Fondée vers 1120 par Géraud de Sales à l’endroit où Pierre de Bunt avait installé un ermitage, l’abbaye bénédictine de L’Absie est pillée et sérieusement endommagée pendant la Guerre de Cent ans (Landry-Delcroix 2022). L’église abbatiale semble avoir été particulièrement affectée par les évènements. Dans une lettre adressée au sénéchal du Poitou en 1442, Charles VII ordonne en effet la suspension de la contribution de l’abbaye à la réparation de certains canaux en raison des pertes et dégâts subis à cause de la guerre et des travaux nécessaires pour la réparation du clocher ruiné et de l’église à moitié détruite (Ledain 1895, p. 229-230 ; Raison 1936, p. 273, 309 ; Crozet 1942, p. 121, num. 478). Un vaste chantier de réparation est alors lancé : les murs sont surélevés, les travées couvertes de nouvelles voûtes et la nef allongée d’une demi-travée qui sert de base au deuxième clocher de la façade, puis démoli en 1839 (Raison 1936, p. 316). Dans la foulée, les murs de l’église sont couverts de peintures qui, découvertes vers 1900, ont fait l’objet d’une dernière campagne de restauration en 2020 (Landry-Delcroix 2012, p. 150-151, 215-216 ; ead. 2022). Endommagée par le feu mis en 1576 par les huguenots, qui provoque notamment des dégâts au clocher du transept dont la charpente doit être refaite (la structure sera définitivement démolie entre 1817 et 1840) et à certains éléments du mobilier (tels l’autel et le retable des d’Appelvoisin), l’église subit de nouvelles restaurations et modifications pendant les XVIIIe-XIXe siècles (Raison 1936, p. 314, 319). Vendue comme bien national à la Révolution, puis transformée en paroissiale du bourg de L’Absie, l’église est classée en 1932 (base POP).
L’église Notre-Dame se présente donc comme un édifice essentiellement gothique, formé d’une nef à cinq travées couvertes de voûtes d’ogive, précédée d’une tour clocher érigée au XIXe siècle, et doté d’un transept saillant (dont le bras nord est prolongé par la chapelle dite de la Trémoille) et d’un chevet plat d’une seule travée. Un programme héraldique cohérent du point de vue iconographique et formel est distribué sur les voûtes de la nef, du transept et du chevet, dont les clés sont toutes ornées de reliefs polychromés avec deux anges soutenant un écusson armorié et prenant appui sur une base ondulée, qui suggère les nuées et donc le ciel. Malgré l’état de conservation satisfaisant des sculptures, la lecture et l’identification des armoiries représentées sur les écus n’est pas toujours facile, et des doutes demeurent parfois sur les couleurs des armoiries que l’on voit aujourd’hui, peut-être inventées ou altérées au cours des restaurations (au début du XXe siècle, seules celles du chœur et de la chapelle de la Trémoille n’étaient pas couverte de badigeon : Raison 1936, p. 359). La présence réitérée des armes de la famille d’Appelvoisin timbrées d’une crosse d’abbé (armoiries 1, 5), et parfois d’une mitre avec fanons (armoiries 7a-d), prouve que l’église fut effectivement reconstruite après 1442, et plus précisément dans les années 1440-1480, époque à laquelle la famille gâtinoise fournit deux abbés à L’Absie : Bernard (1430-1468) et François, son neveu (1472-1482) (Raison 1936, p. 102-107 ; Landry-Delcroix 2022).
L’Absie, église Notre-Dame, tympan du portail aux armes de Bernard d’Appelvoisin.
Les armories des d’Appelvoisin, dont des différentes attestations monumentales nous sont connues (Charbonneau-Lassay 1917, p. 32 et s.), s’affichent dès l’entrée de l’église. Le tympan du portail est orné de deux anges qui tiennent d’une main un écu aux armes de la famille, posé sur une crosse d’abbé, qu’ils serrent de l’autre main au-dessus du nœud (armoirie 1). A l’intérieur, quatre des cinq travées de la nef sont ornées d’écussons armoriés : ils sont tous soutenus par deux anges qui se dressent sur une base ondulée symbolisant la gloire des Cieux vers laquelle ils conduisent les armes qui leur sont confiées (et qu’ils regardent avec intensité), et donc les personnes qu’elles représentent. Le premier (armoirie 2) porte les armes des d’Appelvoisin brisées d’un franc canton chargé de trois coquilles, dont le champ aurait présenté des traces d’azur selon Drochon qui pouvait encore observer des fragments de couleurs « sous l’épaisse couche de badigeon » (Drochon 1880, p. 5 ; Raison 1936, p. 359). Cette armoirie est utilisée par Jean († vers 1370) – fils cadet de Guillaume d’Appelvoisin, marié vers 1340 à Jeanne du Puy du Fou – et par Pierre son frère ainé († avant 1391) (Beauchet-Filleau 1891, p. 83-84), comme en témoignent les sceaux qu’ils apposent en 1345 à deux quittances de gages (Demay 1885, p. 24, num. 224-225 ; Charbonneau-Lassay 1917, p. 34). Nous ignorons toutefois si l’armoirie a été transmise à d’autres membres de la famille, mais l’hypothèse qu’elle ait été adoptée par François d’Appelvoisin pour se démarquer de son prédécesseur (Raison 1936, p. 107-108) semble en tout cas à évacuer : le sceau de l’abbé prouve en effet que celui-ci, comme son oncle, utilisa les armes pleines de la famille (Sigilla).
Clé de voute aux armes d’Appelvoisin. L’Absie, église Notre-Dame.
La série des clefs armoriés de la nef poursuit avec un bandé au franc canton à la croix (armorie 3), qui nous est inconnu, et par un écu parti dont la lecture demeure difficile (armoirie 4) : si nous reconnaissons facilement les armes Appelvoisin à dextre, il est impossible de reconnaître celles qui figuraient à senestre, peut-être au lion comme on le voit sur la litre funéraire peinte sur les murs de l’église (armoirie 10). La quatrième travée est à nouveau ornée d’un écu aux armes pleines des d’Appelvoisin, cette fois posé sur une crosse d’abbé (armoirie 4).
Les clefs de voûte du transept et du chevet se caractérisent par un léger changement dans l’iconographie et dans le rendu formel de la composition : la tête des anges n’est plus placée entre les ailes, mais se superpose à celle qui reste en arrière-plan ; le profil des nuées n’est plus arrondi mais polylobé ; les ailes des anges sont courbées et s’adaptent à la surface de la clef de voûte, dans laquelle s’inscrit l’intégralité de l’image. Seule la clef de voûte de la croisée du transept fait exception (armoirie 6) : les anges tiennent d’une main un écu vide et de l’autre une croix de procession à traverse double, enseigne de fonction employée pour les archevêques, les cardinaux légats, les primats et les patriarches (Raison 1936, p. 359 qui observe déjà l’absence de traces de dessin sur l’écu). Il pourrait s’agir donc des armes d’un évêques de Maillezais, diocèse auquel L’Absie était rattachée depuis 1317. Si, à l’époque de la reconstruction de l’église, Frédéric de Saint-Severin (1481-1508) peut effectivement vanter ces titres, il ne les obtint qu’après la mort de François d’Appelvoisin, ayant été nommé cardinal en 1489 et légat apostolique en 1496 et en 1504. Par ailleurs, l’aspect assez frais de la sculpture laisse planer des doutes sur l’authenticité de cette pièce placée à un endroit qui peut avoir subit des restaurations à l’époque moderne (le clocher sur la croisée du transept, déjà réparé après l’incendie de 1576, fut démoli à la première moitié du XIXe siècle).
Clé de voute aux armes de Bernard d’Appelvoisin. L’Absie, église Notre-Dame.
Les reliefs situés sur les clefs de voûte des deux bras du transept, de la chapelle dite de la Trémoille et du chevet présentent en revanche une très forte cohérence (armoiries 7a-d), montrant les armes de l’abbé timbrées d’une mitre avec fanons, comme on le voit également sur le sceau de Bernard d’Appelvoisin (Sigilla). Il semble donc plausible que la reconstruction de l’église revienne intégralement à cet abbé (Charbonneau-Lassay 1917, p. 38) et que le chantier avança, suivant la pratique habituelle, d’est en ouest et bénéficia de la largesse d’autres bienfaiteurs, dont les armes ont été représentées sur les voûtes. Les écus aux armes des Appelvoisin mais dépourvus d’enseigne de fonction (armoiries 2, 4) n’appartiendraient donc pas à l’abbé François, auquel on a voulu attribuer la conclusion des travaux de construction (Ledain 1876, p. 127 ;Crozet 1942, p. 176, num. 620), mais à d’autres membres de la famille dont l’identité reste à préciser. Il ne faudra pas oublier que les Appelvoisin avaient leur fief à quelques kilomètres de l’abbaye, qui put donc bénéficier d’autres donations de cette famille d’ancienne noblesse, à l’instar de Sébastien d’Appelvoisin, mort en 1426, que nous savons lié à une fondation faite à L’Absie (Beauchet-Filleau 1891, p. 84).
Adoration des Mages et litre funéraire. L’Absie, église Notre-Dame.
Les présences héraldiques médiévales dans l’église sont complétées par une litre funéraire qui, aujourd’hui fragmentaire, devait se dérouler sur l’intégrité de l’église (des fragment sont encore visibles sur le mur sud de la nef, sur les piliers et sur les murs du sanctuaire). Elle est sans doute contemporaine des peintures qu’elle surmonte datant du troisième quart du XVe siècle et vraisemblablement réalisées à l’initiative (ou en tout cas sous l’abbatiat) de Bernard d’Appelvoisin (donc avant 1468) (Landry-Delcroix 2022). Elle est formée de trois armoiries, les mêmes que l’on retrouve sur les clés de voûte de la nef, qui s’alternent tout au long de la frise : les armes pleines des d’Appelvoisin (armoirie 8) sont ici accompagnées de l’écu au canton chargé de trois coquilles (armoirie 9) et d’un autre parti avec une armoirie au lion à senestre (armoirie 10). Cette dernière armoirie, qui pouvait bien figurer sur la clé de voûte partiellement illisible de la nef (armoirie 4), pourrait appartenir à une femme mariée à un d’Appelvoisin ou indiquer le couple issu de ce mariage. A défaut d’autres documents, nous pouvons imaginer soit que la litre associe les armes d’un d’Appelvoisin et celles de sa femme, soit qu’elle a été réalisée à l’occasion des funérailles d’un membre de la famille qui, par le biais des armoiries au franc canton et de celles parties, voulais mettre à l’honneur ses ancêtres, la célébration de la lignée féminine étant une caractéristique répandue dans la société poitevine aux XVe-XVIe siècles.
Pour finir, nous rappellerons que d’autres armoiries erratiques ou de remploi sont signalées à d’autres endroits du monastère sans qu’on puisse en déterminer la chronologie (Raison 1936, p. 360, n. 1). Parmi celles-ci figurent des carreaux de pavements utilisés dans la restauration du XVe siècle dans le pavage de la chapelle de la Tremouille, de la salle capitulaire et d’autres espaces, dont certains portent des châteaux de Castille, des fleurs de lis, des léopards, des aigles (Raison 1936, p. 362), sur la base d’une tradition iconographique qui, dans la production des carreaux de pavement, date du milieu du XIIIe siècle.
Auteurs : Claudine Landry-Delcroix, Matteo Ferrari
Beauchet-Filleau Henriet alii, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. 1, Poitiers 1891.
Charbonneau-Lassay Louis, « Quelques souvenirs héraldiques d’une grande famille de Gâtine, les Appelvoisin », Revue du Bas-Poitou, 1, 1917, p. 30-39.
Demay Germain, Inventaire des sceaux de la collection Clairambault, t. 1, Paris 1885.
Drochon Bénoni A.Journal de Paul de Vendée capitaine huguenot, 1611-1623, Niort 1880.
Landry-Delcroix Claudine, La peinture murale gothique en Poitou, XIIIe-XVe siècle, Rennes 2012.
Landry-Delcroix Claudine, « Découverte et restauration de peintures murales dans l’ancienne abbatiale de L’Absie (Deux-Sèvres) », Revue historique du Centre-Ouest, 2022, sous presse.
Ledain Bélisaire, La Gâtine historique et monumentale, Paris 1876.
Ledain Bélisaire, Cartulaires et chartes de l’abbaye de l’Absie, Poitiers 1895 (Archives historiques du Poitou, 25).
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
L’Absie, abbaye Notre-Dame (église). Armoirie Bernard d’Appelvoisin (armoirie 1)
Parti : au premier de gueules à une herse d’or de trois pièces (Appelvoisin), au deuxième d'(or au lion d’argent ? armé, lampassé et couronné de gueules ?).
Parti : au premier de gueules à une herse d’or de trois pièces (Appelvoisin), au deuxième d’or au lion d’argent ( ?) armé, lampassé et couronné de gueules.