La chapelle Notre-Dame-de-Bethléem est située à 300 mètres du bourg de Saint-Jean-de-Boiseau (anciennement Saint-Jean-de-Bouguenais), le long de la route menant à la commune du Pellerin et à la Loire. De petites dimensions, elle se compose d’une nef à deux travées et d’une chapelle latérale qui abrite, sur sa façade sud donnant sur la route, la fontaine pour laquelle le sanctuaire est réputé. La présence à l’intérieur d’une couverture voûtée d’ogives et, l’ajout à l’extérieur de puissants contreforts, dont les pinacles détruits en 1877 ont été restitués avec un décor contemporain en 1993-1995, participent à la monumentalisation de l’église, tandis que la chapelle latérale est davantage mise en valeur par un appareil de tuffeau en pierre de taille avec soubassement en granite, classique dans la région.
Le reste du bâti était en revanche recouvert d’un lambris, dont la disparition donne aujourd’hui à voir une construction très hétérogène dans les matériaux (moellons, briques, tuffeau), difficilement lisible, d’autant plus en l’absence de source écrite. L’époque de construction de l’édifice demeure ainsi incertaine et il est possible qu’il ait été bâti à la place d’une structure plus ancienne en lien avec la fontaine et, donc, localisée à l’endroit de la chapelle latérale actuelle. Cette hypothèse est basée sur l’identification de fragments sculptés utilisés en remploi dans la maçonnerie des contreforts de l’édifice actuel, que le restaurateur Boistel a daté du XIVe siècle et qui pourraient avoir appartenu à un édifice antérieur (AD Loire-Atlantique, fonds Boistel, 274 J 127). Boistel signalait aussi la découverte en 1993 de plusieurs vestiges héraldiques colorés, dont nous n’en avons cependant trouvé aucune trace photographique ou matérielle.
La chapelle actuelle a été en revanche datée de la fin du XVe siècle et/ou du début du XVIe siècle (La Nicollière 1863, p. 367 ; AD Loire-Atlantique, fonds Boistel, 274 J 127 ; Hubert-Chiché 2007) et, d’après une tradition locale, aurait été réalisée par des ouvriers ayant participé au chantier de la cathédrale de Nantes (La Nicollière 1863, p. 368) : une affirmation tout à fait plausible, puisque à partir de 1460 la cour ducale s’installe durablement dans la ville, qui constitue alors un foyer artistique de premier plan. Le style architectural de l’ensemble (base des colonnes, crédences, clefs de voûte) autorise effectivement la comparaison avec d’autres édifices contemporains de la région nantaise (les Minimes, les Cordeliers, le château et la cathédrale à Nantes, mais aussi Saint-Lupien de Rezé et Saint-Jean-Baptiste à Saint-Jean-de-Boiseau). Préservée des destructions révolutionnaires, grâce à l’action du recteur de la paroisse s’étant rallié à la Révolution, la chapelle Notre-Dame-de-Bethléem a cependant souffert de l’humidité, de dégradations et, plus récemment, de sa proximité avec la route départementale. Depuis le XIXe siècle, plusieurs campagnes de restauration ont ainsi touché la toiture, la charpente et les voûtes, mais aussi la grande baie du chevet – que l’on voit en partie murée en 1838, elle a été rouverte quelques décennies plus tard et refaite avec les mêmes proportions qu’avant – et la porte de la façade ouest, refaite en 1905 (AD Loire-Atlantique, fonds Boistel, 274 J 127 ; Hubert-Chiché 2007).
Saint-Jean-de-Boiseau, chapelle Notre-Dame-de-Bethléem_façade ouest, baie surmontant le portail d’entrée.
Au-dessus de cette porte, qui constituait l’entrée principale de l’édifice, un deuxième niveau, séparé par une corniche, présente une large baie surmontée d’un arc, sur lequel étaient figurés des petits personnages (peut-être des singes), aujourd’hui méconnaissables, courant parmi les crochets (AD Loire-Atlantique, fonds Boistel, 274 J 127). Nous les reconnaissons dans une gravure ancienne (Benoist 1850), qui montre également deux figures affrontées au sommet de l’arc, déjà identifiées comme « deux lions se faisant face sur un blason » (AD Loire-Atlantique, fonds Boistel, 274 J 127). Si les vestiges très altérés encore en place ne permettent pas de confirmer l’identification des félins, la présence d’un écu droit, bien qu’illisible, semble bien avérée (armoirie 1). Nous pensons qu’il pouvait porter les armes ducales, celles-ci étant presque systématiquement tenues par un couple de lions, l’emblème des ducs de la maison de Montfort. Les armes ducales sont en effet souvent représentées dans les sanctuaires bretons, comme le retable de Saint-Lupien de Rezé l’atteste (Charrier 2017b, p. 71-72), même si pour cet exemple, comme pour la chapelle de Bethléem, l’implication directe du duc n’est pas documentée. Nous ne pouvons toutefois pas exclure que cet écu portait les armes d’une autre des familles ayant un lien attesté avec le site : la présence d’un lion sur une des armoiries des clefs de voûte de la nef (armoirie 3) rend cette hypothèse d’autant plus crédible qu’il était fréquent de choisir ses tenants héraldiques à partir de la figure principale de ses armes.
Clé de voûte aux armes de l’abbé Jean Goheau. Saint-Jean-de-Boiseau, chapelle Notre-Dame-de-Bethléem (cliché : Jean-Pierre Parois).
A l’intérieur de la chapelle, les murs étaient intégralement couverts d’un semé de fleurs de lis d’or sur champ de gueules, dont nous trouvons quelques fragments à plusieurs endroits de l’édifice et notamment sur le mur surplombant l’autel de la chapelle latérale. Ce décor à symbolique mariale renvoie à la dédicace du sanctuaire et pourrait avoir été exécuté à une époque assez ancienne, puisque la forme des fleurs de lis est tout à fait cohérente avec le style du XVe siècle, même si des repeints plus récents ne sont pas à exclure.
L’écu armorié brochant sur une crosse qui orne la clef de voûte de la première travée de la nef est en revanche clairement d’origine (armoirie 2). Il est inscrit dans un polylobe à redents aux gables terminés par des croix fleuronnées. Il s’agit d’une forme typique du répertoire du gothique français de la seconde moitié du XVe siècle, utilisée aussi dans la chapelle d’Aranda des Cordeliers de Nantes datée de 1510 (Morvan 2014, p. 185-186), mais qui est ici agrémentée d’une sorte de gâble en cloche ajusté pour la tête de la crosse, un motif particulier de la production nantaise que nous retrouvons dans la chapelle des Minimes (1468-1481), dans la loggia du château ducal et à la cathédrale (Charrier 2017a, t. 1, p. 192 et t. 3, p. 78). Dans l’écu nous reconnaissons sans difficultés les armes de Jean Goheau qui, comme un certain nombre d’ecclésiastiques, timbre les armes de sa famille d’une crosse qui rend compte de sa dignité d’abbé de Géneston (1483-1509). Peut-être frère de François Ier Goheau († 1499), capitaine des francs-archers d’outre-Loire qui se fit bâtir un hôtel particulier à Nantes vers 1500 (Charrier 2017a, t. 1, p. 297 et t. 2, p. 210-259 ; Cardou 2012, p. 22-23), Jean Goheau est vraisemblablement le principal promoteur du chantier de Bethléem où il intervient en tant qu’héritier des Goheau, fondateurs du sanctuaire, et en tant que supérieur de l’abbaye de Géneston de qui relève la chapelle (La Nicollière 1863, p. 367). Grand bâtisseur – il est sûrement à l’initiative de la construction de l’église paroissiale de Saint-Jean-de-Boiseau, dont une sablière porte les armes des Goheau, et de Saint-Lupien de Rezé, dont le profil ressemble assez fortement à Bethléem, celui d’une petite chapelle au sud de la Loire reconstruite dans les mêmes années et dépendant tout comme elle de l’abbaye de Géneston (Charrier 2017b) – Jean Goheau aurait ainsi lancé une grande campagne de reconstruction sur ces édifices, tout en profitant sûrement de sa position à la cour pour s’offrir les services d’artistes de premier plan, ayant peut-être déjà travaillé sur d’autres chantiers locaux.
Clé de voûte ornée d’un écu parti aux armes de Pierre du Chaffault et de Jean Goheau. Saint-Jean-de-Boiseau, chapelle Notre-Dame-de-Bethléem (cliché : Jean-Pierre Parois).
L’identification de l’écu armorié de la clef de voûte de la chapelle latérale est plus problématique. Inscrit dans un encadrement à huit croix fleuronnées, il présente une armoirie partie avec, à dextre, un lion rampant couronné, contourné et tenant une crosse qui dépasse les contours de l’écu, et, à senestre, les armes des Goheau (armoirie 3). La présence marquée de la crosse, située au centre et timbrant l’écu, mais dont l’orientation à sénestre (au contraire de la première clef) ne semble pas particulièrement signifiante, a poussé à attribuer ces armes au lion à Pierre du Chaffault, évêque de Nantes (1477-1487), qui portait en effet comme armes un lion couronné (mais sans crosse) (La Nicollière 1863, p. 373). Cette lecture n’a jamais fait l’objet de débat, dans la mesure où elle correspondait aussi parfaitement avec la datation stylistique, la géographie du chantier et les relations connues entre les deux individus (ibid.), même si elle ne tient pas compte du fait que les deux successeurs de Pierre du Chaffault à l’épiscopat nantais, Robert V (1489-1493) et Jean III d’Espinay (1495-1500) appartenaient eux aussi à une famille qui arborait un lion couronné, délaissé cependant dans la seconde moitié du XVe siècle au profit d’un écartelé Rohan-Visconti (Kersauzon de Pennendreff 1892, p. 189-196 ; Hablot 2011).
Sceau de Pierre du Chaffault, 1479. Nantes, AD Loire Atlantique, 10 Fi 1990.
En tout cas, l’association des armes de deux prélats sous la forme d’un écu parti apparaît comme une mise en forme tout à fait inhabituelle, puisque les armoiries parties pour un prélat restent rares et renvoient la plupart du temps à une association entre les armoiries de l’institution (évêché ou abbaye), à dextre, et les armoiries personnelles du prélat, à sénestre. Suivant cette hypothèse, le lion couronné tenant la crosse aurait pu être une représentation des armes de l’abbaye de Géneston, inconnues pour cette période, mais qui apparaissent totalement différentes au XVIIe siècle dans l’enquête de Charles d’Hozier (Paris, BnF, ms. Fr. 32202, p. 309 : Répertoire breton).
En l’état, une attribution à Pierre du Chaffault paraît donc plus crédible, d’autant plus qu’elle pourrait référer au statut des évêques de Nantes en tant que fondateurs de l’abbaye de Géneston (La Nicollière 1863, p. 373). Il s’agirait alors d’une marque de juridiction. Par conséquent les armes des Goheau aussi, au lieu d’indiquer l’abbé, renverraient aux droits sur la terre possédés par cette famille depuis le XIIe siècle (id., p. 366-367). Les Goheau issus de la maison de Saint-Aignan sont en effet bien implantés dans le sud de la Loire, et cèdent en 1163 leurs droits du lieu dit de la Pierre folle (i.e. Bethléem) à Géneston, ce qui leur octroie vraisemblablement en échange le titre de fondateurs du sanctuaire. D’autres hypothèses ont été cependant formulées sur cet écu. D’après certains, on y trouverait une apposition des armes des deux bienfaiteurs de la chapelle, voire une matérialisation de leur lien familial éventuel, puisque Pierre du Chaffault pourrait être le grand-oncle de Jean Goheau (Cardou 2012, p. 146 et 149). D’après d’autres on pourrait en revanche y voir même une sorte de rébus héraldique retranscrivant la hiérarchie entre l’évêque de Nantes et l’abbé de Géneston, si ce n’est une figuration symbolique de l’investiture de ce dernier en 1483 (La Nicollière 1863, p. 373), par le biais du lion de Du Chaffault offrant sa crosse à Jean Goheau.
Clé de voûte avec la représentation de la chapelle Notre-Dame-de-Bethléem et inscription de dédicace. Saint-Jean-de-Boiseau, chapelle Notre-Dame-de-Bethléem (cliché : Jean Pierre Parois).
Signalons également dans cette chapelle latérale, la présence d’un autre écusson effacé (armoirie 4), tenu par un ange, ornant un cul de lampe. Peut-être s’agit-il encore des armes des Goheau, que l’on retrouve aussi tenues par un ange sur une sablière de l’église paroissiale.
La troisième clef de voûte, située dans le chœur de la nef porte en revanche l’image de la chapelle, accompagnée d’un texte de dédicace (TEMPLUM DICATUM VIRGINI BETHLEEM). Déjà considérée sans raison évidente comme étant postérieure aux deux premières (AD Loire-Atlantique, fonds Boistel, 274 J 127), elle est encadrée par une couronne végétale entrelacée, dans laquelle il serait tentant de voir une allusion à la couronne d’épines, comme on la trouve dans des figurations de la fin du XVe siècle en fonction d’ornement circulaire ceignant des armoiries (sceau d’Anne de Bretagne, 1488 : Sigilla ; clef de voûte aux armes de Pierre Landais à Notre-Dame de Vitré). De même, le relevé de la police d’écriture s’apparente au style du gothique fleuri (La Nicollière 1863, p. 370), et plus largement aux formes souples qui évoquent l’art de la ferronnerie voire les caractères d’imprimerie, en vogue dans les années 1490-1510, et que l’on retrouve notamment dans les Petites Heures (Gallica) vers 1500-1505 et les Grandes Heures d’Anne de Bretagne (Gallica) vers 1503-1508, mais aussi dans le décor du château de Josselin vers 1503-1509.
Plusieurs éléments disséminés dans l’ensemble de l’édifice (le décor sculpté des façades sud et ouest, la fontaine, les clefs de voûte) font ainsi pencher pour une datation de sa construction aux premières années du XVIe siècle (Lehuédé à paraître) et a minima avant 1509, date de la mort de Jean Goheau. Reste le problème de la seconde clef de voûte aux armes supposées de Pierre du Chaffault, qui pourrait suggérer un début du chantier entre 1483, date de la nomination de Jean Goheau à Géneston, et 1487, date du décès de l’évêque. Sûrement faut-il envisager différentes phases de travaux. La première (vers 1483-1487), ayant pu être interrompue par la guerre franco-bretonne (1488-1491), pourrait s’être limitée à la chapelle latérale, dont plusieurs indices marquent l’antériorité, comme la clef de voûte, la mise en évidence d’un ancien niveau de sol (AD Loire-Atlantique, fonds Boistel, 274 J 127, Hubert-Chiché 2007) et l’obturation d’une possible entrée primitive sur la façade ouest, avant que la reprise du chantier dans les années 1500 modifie le projet initial.
Auteur : Thibaut Lehuede
Pour citer cet article
Thibaut Lehuede, Saint-Jean-de-Boiseau, chapelle Notre-Dame-de-Bethléem, https://armma.saprat.fr/monument/saint-jean-de-boiseau-chapelle-notre-dame-de-bethleem/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
AD Loire-Atlantique, fonds Boistel, 274 J 127, Boistel Jean-Louis, Dossier de restauration Saint-Jean-de-Boiseau, chapelle de Bethléem, 1989-2013.
Bibliographie études
Benoist Félix, Émile Souvestre Pitre-Chevalier, Nantes et la Loire-Inférieure. Monuments anciens et modernes, sites et costumes pittoresques, Nantes 1850.
Cardou Alain, Une histoire des Goheau du 12e au 18e siècle, repères généalogiques et historiques, s.l. 2012.
Charrier Lény, Les hôtels particuliers construits en pierre dans Nantes intra-muros de la fin du XVe siècle au début du XVIe siècle, thèse de doctorat, Université de Nantes, 2017a.
Charrier Lény, « La chapelle Saint-Lupien : témoin de la chrétienté à Rezé », Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Nantes et de Loire-Atlantique, 144, 2017b, p. 49-70.
De la Nicollière Stéphane, « Notre-Dame de Bethléem, en Saint-Jean-de-Boiseau », Revue de Bretagne et de Vendée, 1863, p. 364-373.
Hablot Laurent, « La mémoire héraldique des Visconti dans le France du XVe siècle », dans M. Ferrari (dir.), L’Arme segreta. Araldica e storia dell’arte nel Medioevo (secoli XIII-XIV), Florence 2015, p. 267-283.
Hubert-Chiché Inès, La chapelle de Bethléem à Saint-Jean-de-Boiseau (Loire-Atlantique) : étude historique et architecturale, mémoire de Master, Université de Nantes, 2007.
Morvan Haude, « Les sépultures dans le couvent des cordeliers de Nantes », dans N. Faucherre, J.-M. Guillouët (dir.), Nantes flamboyante, 1380-1530, Nantes 2014, p. 179-188.
Saint-Jean-de-Boiseau, chapelle Notre-Dame-de-Bethléem. Armoirie Pierre du Chaffault ? – Jean Goheau (armoirie 3)
Parti : au 1, de (sinople ?) au lion d'(or ?), contourné, armé, lampassé et couronné de (gueules ?) (Du Chaffault ?), tenant une crosse ; au 2, de (gueules) à la fasce d'(argent) accostée de trois trèfles (du même), disposés deux en chef, un en pointe (Goheau).