Jean de Berry, qui avait déjà eu en apanage le Poitou en 1356, n’entra effectivement à Poitiers que le 7 août 1372, quand les français reprirent la ville, auparavant consignée aux Anglais par le traité de Bretigny (1360). Les documents d’archives montrent que les séjours du duc dans la ville furent fréquents et prolongés (d’une semaine jusqu’à trois mois), bien que concentrés pour la plupart dans la période 1372-1378 et 1387-1397 (Favreau 1991, p. 103-104 ; Rapin 2010, p. 188). Tout au long de son règne, qui dura jusqu’à sa mort en 1416, et notamment avant la fin du XIVe siècle, le duc ne cessa d’investir dans des grands chantiers destinés à changer profondément l’aspect de la ville.
Ceux-ci intéressèrent aussi la reconstruction du château placé à la confluence de la Boivre et du Clain, dans la partie basse de la ville, à l’angle nord-ouest de l’enceinte urbaine. Bâti en forme triangulaire par Alphonse de Poitiers, il se trouvait entre la Porte Saint-Ladre (à l’ouest) et la porte de Rochereuil (à l’est).
François Nautré, Le siège de Poitiers par l’amiral Gaspard de Coligny en 1569, détail, 1619. Poitiers, Musée Sainte-Croix, inv. 820.1.
Visant la protection de l’un des points les plus faibles de l’enceinte et défendu à son tour par des douves et par un mur du côté de la ville, il avait été endommagé par les Anglais en 1346 et par l’armée française durant le siège du 1372. Malgré cela, il fut utilisé régulièrement par Jean de Berry comme résidence dès son premier séjour à Poitiers. Les travaux de renouvellement ne furent entrepris qu’en novembre 1382, sous la direction de l’architecte et sculpteur Guy de Dammartin (Favreau 1966, p. 1361), maître général de l’œuvre, et s’achevèrent à la fin du siècle (Favreau 1991, p. 105-106) : en 1398 plusieurs équipes de peintres sont encore au travail (Rapin 2010, p. 189). Après la mort de Jean de Berry et le retour de l’apanage de Poitiers à la couronne de France, le château devint d’abord la résidence du dauphin Charles, contraint de quitter précipitamment Paris (août-octobre 1418), pour être ensuite utilisé surtout comme prison. Dans les années suivantes, les travaux de réparation furent de moins en moins nombreux et le château fut progressivement abandonné. Son contrôle passa à la ville, qui l’intégra dans son système défensif, sans toutefois s’occuper de son entretien (Rapin 2010, p. 210-211). Démolie progressivement dès la fin du XVIe siècle, cette construction est connue d’après des dessins, des gravures et des enluminures anciennes (tels les Très riches heures de Chantilly, f. 7), ainsi que par le biais des registres des comptes ducaux, qui témoignent ponctuellement des travaux commandés par Jean de Berry.
L’ornementation héraldique devait intéresser la totalité de l’édifice. L’extérieur était investi des signes emblématique du duc, afin de rendre immédiatement perceptible sa présence, même symbolique, et marquer la propriété de la forteresse qui, contrairement au reste de l’enceinte urbaine, ne dépendait pas de l’autorité municipale. En préparation de l’arrivée du duc au printemps 1387, les travaux aux châteaux s’accélérèrent. Notamment, en janvier 1387, un payement est enregistré pour deux peintres qui avaient « ouvré pour poindre les lucarnes des galeries dudit chastel et pour faire en chacune lucarne ung escu des armes de mondit seigneur » (Magne 1904, p. 92) (armoirie 1). En novembre-décembre 1386 des peintres réalisèrent un décor héraldique au faîte de la galerie qui se trouvait du coté de la ville et sur les murs des galeries qui regardaient vers la cour interne du château (Rapin 2010, p. 205) (armorie 2).
Limbourg, Mois de Juillet, détail. Chantilly, Musée Condé, ms. 65, f. 7.
Dans le même temps, à l’intérieur des bâtiments réaménagés, d’autres peintres travaillaient à la cheminée qui venait d’être installée dans le « pavillon » qui surmontait vraisemblablement la porte donnant accès au château du côté de la ville et longeait la tour orientale. Les peintres furent en effet payés « por emprimer les feuilles (foliolhes) de la chambralle (chambranle) de la cheminée di pavaillon dudit chastel et pour poindre l’escu et le timbre de mond seigneur sceant au pignon du dit pavaillon » (Magne 1904, p. 93) (armoirie 3). Huit bannières peintes couronnaient son toit (Rapin 2010, p. 205) (armoirie 4) et le sol de ses salles était couvert par des carreaux émaillés peints aux armes et devises du duc (armoirie 5), réalisés par Jean de Valence, « sarrasin » d’Espagne, entre 1384 et 1387 (Favreau 1991, p. 115). Il devait s’agir de carreaux identiques à ceux qui ont été trouvés en 1902 dans les décombres provenant du Palais de Justice et censés avoir appartenu aux chambres restaurées par Jean de Berry. Les livres de comptes nous apprennent en effet qu’entre 1384-1386 des « carreaux poins aux armes et devises de mondit seigneur » furent produits par Jean de Valence et son équipe de travailleurs locaux « en l’oustel de Vivonne » (près de l’église Sainte-Radegonde) pour « paver les chambres et sales dudit chasteau de Poitiers » et, vraisemblablement, du palais (Magne 1904-1906, p. 120, 122 ; nous savons que des « carreaux peints » composaient le sol de la chapelle du château : Rapin 2010, p. 198).
Carreau aux armes de Jean de Berry. Poitiers, Musée Sainte-Croix (du Palais des comtes).
D’ailleurs, une confirmation de la réalisation effective de ces sols à carreaux émaillés provient de l’avis donné, une soixantaine d’années plus tard, par les membres de la commission chargée d’examiner les carreaux usés dans les galléries supérieures à fin de les remplacer : il furent obligé de déclarer de « ne plus savoir faire de tels pavés » (Paris, BnF ms. Fr. 26081, pièce 6597 citée par Bon 2000, p. 58).
En fin, un décor emblématique devait caractériser d’autres salles du château. En novembre 1384 tel Regaudin de Bossuc, sculpteur en bois, fut payé pour « ouvrer de ymaginerie, sur son maché de tailler en boys une dozenne de testes de cerfs a tout le coul et pestrine hors du mur ou elles seront assises chune teste pour le pris […]» (Magne 1904, p. 70 ; une autre tête de cerf fut réalisée par l’ « ymagier » Arnol Athenon pour l’avant du bateau du duc). La mention d’une tête de cerf, devise du roi Charles VI, pourrait évoquer l’existence d’un cycle héraldique sur le model de ceux que l’on trouvera, plus tard, dans le château de la Roche du Maine (Vienne) ou dans celui de Louye (Eure) : des têtes de cerf sont accrochées tout au long de la salle, chacune tenant au cou un écusson armorié. D’ailleurs, il ne faudra pas oublier que dans une gallérie du palais de Bourges se trouvait une statue d’un cerf qui portait au cou le « tres noble escu & armes de Berry » : mentionné dès 1428, il semble avoir voulu évoquer une statue semblable qui trônait à Pais près de la porte de la Grande Chambre du Parlement, exécutée par Jean d’Orléans en 1364 (Rapin 2010, p. 42).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Poitiers, château, https://armma.saprat.fr/monument/chateau-de-jean-de-berry-poitiers/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Paris, BnF ms. Fr. 26081.
Bibliographie études
L. Magne, Le Palais de justice de Poitiers. Etude sur l’art français au XIVe et au XVe siècles, Paris 1904.
R. Favreau, « Les maîtres des œuvres du roi en Poitou au XVe siècle », dans Mélanges offerts à René Crozet, éd. par P. Gallais, Y.-J. Riou, Poitiers 1966, t. 2, p. 1359-1366.
R. Favreau, « Jean de Berry et la ville de Poitiers », dans Fürstliche Residenzen im spatmittelalterliche Europa, hrsg. von H. Patze, W. Paravicini, Sigmaringen 1991, p. 103-135.
P.Bon, « Aux marches du pouvoir : les sols armoriés de Jean de France, duc de Berry (1384 – 1416), dans Images du pouvoir : pavements de faïences en France du XIIIe au XVIIe siècle, catalogue de l’exposition (Bourg-en-Bresse 2000), Paris/Bourg-en-Bresse 2000, p. 56-64.
Th. Rapin, Les chantiers de Jean de France, duc de Berry : maîtrise d’ouvrage et architecture à la fin du XIVe siècle, thèse de doctorat sous la dir. de C. Andrault-Schmitt, Université de Poitiers, Poitiers 2010.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Poitiers, château. Armoirie Jean de Berry (armoirie 1)
(D’azur, semé de fleurs de lys d’or, à la bordure engrêlée de gueules).
Attribution : Berry, Jean de
Position : Extérieur
Étage : Toit
Pièce / Partie de l'édifice : Galerie
Emplacement précis : Fenêtre
Support armorié : Lucarne
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue