Précédé par deux corps de ferme en L dotés de pigeonniers, les deux construits au XVIe siècle, le château fort de Chambonneau est placé au pied d’une colline en proximité du Miosson, sur un domaine appartenu à l’abbaye de Ligugé jusqu’à 951 sur lequel deux fiefs ont été constitués en 1157 : l’un qui devait l’hommage à la baronnie de Celle-l’Evescault, et donc à l’évêque de Poitiers, l’autre à la châtellenie de Château-Larcher, relevant de la Tour Maubergeon. Une fois les deux fiefs réunis par Mahaut de Vivonne, épouse de Jean Frotier de Melzéard, une première fortification fut construite à cet endroit sur ordre du roi Philippe VI entre 1335 et 1345. Tombée dans les mains des anglais après la bataille de 1356, puis reprise par les troupes de Bertrand de Guesclin, elle dut rapidement revenir en possession des Frotier : en 1396, Jean II Frotier († 1396), également seigneur de la Masselière et de Chamousseau, confirmait en effet l’hommage pour le fief de Chambonneau. Le château passa par la suite à Guy Frottier († vers 1487), fils de Colin Frotier et de Jeanne Cléret et petit-fils de Jean III Frotier (Geneanet). Marié à Jeanne de Maillé († dès 1487), Guy fit faire des travaux d’envergure au château, qui prit les formes qu’il a essentiellement conservées jusqu’à nos jours, malgré les modifications et restaurations apportées dans le temps essentiellement par les Palustre, qui achetèrent la propriété en 1583-1584, et par le général Louis de l’Abadie d’Andrein, qui confia à l’architecte poitevin Louis Ojam la restauration du site en 1865-1875 (à cette époque remontent notamment la réalisation des fenêtres à meneau sur la cour intérieure et des lucarnes néogothiques sur les toitures, dont une ornée d’un écusson vierge) (Bénoni Drochon 1875, p. 471-476 ; Lavault 1985, p. 336).
Gizay, château de Chambonneau, détail du couronnement et du chemin de ronde du châtelet orné d’écussons.
Inscrit au titre des Monuments Historiques en 1964 (base POP), la structure fortifiée présente un châtelet d’entrée, jadis précédé d’un pont levis, surveillé par deux tours barlongues puissantes, ajourées par des archères et par des fenêtres ornées de linteau en accolade. Le tout est couronné d’un chemin de ronde couvert en saillie, soutenu par des mâchicoulis, qui alternent des consoles à ressauts et des arcs trilobés sculptés à la base du parapet. Précédé originairement per deux tours barlongues arrasées en 1953, encore visibles dans certaines photographies anciennes du site, le châtelet est accosté de deux ailes, jadis continuées à l’arrière par une courtine qui encadrait la cour intérieure, aujourd’hui ouverte sur un jardin aménagé à la place de deux tours d’angles détruites à l’époque moderne, quand la structure avait de toute évidence désormais perdu sa fonction militaire d’origine.
Gizay, château de Chambonneau, porte armoriée de la chapelle.
Des éléments héraldiques s’affichent à de différents endroits de la structure fortifiée, à partir du châtelet d’entrée qui, sur la base d’une pratique largement documentée, était visiblement marqué par des armoiries. Si l’écu aux armes des Frotier qui aujourd’hui surplombe l’entrée du château a été certainement ajouté dans le cadre du chantier de restauration réalisé au milieu du XXe siècle (armoirie 1a) (l’armoirie n’est pas visible dans les photographies les plus anciennes du monument), les trois écussons sculptés entre les machicoulis du chemin de ronde du châtelet datent sans doute de l’époque de construction de la structure fortifiée, dans la seconde moitié du XVe siècle (armoiries 2a-c). Placés de manière symétrique – deux sur les tours latérales, le troisième à la verticale du portail d’entrée – ils étaient certainement bien visibles à tous ceux qui s’approchaient du château. Puisque les trois écus ont été soigneusement bûchés, à défaut d’autres documents, il est actuellement impossible de savoir quelles armoiries étaient figurées à cet endroit. Il est cependant plausible que ces écussons portaient les armes des Frotier, seigneur du lieu, que nous retrouvons effectivement représentées à d’autres endroits du château.
Dans le passage couvert reliant la cour au portail d’entrée nous retrouvons des attestations héraldiques plus récentes, qui documentent les armes des propriétaires successifs du château. C’est justement à cet endroit que François Palustre avait fait aménager une chapelle qui fut successivement ornée d’une porte surmontée d’un fronton brisé par César Palustre, son arrière petit-fils vers la fin du XVIIe siècle. Même si la surface de l’écu, timbré d’un heaume de profil, a été grattée, nous pouvons encore y reconnaître le contour d’une étoile et celui d’un cygne, figures qui constituaient les meubles principaux des armes des Palustre (Berthelé 1891, p. 12). En face, une porte à la belle mouluration flamboyante, qui donne accès à la vis de la tour sud, est en revanche surmontée d’un écu couronné, probablement datant lui aussi du XVIIe siècle, dans lequel les armes du fief de Chambonneau sont écartelée à une armoirie à deux fasces. Celle-ci pourrait appartenir à Jean des Francs, qui avait épousé Catherine Palustre en 1610 (les hachures indiquent toutefois que les deux fasces étaient d’azur, alors que les Francs auraient plutôt porté des armes à deux fasces de sable : Beauchet-Filleau 1903, p. 576). Il est plausible que l’armoirie ait pris la place d’une figuration héraldique plus ancienne comme l’indique le larmier qui la protège et qui, par sa forme, semble contemporain de la porte flamboyante qu’il surmonte. Au XVe siècle il était en effet courant de marquer la porte d’accès à la tour d’escalier d’une structure résidentielle avec les armes de ses propriétaires.
Gizay, château de Chambonneau, salle au Ier étage dotée de cheminée armoriée.
Derrière cette porte, les armoiries pleines de la famille Frotier sont ainsi reconnaissables dans un graffiti réalisé sur le mur de l’escalier qui dessert les étages supérieurs du château (armoirie 1b). S’il est impossible de dater cette figuration spontanée, nous devons tout de même constater qu’elle semble copier l’armoirie moderne encastrée au-dessus du portail d’entrée du château. Dans les deux cas, l’armoirie Frotier est en effet chargée d’un croissant en chef à dextre, une brisure qui ne semble pas documentée ailleurs. Certainement médiéval est par contre l’écusson armorié sculpté sur le linteau de la cheminée d’une petite salle au premier étage (armoirie 3). Mi-partie et chargée d’un lambel en chef, elle combine les armes des Frotier, à dextre, à une armoirie présentant une fasce ondée, à senestre, qui fait penser aux armes des Maillé (d’or à trois fasces nébulées de gueules). Il pourrait s’agir des armes du couple issu du mariage entre Guy Frotier († 1487), chevalier de la Messelière, et Jeanne de Maillé, à cause de laquelle le premier rendit aveu pour la châtellenie de Château-Larcher en 1463 (Beauchet-Filleau 1903, p. 614). L’hypothèse semble confirmée par le fait que le château tout proche de la Messelière, rénové par le même Guy Frotier, était orné de plusieurs armoiries du couple que l’érudit breton Henri Frotier de La Messelière, descendant lointain de la famille, copia dans ses carnets à la suite de la visite effectuée en 1899. La présence des armoiries du couple permettrait donc de situer les travaux de construction du château entre le début des année 1460 et 1487, année de mort de Guy Frotier.
Gizay, château de Chambonneau, porte d’entrée armoriée au rez-de-chaussée.
Un autre écusson aujourd’hui vierge, mais dont la surface a été visiblement grattée pour effacer toute trace de l’armoirie qui y était peinte ou sculptée, orne le linteau d’une porte actuellement visible dans un espace couvert fermé donnant sur la cour centrale, mais sans doute à l’origine s’ouvrant directement vers l’extérieur (armoirie 4). L’écu en forte saillie, dont la pointe dépasse le profil inferieur du linteau, est protégé et mis en valeur par l’encadrement mouluré de l’élément architectural, qui joue donc aussi la fonction de larmier.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Gizay, château de Chambonneau, https://armma.saprat.fr/monument/gizay-chateau-de-chambonneau/, consulté
le 03/12/2024.
Bibliographie études
Beauchet-Filleau Henri, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. 3, Poitiers 1903.
Benoni Drochon A., « Château-Larcher et ses seigneurs. Recherches historiques », Mémoires de la Société des antiquaires de l’Ouest, 39, 1875, p. 65-564.
Berthelé Joseph, « Le portrait d’un maire de Poitiers », Revue poitevine et saintongeaise, 8, 1891, p. 11-12.
Lavault Guy, Les châteaux de la Vienne, Poitiers 1985.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Gizay, château de Chambonneau. Armoirie Frotier (armoirie 1a)
D'(argent) au pal de (gueules) accosté de 10 losanges de (gueules), 5 à dextre, 5 à senestre, posées 2, 2, 1, au croissant de… en chef à dextre.
Attribution : Frotier (Frottier) famille (brisure)
Gizay, château de Chambonneau. Armoirie Frotier / Maillé ? (armoirie 3)
Mi-parti : au 1, d'(argent) au pal de (gueules) accosté de 10 losanges de (gueules), 5 à dextre, 5 à senestre, posées 2, 2, 1 (Frotier) ; au 2, d'(or ?) à la fasce nébulée de (gueules ?) (Maillé ?) ; au lambel de 5 ? pendants de… en chef sur le tout.