Luynes, église Notre-Dame (chapelle des chanoinesses)
L’église Notre-Dame est située dans la commune de Luynes, à quelques kilomètres à l’ouest de Tours. Bien qu’elle ait été fortement restaurée, elle porte encore les traces du passé féodal du lieu. En effet c’est, Hardouin IX (v. 1415-1487), baron de Maillé et chambellan du roi Louis XI, qui décide en 1486 de la construction, à l’est du château, d’une église collégiale sous l’invocation de l’Annonciation de la Vierge Marie. Sa famille détenait le fief de Luynes depuis le Xe siècle et le gardera jusqu’au début du XVIIe quand il passera entre les mains des Alberts de Luynes. A la mort de Hardouin IX en 1487, c’est son fils François, baron de Maillé et de Rochecorbon, qui s’empare du fief de Luynes et poursuit la construction de l’édifice. Le bâtiment est par la suite complété par une chapelle dédiée aux Cinq-Plaies-de-Notre-Seigneur après que la baronnie soit passée, en 1501, faute d’héritier mâle, entre les mains de Gilles de Laval, qui avait épousé la petite fille d’Hardouin IX de Maillé, Françoise (Paris, BnF, Français 28282, f. 188). Inscrite au titre des Monuments Historiques en 1926 (base POP) et restaurée en 1986 par le douzième duc de Luynes et son épouse, l’église actuelle, au décor presque inexistant, est formée d’un vaisseau unique d’une trentaine de mètres de long, couvert d’une voûte en berceau brisé, et d’un chœur à trois pans. Sur le mur sud de l’église, une porte surmontée d’une frise de style Renaissance permettait d’accéder aux bâtiments conventuels du monastère des chanoinesses, détruits, comme la plupart des décors et des maisons canoniales après la disparition du collège au XVIIe siècle (Bordeaux 2002, p. 112).
Luynes, église Notre-Dame, détails des entraits armoriés de la charpente de la nef.
Si la majorité des décors héraldiques de la période médiévale et du début de la Renaissance qui caractérisaient l’église ont aujourd’hui disparus (Héquette 2023), les entraits de la nef conservent néanmoins d’importants témoignages du marquage emblématique que les commanditaires du lieu avaient mis en place. La charpente du vaisseau unique, notamment, est renforcée par sept entraits de bois, terminés par des engoulants à têtes de monstre réhaussés de couleurs, dont trois ornés des armes des Maillé (armoiries 1a, 1b, 1c) (Bordeaux 2002, p. 115). Elles sont représentées dans un écu en bannière sculpté et peint à la rencontre de l’entrait et du poinçon sur les deux faces de la poutre. D’un côté et d’autre de l’armoirie, les fasces ondées des Maillé semblent donner vie à une sorte de flammes, toujours à l’origine dans les couleurs or et gueules de leurs armes (une teinte blanchâtre a pris la place de l’or, qui a perdu son éclat au fil du temps). La peinture aux couleurs des Maillé, également ternies désormais, court d’ailleurs sur toute la longueur des poutres et s’étend jusqu’aux corniches qui séparent les murs latéraux de la voûte.
Luynes, église Notre-Dame, entrait aux armes et couleurs des Maillé.
Si la présence des armes des Maillé est tout à fait logique à l’intérieur d’un édifice que les membres de la famille avaient fait construire, leur disposition pose question. En effet, si l’usage aurait voulu que les armes des commanditaires soient disposées au plus proche du maître-autel dans le chœur, à savoir dans l’espace le plus sacré de l’édifice, dans l’église de Luynes les entraits armoriés sont situés dans les travées centrales de la nef, tandis que les trois entraits les plus à l’est figurent uniquement des animaux. Comment justifier alors cette séparation des espaces induite par ces entraits armoriés ? Dès ses origines, l’église-collégiale possédait un important chapitre de chanoines dont les fonctions liturgiques pouvaient justifier la présence d’un jubé séparant le chœur de la nef et dont la hauteur, en plus de délimiter les espaces, aurait caché les entraits orientaux ou créé une séparation nette entre la zone du chœur, réservé aux religieux, et celle de la nef, destinée aux fidèles et à la représentation du pouvoir seigneurial et de ses droits (notamment de celui de sépulture). Malheureusement, l’absence de description ou de relevé anciens de l’intérieur de l’édifice ne nous permet pas de nous rendre compte de l’état d’origine de la nef et, donc, de saisir pleinement la fonction de son décor héraldique.
Luynes, église Notre-Dame, voûte de la chapelle des Cinq Plaies.
D’autres éléments héraldiques se trouvent dans la chapelle dédiée aux Cinq-Plaies, édifiée au sud du vaisseau central à partir de 1501 par Gilles de Laval († 1556). Celle-ci est surmontée d’une voûte à caissons de la première Renaissance dont les arêtes reposent sur des culots sculptés d’anges et de motifs végétaux. Deux des clefs de voûte présentent des écus grattés, l’un soutenu par quatre anges (armoirie 2), l’autre entouré de feuilles (armoirie 3). Ces écus devaient probablement être aux armes de Gilles de Laval et de sa femme, Françoise de Maillé († entre 1518 et 1534), la petite fille du commanditaire de l’église, à l’instar des vitraux qui étaient à l’origine dans la chapelle seigneuriale, documentés par des dessins de la collection de François-Roger de Gaignières (Oxford, Bodleian Library, Gough drawings Gaignières 14, f. 42 : Collecta). Ceux-ci ont été réalisées en 1699, quand l’érudit, accompagné de son dessinateur Louis Boudan, se rendit à la chapelle des chanoinesses de Luynes – ancienne appellation de l’édifice – pour y relever les vitraux armoriés du chœur et de la chapelle des Cinq-Plaies. Au total, les dessins de Louis Boudan témoignent de douze écus, composés avec des quartiers aux armes des Maillé, des Laval-Loué, des Rieux, des Rochefort, des Chabot, des Rohan-Gié, des Amboise, des Thouars et des Chauvigny, qui décrivaient la filiation, les alliances et la généalogie de la famille de Maillé (Paris, BnF, Dep. des Estampes et de la photographie, RESERVE PE-2-FOL, ff. 188-192 : Collecta ; Hequette 2024).
Luynes, église Notre-Dame, porte sud.
À l’intérieur de l’église encore, une litre seigneuriale était autrefois visible sur tout le pourtour de l’édifice, mais elle a été probablement effacée lors de la dernière restauration de l’église (Bordeaux 2002, p. 115). Cette litre aurait porté les armes d’Hardouin IX de Maillé , le fondateur de l’église, et de ses deux épouses successives : Antoinette de Chauvigny († 1473), dont la dépouille initialement enterré dans l’église Saint-Venant fut transférée dans celle Notre-Dame à la demande de son mari (Bordeaux 2002, p. 108) – et Marguerite de la Rochefoucauld († après 1492) (armoiries 4a-?, 5a-?), mais aucun document ne permet à ce jour de confirmer cette information. Partiellement conservées, mais totalement illisibles sont en revanche les vestiges héraldiques que l’on trouve à l’extérieur de l’édifice. La porte sud, située dans la première travée, est surmontée d’une accolade qui présente à son sommet deux anges tenant un écu extrêmement abimé, ou peut-être délibérément gratté, qui devait probablement être aux armes de Maillé (armoirie 6). Celles-ci pouvaient aussi figurer sur les deux contreforts de la première travée du mur sud : ils présentent en effet, dans leur partie supérieure, une pierre en saillie qui peut soit avoir été rajoutée pour masquer les vestiges d’armoiries bûchées, soit avoir porté une armoirie disparue dans un écu en bannière. Malheureusement, même dans ce cas, le manque d’informations ne permet pas de vérifier ces hypothèses.
Ainsi, la profusion héraldique de l’édifice, que l’on peut encore admirer sur les entraits et les dessins de la collection Gaignières, témoigne de la complexité et de la richesse de la filiation de la famille Maillé. Elle illustre également l’empreinte des différents possesseurs du fief de Luynes aux XVe et XVIe siècles et permet ainsi de supposer une datation du décor située entre 1486, quand la construction de l’édifice avait bien avancée ou avait été déjà complétée (Bordeaux 2002, p. 108), et 1538, date à laquelle un chanoine rédigea un acte de fondation de messe pour la chapelle dédiée aux Cinq-Plaies-de-Notre-Seigneur, qui devait donc avoir été désormais complétée (ibid.).
Auteur : Sarah Héquette
Pour citer cet article
Sarah Héquette, Luynes, église Notre-Dame (chapelle des chanoinesses), https://armma.saprat.fr/monument/luynes-eglise-notre-dame-chapelle-des-chanoinesses/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Paris, BnF, ms. Français 28282 (Pièces originales 1798), Maillé.
Bibliographie études
Bordeaux Patrick, « L’église Notre-Dame du Château, à Luynes, du XVe au XVIIe siècle », Bulletin de la Société Archéologique de Touraine, 48, 2002, p. 105-117.
Héquette Sarah, « Marquage héraldique, cartographie et histoire des lignages : les relevès de Gaignières à la chapelle des chanoinesses de Luynes », Les Cahiers de l’École du Louvre, 21, 2023, en ligne.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Luynes, église Notre-Dame (chapelle des chanoinesses). Armoirie Maillé (armoirie 1a)
Luynes, église Notre-Dame (chapelle des chanoinesses). Armoirie Antoinette de Chauvigny ? (armoiries 5a-?)
Parti : au 1 d’or à trois fasces ondées de gueules (Maillé) ; au 2 mi-parti d’argent à la fasce de fusées de gueules au lambel de six pendants d’azur (Chauvigny).
Attribution : Chauvigny Antoinette de
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Abside ; Chevet ; Nef
Emplacement précis : Mur
Support armorié : Litre funéraire
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue