Situé à proximité de la collégiale Saint-Étienne, le château de Capestang fait partie des nombreuses propriétés des archevêques de Narbonne. Construit à partir du XIIe siècle, il se composait d’au moins deux bâtiments placés perpendiculairement l’un de l’autre, dont seule la partie sud subsiste, et d’une enceinte aux angles marqués par deux tours semi-circulaires. Le bâtiment méridional est constitué d’une tour rectangulaire dont l’élévation extérieure sud, donnant sur le bourg, est flanquée de cinq épais contreforts formant deux arcs brisés et un arc en plein cintre. L’appareil défensif, également caractérisé par des mâchicoulis, répondrait à des préoccupations esthétiques et symboliques plutôt qu’utilitaires (Marin 2006, p. 147). Ce type d’architecture s’inscrit ainsi dans une continuité avec les résidences fortifiées de seigneurs ecclésiastiques des XIIe et XIIIe siècles. L’ensemble castral connaît par la suite une série de modifications, dont les plus importantes sont réalisées au cours du XIXe siècle. La partie sud de l’enceinte du château est détruite au profit de l’implantation d’une maison bourgeoise attelée au bâtiment principal (Palais et châteaux 2012, p. 64-67). Ce dernier connaît différents réaménagements parmi lesquels l’abaissement du plancher du premier étage, dont le mur ouest a été tronqué par un refend et les cloisons médiévales détruites. L’escalier massif desservant l’étage depuis la cour a également été démoli dans les années 1960-1970.
Le premier étage du bâtiment principal conserve dans sa partie ouest une grande salle d’environ 20 mètres de long sur 8,40 mètres de large où subsistent les traces de deux décors armoriés correspondant aux archiépiscopats de Bernard de Farges (ou de Fargis) (1311-1341) et de Jean d’Harcourt (1436-1451). Au XIVe siècle, cette salle forme un seul ensemble composé de trois travées d’arcs diaphragmes soutenant une charpente peinte d’ornements végétaux et géométriques. Les arcs reposent sur des culs-de-lampe dont les bases sont sculptées de visages. L’ensemble des murs reçoit des peintures murales qui, aujourd’hui fortement altérées, ont fait l’objet de relevés aquarellés par Henry Revoil en 1855 et L. Fouchère en 1875 : conservés à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine à Paris, ils nous permettent de reconstruire avec davantage de précision le programme héraldique déployé dans cet espace. Le décor est formé de losanges dans lesquels s’inscrivent les armoiries alternées du roi de France (armoirie 1), de l’archevêque Bernard de Farges (armoirie 2) et du chapitre de Narbonne (armoirie 3). Ces dernières, de taille plus réduite, sont placées à l’intersection des bandeaux encadrant les deux armoiries principales. Les intrados des arcs sont également peints d’écus aux armes de l’archevêque (armoirie 4) placés dans des quadrilobes à redents.
L’ornementation de la salle accorde, donc, une attention particulière à Bernard de Farge, dont les armoiries sont omniprésentes et déclinées de deux façons : d’une part nous trouvons le parti que l’archeveque utilise couramment avec, à dextre, un coupé aux armes familiales accompagnées par une armoirie à la croix pattée, qui a été identifiée sans doute à tort avec celles du chapitre de l’Église de Narbonne, et, à senestre, aux armes de sa mère, Mathilde de Got (Goth), sœur du pape Clément V (Gougaud 2010-2012, p. 187), que le haut prélat pouvait utiliser pour anoblir ses origines ; d’autre part, nous reconnaissons un écartelé avec les mêmes armes à la croix que l’on vient de décrire (Mullot, Sivade 1910, p. 237) : une composition qui semble vouloir affirmer l’autorité de Bernard sur l’archevêché et qui nous est connue par le biais de la matrice du sceau de la collégiale Saint-Étienne de Capestang conservée aux Musées de Narbonne (Tournal 1864, p. 116). Un programme héraldique similaire à celui de Capestang se retrouve d’ailleurs dans le château de Villerouge-Termenès, autre propriété des archevêques de Narbonne où, sur une poutre remployée dans un mur, sont peintes les armoiries en bannière de Bernard de Farges et du chapitre de Narbonne (Langlois, Sarret, Foltran 2018, p. 106). Ces peintures contemporaines témoignent ainsi de la volonté du commanditaire d’ancrer sa présence et son rôle dans les différents fiefs placés sous son autorité.
Au XVe siècle, la salle du château de Capestang connaît plusieurs réaménagements dont un cloisonnement créant trois espaces. L’entrée dans la salle se fait par un vestibule, situé dans l’angle nord-ouest, qui mène à une chambre de parement, possédant une cheminée, et une aula dont la cheminée a disparu (Marin 2006, p. 169-170). L’ensemble est couvert d’un plafond peint, construit à 4,50 mètres de hauteur et placé en dessous de la charpente de toit, créant un niveau de comble. Connu depuis le XIXe siècle, ce plafond réalisé vers 1450 d’après dendrochronologie, est composé de six poutres – dont une de rive insérée dans le mur est –, soutenues par des corbeaux sculptés au profil polylobé et fichées dans les murs selon une orientation nord-sud. Elles supportent six travées de dix-huit solives, dont deux de rive, qui filent le long de trois travées, sur lesquelles repose un plancher aux interstices dissimulés par des couvre-joints formant de faux caissons (Delhumeau 2011, p. 4-5). Entre chaque solive s’insèrent des closoirs en encorbellement, parmi lesquels 168 ont été conservés. Ils s’appuient sur des bandes plates inférieures à arêtes biseautées recevant un décor peint ornemental. La jointure entre le plancher et les closoirs est fermée par des bandes plates supérieures et des couvre-joints également peints. Dans sa disposition actuelle – plusieurs panneaux du plafond ont en effet été déplacés sans qu’il soit possible de reconstituer assurément l’organisation d’origine – le programme héraldique se concentre sur la poutre médiane (poutre III) dont les faces sont peintes d’une guirlande de feuilles enroulée autour d’une hampe scandée de cinq écus aux armes de Jean d’Harcourt, archevêque de Narbonne (armoirie 5). Plusieurs de ces écus sont timbrés d’une croix d’or, signe indiquant la fonction du religieux, dont les armoiries sont également peintes sur les closoirs insérés au-dessus de la poutre IV, accompagnées des armes du chapitre de Narbonne (armoirie 6). Placés dans des oculi en trompe l’œil, ces écus armoriés sont répétés en alternance créant un ensemble héraldique cohérent et concentré sur un emplacement spécifique du plafond. Située à proximité de l’entrée de l’aula, la poutre aux armes de l’archevêque est placée dans l’axe de circulation majeur de la salle, en direction de l’ancienne cheminée, et devient par conséquent l’élément figuré avec lequel le spectateur interagit en premier. Les closoirs mêlant les armes du chapitre de Narbonne et de Jean d’Harcourt occupent quant à eux le centre de la salle (Mérindol 2012, p. 335-336).
Ce programme héraldique présente des similitudes dans son organisation avec celui développé sur les murs par Bernard de Farges, mettant à nouveau en avant l’archevêque et son Église. Toutefois, l’emplacement des armoiries par rapport au reste du programme iconographique du plafond correspond à l’élaboration d’un double discours autour des fonctions du commanditaire, à la fois seigneur de Capestang et archevêque de Narbonne (Mérindol 2012, p. 335-336). En outre, ces armoiries sont mises en parallèle avec un bestiaire (échassiers et scènes de chasse) renvoyant aux activités économiques dont tirent ses richesses le seigneur et aux loisirs propres à l’aristocratie (Dittmar, Schmitt 2011). Celle-ci est également représentée par des scènes courtoises qui côtoient quelques closoirs aux sujets religieux qui rappellent l’homme d’Église qu’est Jean d’Harcourt.
Auteur : Marion Ortiz
Pour citer cet article
Marion Ortiz, Capestang, château des archevêques de Narbonne, https://armma.saprat.fr/monument/capestang-chateau-des-archeveques-de-narbonne/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie études
Delhumeau Claire, Mulhauser Jean-Luc, Étude expérimentale sur la conservation des décors peints du plafond du château des évêques de Capestang, s.l. 2011.
Dittmar Pierre-Olivier, Schmitt Jean-Claude, « Le plafond peint est-il un espace marginal ? L’exemple de Capestang », dans P. Bernardi, M. Bourin (dir.), Les plafonds peints médiévaux en Languedoc, actes du colloque (Perpignan 2008), Perpignan 2011, p. 67‑98.
Gougaud Monique, « Autour du premier sceau de la collégiale Saint-Étienne de Narbonne (XIVe siècle) », Revue française d’héraldique et de sigillographie, 80-82, 2010-2012, p. 187-193.
Langlois Gauthier, Sarret Jean-Pierre et Foltran Julien, « Un fragment de plafond peint mudéjar du XIVe siècle aux armes des Roquenégade, des Duèze et des Farges découvert à Lagrasse », Bulletin de la Société d’Études Scientifiques de l’Aude, 118, 2018, p. 97-111.
Marin Agnès, « Le château des archevêques de Narbonne à Capestang (Hérault). Les données de l’archéologie monumentale », Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, 66, 2006, p. 133-174.
Mérindol Christian de, « Héraldique et société à propos de décors peints et armoriés récemment publiés, XIIIe et XVe siècles. La problématique des grilles de lecture », dans Le plaisir de l’art du Moyen Âge. Commande, production et réception de l’œuvre d’art. Mélanges en hommage à Xavier Barral i Altet, Paris 2012, p. 330-336.
Mullot Henry, Sivade Henry, « Armorial des archevêques de Narbonne », Bulletin de la Commission archéologique de Narbonne, 11, 1910, p. 234‑280.
Palais et châteaux des archevêques de Narbonne : Xe-XVIIIe siècle, Aude, Hérault, Pyrénées-Orientales, Lyon 2012.
Tournal Paul, Catalogue du musée de Narbonne et notes historiques sur cette ville, Paris 1864.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Capestang, château des archevêques de Narbonne. Armoirie Philippe VI, roi de France (armoirie 1)
Capestang, château des archevêques de Narbonne. Armoirie Bernard de Farges (de Fargis) (armoirie 2)
Parti : au 1 coupé, au 1 d’argent à la croix pattée de gueules, au 2 d‘or au pot de sable (de Farges/de Fargis) ; au 2 d’or à trois fasces de gueules (de Got/de Goth).