L’ancienne abbaye bénédictine Saint-Paul de Cormery, fondée en 791 par Ithier, abbé de Saint-Martin de Tours et prochancelier de Charlemagne, est située sur le territoire de la ville de Cormery en Indre-et-Loire. La structure monastique, dont la construction s’est étalée jusqu’au XVIIIe siècle, a été endommagée à plusieurs reprises, notamment lors des invasions normandes au VIIIe siècle, mais aussi durant la Guerre de Cent Ans et les guerres de Religion. C’est finalement la suppression des congrégations à la Révolution, en 1790, suivi du morcellement des bâtiments et de leur vente comme biens nationaux, qui entraîna la démolition presque totale de l’abbaye à partir de 1791 (Chupin 1995, p. 538 ).
Dans l’état actuel de nos connaissance, l’ornementation héraldique du complexe abbatial était notamment assurée par la présence de tombeaux armoriés situés dans le chœur de l’église, reconstruit par Thibault de Châlon, abbé de 1296 au début du XIVe siècle (Ranjard 1986, p. 328). Au moins six tombeaux y sont relevés par François-Roger de Gaignières lors de son passage en 1699, tous détruits à la Révolution. Parmi ceux-ci trois étaient armoriés. Le premier tombeau orné d’armoirie est une sépulture anonyme qualifiée « d’ancienne » dans l’inventaire détaillé de la collection Gaignières (Clairambault 1046, f. 677, num. 50 ; Oxford, Bodleian Library, Gough drawings Gaignières 14, f. 96 : Collecta). Elle se trouvait au milieu de la chapelle Sainte-Catherine au sud du chœur. Une épée y était gravée sur laquelle était posé un écu chargé de trois lions naissants à la cotice brochant sur le tout (armoirie 1). La présence de l’épée indique que la tombe n’appartenait visiblement pas à un ecclésiastique, mais plutôt à un laïc ayant occupé une charge militaire ou dont on voulait mettre en exergue le statut nobiliaire et, donc, le rang chevaleresque.
Cette sépulture constitue une exception parmi les tombes connues dans l’abbaye, qui appartenaient toutes aux abbés de Cormery. Si l’emplacement exact de ces tombeaux est difficile à déterminer, car ceux-ci sont rarement mentionnés dans les sources, le plan d’ensemble de l’abbaye de Cormery, dessiné par Dom Hilaire Pinet en 1646, révèle la présence de quatre piles reliées latéralement par des tombeaux de part et d’autre du maître autel (Mauret-Cribellier 1994, p. 122, 128). L’un de ceux-ci appartenait à Jean de Puy († 1517), abbé de Cormery de 1490 à 1507. Les indications fournies par Gaignières placent en effet la sépulture « a droite du chœur en dehors dans l’aisle de l’Eglise » (Oxford, Bodleian Library, Gough drawings Gaignières 14, f. 98 : Collecta), à savoir donc vraisemblablement à l’extérieur de la clôture du chœur, dans la deuxième travée du bas-côté sud (armoiries 2a-b). Ce tombeau présentait sur sa face principale deux écus sculptés polychromés aux armes de Puy, disposés d’un côté et de l’autre d’une tablette ansée, surmontée d’un chérubin, portant une inscription avec les initiales du défunt et l’année de sa mort. Les deux écussons armoriés étaient placés sur une crosse et entourés d’une couronne végétale, un ornement typique de la première Renaissance française issu de l’art italien, tout comme la forme en targe des écus. Les mêmes armoiries se retrouvaient sur le tombeau de René du Puy, neveu de l’abbé Jean, qui eut l’abbaye de Cormery de 1507 à 1519 (Oxford, Bodleian Library, Gough drawings Gaignières 14, f. 99 : Collecta) (armoiries 3a-b). D’après la légende qui accompagne le relevé de la collection de Gagnières son tombeau se trouvait « près le grand autel du costé de l’Epistre », ce qui nous laisse croire qu’il était placé à l’intérieur du chœur, au plus près du maître autel et juste derrière la tombe de son prédécesseur, ce qui expliquerait aussi la différence de couleurs des carreaux du sol, totalement blancs d’un côté, noirs et blancs alternés de l’autre. Comme dans le tombeau de Jean du Puy, les armes de l’abbé René sont également insérées dans des écussons en targe placés de part et d’autre d’un chérubin qui surmontait une tablette ansée portant les initiales et l’année de mort du défunt.
Parfaitement identiques, les deux tombeaux ont été vraisemblablement réalisés au même moment, sous la commande de René du Puy entre 1507, date à laquelle il succéda à Jean du Puy après sa démission (Busserole 1883, p. 236), et 1520 lorsqu’il prit possession de l’évêché de Lodève. Il faudra d’ailleurs souligner que la date de mort de René – qui fut le dernier abbé élu de Cormery avant que, en conséquence du concordat de Bologne conclu entre le pape Léon X et François Ier en 1516, l’abbaye passa sous le régime de la commende en 1519 – demeure incertaine, car les sources se contredisent à ce sujet : si l’inscription de son tombeau relevée par Gaignières porte l’année 1520, les révérends Richard et Giraud dans leur Dictionnaire universel (Richard et Giraud 1827, p. 355) affirment qu’il mourut à Lodève en août 1524. Selon l’hypothèse la plus probable, René du Puy, ayant commandé son tombeau à Cormery de son vivant, n’avait très probablement pas fait inscrire les deux derniers chiffres de sa date de mort (il fut d’ailleurs enterré dans la cathédrale de Lodève). Gaignières et son dessinateur Louis Boudan se seraient alors permis de compléter l’inscription avec les informations qu’ils avaient sur René du Puy qui quitta Cormery en 1520.
Il est donc vraisemblable que la réalisation de ces deux sépultures découlait d’une stratégie de mise en scène familiale bien précise, étudiée par l’abbé René. Celui-ci fit placer son tombeau, ainsi que celui de son prédécesseur, au plus proche de l’autel, c’est-à-dire dans la partie la plus sacrée de l’édifice afin de bénéficier du salut que ce privilège assurait. D’autre part, en plaçant sa sépulture à côté de son oncle, René semble avoir voulu établir un lien direct avec son prédécesseur afin d’exalter l’importance du lignage pour l’institution religieuse qu’ils avaient gouvernée. Il est néanmoins possible que, dans la disposition des deux tombeaux, René du Puy ait voulu affirmer une certaine supériorité par rapport à son oncle : son tombeau était en effet placé à l’intérieur du chœur et, donc, plus directement en contact avec l’autel, tandis que celui de Jean était disposé dans le bas-côté sud en tournant le dos à l’autel.
Cormery, abbaye Saint-Paul, chapelle Saint-Symphorien, voûte aux armes de Puy.
Enfin, le dernier élément héraldique encore visible est conservé dans la chapelle élevée par Jean du Puy vers 1500. De style gothique, elle est dédiée à saint Symphorien et adossée au collatéral nord du chœur (Mauret-Cribellier 1994, p. 128). Probablement transformée en remise à fourrage pendant la Révolution (Ranjard 1986, p. 328), elle survécut à la destruction après la vente des biens nationaux. Terminée par une abside, elle est composée de deux travées couvertes par des voûtes en croisée d’ogive sur six nervures, dont les clés sont sculptées : celle de l’abside présente l’image de saint Paul, patron de l’abbaye, tenant l’épée dans la main, tandis que celle de la première travée est ornée d’un écu aux armes du Puy, inséré dans un double cadre ornemental géométrique à dix pointes (armoirie 4). Posé sur une crosse d’abbé et orienté avec la pointe en direction de l’autel, il appartenait sans doute à l’abbé Jean, commanditaire de la chapelle.
Auteur : Sarah Héquette
Pour citer cet article
Sarah Héquette, Cormery, abbaye Saint-Paul (église), https://armma.saprat.fr/monument/cormery-abbaye-saint-paul/, consulté
le 03/12/2024.
Bibliographie études
Carré de Busserolle Jacques-Xavier, Dictionnaire géographique historique et biographique d’Indre-et-Loire et de l’ancienne province de Touraine, t. 5, Tours 1883.
Chupin Annick, « Cormery 1791-1820. Le dépeçage d’une abbaye millénaire », Bulletin de la Société archéologique de Touraine, 44, 1995, p. 537-553.
Mauret-Cribellier Valérie, « L’abbaye bénédictine Saint-Paul de Cormery (Indre-et-Loire) », Bulletin de la Société archéologique de Touraine, 44, 1994, p. 119-144.
Ranjard Robert, La Touraine archéologique : guide du touriste en Indre-et-Loire, Mayenne 1986 (éd. or. 1930).
Richard Charles-Louis, Giraud Jean-Joseph, Bibliothèque sacrée ou Dictionnaire universel, historique, dogmatique, canonique, géographique et chronologique des sciences ecclésiastiques, t. 28, Paris 1827.