Situé dans la paroisse de Dercé, dont la nomination de la cure est faite par l’abbaye de Bourgueil (Redet 106, p. 150 ; Bouvart 2012), le prieuré fontevriste de Guesnes fut fondé dans les premières années du XIIème siècle (Le pays 1993, p. 40-41). Cité dans le privilège de Callixte II de 1119 (Robert 1891, p. 85-89, num. 61), il est déjà mentionné au cours du synode de Poitiers de 1109, qui atteste la présence de moniales aussi que leur rattachement à Fontevraud (Bouvart 2012). Quelques années plus tard, un acte cite pour la première fois l’église monastique Sainte-Marie (Bienvenu 2000, c. 119), qui ne correspondrait pas toutefois à celle dont les vestiges sont encore aujourd’hui visibles. Celles-ci appartiennent en effet à un édifice plus récent, que l’on a daté à la deuxième moitié du XIIème siècle (Bouvart 2012).
Prieuré fontevriste de Guesnes, chapelle funéraire.
En 1240, Thomas de Dreux et Hugues, son fils, fondent une chapellenie (BnF, ms. Lat. 12755 et Poitiers, Archives dép., 1 Mi, rouleau 3 : cités par Bouvart 2012) qui pourrait être à l’origine de la construction de la chapelle funéraire accolée au sud-est du chœur de l’église : les donateurs laissèrent en effet la charge de leurs sépultures au prieuré (ibid.). À l’origine couvert par des voûtes d’ogive, cet édifice mesure 15,5 mètres de long et 8 mètres de large. Trois enfeus étaient repartis sur les murs gouttereaux de la chapelle. Même si très dégradés, deux conservent encore leur sarcophage avec gisant, qu’on pourrait dater de la seconde moitié du XIIIème siècle : celui d’une femme est placé sur le mur nord, tandis que celui d’un homme est inséré dans le mur sud (donc à la droite – placement plus honorifique – par rapport à l’axe de la chapelle). Ce dernier est représenté en armure, recouvert d’une cotte de maille et équipé d’éperons, épée et bouclier sur lequel on distingue encore la trace d’un décor armorié (armoirie 1), avec une croix ancrée ou recercelée (au XIIIème siècle les deux types de croix sont très souvent confondus).
Gisant d’un homme en armure. Prieuré fontevriste de Guesnes, chapelle funéraire.
Pourtant, il faudra relever que les Dreux, qui entre XIIème et XIIIème siècle donnèrent des religieuses et des abbesses à Fontevraud, n’ont jamais utilisé telle armoirie, de même que la famille homonyme possessionnée à Loudun (dont on n’a d’ailleurs notice qu’à partir du XVème siècle : Beauchet-Filleau 1905, p. 161-162). Il s’agit en tout cas d’un meuble relativement fréquent dans l’héraldique médiévale, dérivant des plaques en métal que l’on fixait sur la surface externe du bouclier pour en assurer la cohésion. Même si nous ne pouvons pas déterminer les couleurs de l’armoirie – puisque le fond et le meuble sont également peints en jaune, ce qui correspond probablement au niveau d’une couche préparatoire -, il faudra de même noter que cette armoirie était portée par les Bauçay, famille noble de Loudun, dont Hugues VI, chevalier, légua des biens au prieuré de Gaisne (Guesnes) vers 1240 (Dom Fonteneau cité par Beauchet-Filleau 1891, p. 327).
Endommagé pendant la guerre de Cent Ans, le couvent fut réaménagé par la suite : en 1371 Charles V concéda aux religieuses un privilège pour le faire fortifier afin de pouvoir se protéger des incursions des ennemis (AN JJ 100 ; BnF, ms. lat. 12733 ; Poitiers, Archives dép., 2 H 5 liasse 17 : cités par Bouvart 2012). Après une phase de crise profonde qui réduit, en 1460, la population du couvent à seulement 3 moniales et 4 religieux, le prieuré de Guesnes connut un nouveau développement pendant les décennies suivantes. Les documents écrits et les vestiges monumentaux laissent croire que deux abbesses de Fontevraud soient intervenues d’une façon déterminante pour le maintien du prieuré et pour l’amélioration de l’état de ces structures : Anne d’Orléans (1477-1491) et Louise de Bourbon (1534-1575).
Ce fut la première, fille de Charles d’Orléans et de Marie de Clèves, qui fait sans doute bâtir la chapelle (6,50 mètres de long pour 5,30 mètres de large), construite accolée à la façade occidentale de la chapelle funéraire du XIIIème siècle (Salvini 1943, p. 40).
Prieuré fontevriste de Guesnes, chapelle latérale, arcade d’entrée et clef de voûte aux armes d’Anne d’Orléans.
Elle ouvre sur le chœur de l’église et sur une galerie du cloître, que la même abbesse fit construire vers 1485 (Decoudun, Nebelsztein 1998, t. 1, num. 24). Un écu armorié à ses armes (Eygun 1938, p. 563) est en effet encore visible sur la clef de la voûte (armoirie 3), échappé à la fureur iconoclaste révolutionnaire peut-être grâce à son hauteur (seulement ses marges semblent avoir souffert d’une tentative d’endommagement). Reproduit dans un croquis par Charboneau-Lassay (Loudun, Musée Charbonneau-Lassay), il a été aussi gravé au trait par quelque visiteur sur le pilier droit de l’arcade d’accès à la chapelle. Nous remarquerons que l’écu est orienté avec le chef en direction sud-est, peut-être vers le lieu où se trouvait un autel ou un monument funéraire : il paraît en effet que l’abbesse voulut se faire enterrer dans cette chapelle (Salvini 1946, p. 40). Il est plausible que la clef de l’arcade d’accès à cet espace portait également une armorie de l’abbesse (armoirie 2), qui par contre fut totalement détruite, à différence des deux écus sculptés sur les culs de lampe encastrés sur le mur gouttereaux sud de la structure (armoiries 4, 5). Dépourvus de tout signe de reliefs héraldiques ou de traces de bûchages, ils avaient été probablement peints aux armes de l’abbesse, dont toute trace de couleur devait avoir désormais disparue à la fin du XVIIIème siècle.
Prieuré fontevriste de Guesnes, armoirie erratique de Louise de Bourbon.
L’intervention d’Anne d’Orléans ne suffit pourtant pas à arrêter la dégradation des structures conventuelles. En 1529, une visite documenta l’état sanitaire critique des bâtiments et prescrit des interventions d’urgence au dortoir et au réfectoire (Archives dép., Maine et Loire, 198 J 120 : cité par Bouvart 2012). La plaque aux armes de Louise de Bourbon (armoirie 6), actuellement visible à l’extérieur d’un édifice annexe au couvent (l. 39 cm, h. 40 cm), date de cette phase de restauration, à situer après l’incendie des Huguenots de 1569 (ibid.) (Bouvart 2012). Les armes de Bourbon sont inscrites dans un écu en forme de tête de cheval, encadré par une cordelière, et accompagnée par des L majuscules, initiales du prénom de l’abbesse.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Guesnes, prieuré fontevriste, https://armma.saprat.fr/monument/prieure-fontevriste-guesnes/, consulté
le 03/12/2024.
Bibliographie sources
Angers, Archives départementales du Maine et Loire, 198 J 120.
Paris, Archives Nationales, JJ 100.
Paris, BnF, ms. lat. 12733.
Paris, BnF, ms. Lat. 12755.
Poitiers, Archives départementales de la Vienne, 1 Mi, rouleau 3.
Robert (par), Bullaire du pape Callixte II, 1119-1124 : essai de reconstitution, Paris 1891.
J.-M. Bienvenu (éd.), Grand cartulaire de Fontevraud : pancarta et cartularium et ordinis Fontis Ebraud., t. 1, Poitiers 2000.
Bibliographie études
L. Redet, Dictionnaire topographique de la Vienne, Paris 1881.
H. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. 1, Poitiers 1891.
F. Eygun, « Procès-verbaux », dans Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 3e s., 9, 1938, p. 553-574.
J. Salvini, Lediocèse de Poitiers à la fin du Moyen Âge (1346-1560), Poitiers 1946.
Le pays du Loudunois, patrimoine connu et peu connu, t. 2, Églises, chapelles et calvaires, Loudun 1993.
D. Decoudun, V. Nebelsztein, Les églises du Loudunais aux XIème et XIIème siècles : architecture/sculpture, mémoire de DEA, dir. M.-Th. Camus, Université de Poitiers 1998.
P. Bouvart, Les prieurés de l’ordre de Fontevraud fondés dans le diocèse de Poitiers au XIIe siècle : conditions d’implantation, topographie monastique et évolution, thèse de doctorat, dir. C. Andrault-Schmitt, L. Bourgeois, Université de Poitiers 2012.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Guesnes, prieuré fontevriste. Armoirie Hugues VI de Bauçay (armoirie 1)
D'(or) à la croix ancrée de (gueules) alias de (gueules) à la croix ancrée d'(or).
Guesnes, prieuré fontevriste. Armoirie Anne d’Orléans (armoirie 3)
Ecartelé : au 1, d'(azur) à trois fleurs de lys d'(or) au lambel de trois pendants d'(argent) (Orléans) ; au 2, de (gueules) à l’écusson d'(argent), aux rais d’escarboucle d'(or), brochantes sur le tout (Clèves) ; au 3, d'(argent) au serpent d'(azur) ondoyant en pal engloutissant un enfant de (carnation) (Visconti) ; au 4, d'(or), à la fasce échiquetée d'(argent) et de (gueules) de trois tires (La Marck).
Attribution : Orléans, Anne d'
Timbre : Une crosse épiscopale/d'abbé
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chapelle latérale sud