. 217). Aucun élément héraldique n’était en revanche visible dans la nef de l’église (ibid.).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, La Roche-Posay, abbaye de la Merci-Dieu, https://armma.saprat.fr/monument/la-roche-posay-abbaye-de-la-merci-dieu/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
A.-R.-H. Thibaudeau, Abrégé de l’histoire du Poitou, t. 2, Paris 1783.
Armoiries répertoriées dans ce monument
La Roche-Posay, abbaye de la Merci-Dieu. Armoirie vierge (armoirie 1)