Bueil-en-Touraine, collégiale Saint-Michel et des Saints Innocents
Édifié à partir de 1394, le nouveau chœur est venu compléter l’église paroissiale romane consacrée à saint Pierre dans le prolongement de sa nef. Composée d’un vaisseau unique à trois travées terminé par une abside à cinq pans voûtée d’ogives, la collégiale abritait autrefois les tombeaux des membres de la famille de Bueil. Cette présence s’explique par le fait que les seigneurs de Bueil fiancèrent les travaux durant tout le XVe siècle et, en restant les possesseurs du fief de Bueil jusqu’à la Révolution, élurent l’église comme leur lieu de sépulture pendant toute cette période. A partir de la fin du XVIIIe siècle, la collégiale subit de nombreuses destructions et resta dans un état de dégradation jusqu’à la fin du XIXe siècle quand sa récupération prit le début, avant tout grâce à la redécouverte des tombeaux des seigneurs de Bueil. En novembre 1868, des fouilles furent entreprises par Adolphe Pécard et Paul Nobilleau, membres de la Société archéologique de Touraine, sur la base du témoignage d’un octogénaire qui, enfant, avait vu les gisants être jetés dans un caveau situé sous le chœur de la collégiale (Tours, Arch. dép. Indre-et-Loire, admin. générale de la commune [Bueil], EDEP041/D2 : lettre de 1868 de M. Defrance, curé de Bueil, qui signale la découverte des trois statues). Ces fouilles permirent de redécouvrir trois des statues tombales, brisées à la Révolution : elles restèrent entreposées dans la sacristie de l’église jusqu’en 1882, quand débuta une campagne de restauration qui, selon toute vraisemblance, intéressa les gisants et également l’intérieur de la collégiale (Martinière 1909, p. 253).
Les effigies funéraires furent alors placées dans les enfeus qui bordent les deux côtés de la nef, sans toutefois respecter leur disposition originelle qui était pourtant connue grâce aux témoignages d’érudits. Ceux-ci s’étaient notamment appuyés sur trois relevés, complétés par des légendes donnant des informations sur l’emplacement des monuments et la transcription des épitaphes, actuellement dispersés au sein de la Bibliothèque nationale de France (Paris, BnF, dép. Est. et photo., RESERVE PE-2-FOL, f. 160 : Collecta ; Paris, BnF, ms. Fr. 27033, Bueil, pièces 50-51, 53-56). Déjà attribué à Louis Boudan, le dessinateur de l’antiquaire François-Roger de Gaignières à la fin du XVIIe siècle (Carré de Busserole 1878 ; Hucher [1876] ; Martinière 1909), ils pourraient plutôt provenir d’un correspondant de Gaignières non identifié : non seulement Boudan était un excellent héraldiste, à la différence de l’auteur de ces relevés, doté par ailleurs d’un style drastiquement différent, mais les notes manuscrites qui accompagnent les dessins n’ont pas été écrites par Barthélémy Rémy, le copiste de Gaignières, mais par Pierre de Clairambault, généalogiste des Ordres du roi. Chargé de dresser un inventaire de la collection en 1711 et d’éviter le morcellement de celle-ci avant sa donation au roi, Clairambault, peu de temps après la mort de l’antiquaire en 1715, s’appropria d’une centaine de volumes pour compléter sa propre collection personnelle (Ritz-Guilbert 2016, p. 77), auxquels ces trois dessins ont pu peut-être appartenir. Malgré les doutes concernant les sources que Pierre de Clairambault a pu utiliser pour donner la transcription des inscriptions de l’église de Bueil et l’appartenance des trois relevés à sa collection personnelle, la valeur de ces documents demeure invariée, fournissant des indications précieuses quant à l’emplacement initial des gisants dans la collégiale et à leurs armoiries.
Depuis 1882, le premier enfeu du côté nord est occupé par le gisant de Pierre de Bueil († 1414), seigneur du Bois, de la Motte de Sonzay et des Roches de Sougé, l’un des quatre fondateurs de la collégiale, avec ses frères, en 1394. À sa redécouverte en 1868, les mains ainsi que la tête du gisant avaient disparu et pour cela furent complétées lors de la restauration à la fin du XIXe siècle ; seule la tête, retrouvée par la suite dans les débris et initialement déposée au musée de la Société archéologique de Touraine, où elle fut relevée par Eugène Hucher en 1876 (Hucher [1876], p. 2), put être replacée sur le gisant après 1969 (base POP). Le seigneur est représenté vêtu de son armure et de sa cotte d’armes avec les armoiries écartelées de Bueil (par son père Jean III) et d’Avoir (par sa mère Jeanne d’Avoir), brisées d’une bordure qui signalait sa condition de cadet (armoirie 1). Une des planches susmentionnée (Paris, BnF, dép. Est. et photo., RESERVE PE-2-FOL, f. 160 : Collecta), nous apprends toutefois qu’à l’origine, le gisant de Pierre de Bueil faisait partie d’un monument double, étant accompagné par le gisant de sa femme, Marguerite de Chausse (de la Chausse) († après 1443), placé au mur méridional entre l’autel et le chœur, comme en témoigne la légende qui complète le relevé (et qui fournit cependant une transcription erronée des dates de mort des défunts : Busserole 1878, p. 549). Les pieds de la gisante reposaient sur un chien, symbole de fidélité conjugale, et le sarcophage présentait un front orné de six statues de moines et de moniales.
La statue de Marguerite de Chausse a également été retrouvée lors des fouilles de 1868 : déjà séparée de l’effigie de son époux, elle fut placée dans l’enfeu de la deuxième travée du mur sud lors des restaurations de 1882 et une nouvelle tête lui a été sculptée (l’originale est encore conservée dans les collections du musée de la Société archéologique de Touraine : Martinière 1909, p. 250). Comme pour le gisant de son époux, le relevé réalisé au XVIIIe siècle ne reproduit pas correctement les armes figurant sur sa robe, que Hucher, s’appuyant sur des traces de polychromie à peine perceptibles (armoirie 2), décrivait comme un mi-parti aux armes de son mari et de Chausse qui seraient d’argent à trois fasces de gueules chargées de deux roses du même (Hucher [1876], p. 5), mais pour lesquelles ne trouvait pas de correspondances dans l’héraldique des familles connues. Même si Hucher était formel sur les armoiries qu’il avait sous les yeux, Carré de Busserolle en donna une description bien différente, attribuant à Marguerite un « écu en bannière, écartelé de sable et d’argent » sans toutefois préciser ses sources (Busserole 1866, p. 255). Le problème de l’identité « héraldique » de cette dame reste donc ouvert, en raison de l’impossibilité, dans l’état actuel de nos connaissances, de connaître les armoiries qui étaient réellement peintes sur sa robe.
La troisième sculpture retrouvée lors des fouilles de 1868 est celle de Jeanne de Montejean, la première femme de Jean VI de Bueil, décédée avant 1456. Aujourd’hui placée dans l’enfeu de la première travée du mur sud, elle était à l’origine disposée au milieu du chœur, à droite, entre le balustre et les chaises comme en témoigne la légende du relevé de son tombeau attribué à Gaignières (Paris, BnF, ms. Fr. 27033, pièces 53-54). Celle-ci porte sur sa robe un mi-parti aux armes de son époux et de sa famille (armoirie 3a), à l’instar de l’armoirie reproduite sur la clef de voûte du chœur, repeinte incorrectement au XIXe siècle (armoirie 3f). Le relevé du XVIIIe siècle se montre encore une fois très imprécis : non seulement reproduit de manière erronée les armoiries dessinées sur le gisant – elles présentent simplement les croisettes recroisetées de Bueil et la croix ancrée d’Avoir – mais oublie les autres éléments figurant sur le tombeau, notamment les trois anges portant des écus aux armes de Jeanne de Montejean conservés au musée des Beaux-Arts de Tours (armoiries 3b-d) : deux ont été déposés par la Société archéologique de Touraine, qui les avait acquis après les fouilles de 1868 (Hucher [1876], p. 8), le troisième est un dépôt du musée du Louvre. Il est probable que cette série était complétée par un quatrième ange et qu’ils devaient être placés aux quatre coins du soubassement (Guillouët dans Tours 1500 2012, p. 52-53).
Au tombeau de Jeanne de Montejean appartenait également une pierre à ses armes remployée dans le soubassement du tombeau attribué à Martine Turpin († 1480), la seconde femme de Jean VI de Bueil, encore visible dans l’enfeu de la troisième travée du mur sud de la collégiale (armoirie 3e). Il est accompagné d’un deuxième écu bûché (armoirie 4) dont l’identité reste inconnue. Le tombeau est d’ailleurs le fruit de l’assemblage au XIXe siècle de fragments provenant d’autres monuments (Hucher [1876], p. 4). Si les pleurants appartiennent à la sepulture de Pierre de Bueil et de Marguerite de La Chausse ou à celui de Jeanne de Montejean, la gisante n’appartiendrait même pas aux monuments funéraires de l’église. En effet, d’après Louis Martinière (1909, p. 205), Martine Turpin ne fut pas inhumée à la collégiale de Bueil mais dans la chapelle du château du Plessis Barbe, qu’elle avait reçu en douaire à l’occasion de son mariage en 1476 et où elle vécut après la mort de son mari en 1478. C’est seulement après la démolition du château en 1850 que la statue fut transférée dans la collégiale et fut largement remaniée (seul le corps est du XVe siècle). A son monument funéraire démembré, réalisé aux alentours de 1480, appartiendrait également un soubassement de statue en ronde-bosse portant les armes de Martine Turpin : sculpté en albâtre, il fut donné au musée archéologique de la ville du Mans par M. Ruillé avant 1872 (Hucher [1876], p. 2 ; Tours 1500 2012, p. 54) (armoirie 7b).
Même le dais qui protège la tête du gisant de Martine Turpin appartiendrait en réalité à un autre tombeau de la collégiale, retrouvé lors des fouilles de 1868. Louis Martinière (1909, p. 263), en se basant sur le relevé attribué à Gaignières, attribue cet élément au tombeau de Jeanne de Montejean, mais il pourrait tout aussi bien avoir appartenu au tombeau de Louis de Bueil, le frère de Jean VI de Bueil. En effet, ce dernier commanda en même temps deux tombeaux disposés conjointement dans le chœur, l’un pour lui, l’autre pour son frère. Un troisième relevé attribué à Gaignières témoigne, de manière schématique, de l’aspect originel du monument funéraire (Paris, BnF, ms. Fr. 27033, pièce 50). Louis de Bueil, seigneur de Marmande, décédé lors d’un tournois en 1447, ne porte pas de cotte d’armes, mais ses armoiries sont répétées trois fois sur l’une des faces latérales du soubassement, gravées sur des écus penchés de grandes dimensions (armoiries 5a-c), et il est probable que d’autres écussons à ses armes étaient disposés sur les autres côté du sarcophage à l’instar du tombeau de Jeanne de Montejean. Louis portait l’écartelé de Bueil, d’Avoir, de Champagne et d’Auvergne comme son frère aîné, qu’il brisait toutefois d’un lambel à trois pendants. Aucun élément n’a subsisté de ce monument funéraire, hormis une tête, dont l’identification a été proposée par Hucher ([1876], p. 1) et qui est aujourd’hui conservée dans les collections de la Société archéologique de Touraine (base POP). La plaque funéraire en cuivre commandée par Jean VI de Bueil appartient en revanche aux ensembles armoriés disparus après les destructions révolutionnaires. Grâce aux notes qui accompagnent les relevés réalisés au XVIIIe siècle, nous savons toutefois que les armes du défunt étaient représentées à chaque angle de la sépulture (Paris, BnF, ms. Fr. 27033, pièce 56) (armoiries 6a-d), qui était disposée « au milieu du sanctuaire du grand autel » (Paris, BnF, ms. Fr. 27033, pièce 55), dominant donc l’ensemble des gisants du chœur et des enfeus des murs latéraux.
Les armoiries des seigneurs de Bueil ne figuraient pas seulement sur leurs monuments funéraires et dans l’ornementation sculptées de l’église, mais ornaient également son mobilier, comme en témoigne le banc seigneurial de Jean VI de Bueil et de Martine Turpin. Retrouvé à la fin du XIXe siècle, il fut acheté par l’archiviste suisse Camille Favre en 1879 (Martinière 1909, p. 253) pour sa collection privée qu’il conservait dans son domaine du Pré Saint-Jean à Vandœuvres près de Genève. Après sa mort en 1914, un certain Xavier Giraudan a acheté la propriété et son contenu en 1938. Nous ne connaissons pas le devenir de cette collection, mais les stalles ont été heureusement relevées par Hucher lors de sa visite à la collégiale avant la vente de 1879. Nous apprenons ainsi que deux panneaux portaient des écus armoriés. Suivant l’ordre hiérarchique habituel, sur la gauche (dextre) se trouvaient les armes de Jean de Bueil (armoirie 6e) – l’écu en abîme apparaît vierge dans le dessin, probablement parce qu’il avait été gratté –, tandis que sur la droite (senestre) étaient sculptées celles de Martine Turpin (armoirie 7a). Notons que la priorité est accordée ici à l’écartelé d’Avoir sur celui de Bueil ; particularité qui est visible sur certains sceaux de Jean IV de Bueil et de Pierre de Bueil (BnF, ms. fr. 27033, f. 57, 59), peut-être en raison de la puissance de la famille d’Avoir et des avantages que cette alliance avait procurée aux Bueil. La disposition des quartiers d’Avoir et de Bueil pour les armes de Martine Turpin semble en revanche plus fluide puisque, sur son sceau de 1476, l’on retrouve bien la prédominance des armes de Bueil au premier quartier (BnF, ms. Fr. 27033, f. 102).
Nous signalerons enfin que Dom Housseau, lors de son passage à la collégiale de Bueil avant les destructions révolutionnaires, décrit la présence d’une tribune élevée au-dessus du chœur qui portait des étendards aux armes des seigneurs de Bueil (Tours, BM, ms. 1436, f. 1 et 4), mais aucune autre source ne permet de vérifier son témoignage.