Située dans la commune de Saint-Cyr-sur-Loire près de Tours, la propriété apparaît dans les textes pour la première fois au Xe siècle. Elle appartenait au fief de l’Aleu de Tesse, vignoble majeur de la région qui dépendait du chapitre de Saint-Martin (Lhuillier 1889-1891, p. 222). L’ensemble actuel comprend une habitation semblant remonter au XVe siècle et une cave probablement antérieure au XIVe siècle (ibid., p. 211). Celle-ci devait à l’origine se situer au rez-de-chaussée, en raison d’une ouverture qui donnait sur l’extérieur et d’une vaste cheminée peu habituelle pour une partie souterraine (Le Deschault de Montredon 2015, p. 31). Cet espace se composait à l’origine de vingt-trois caveaux où étaient entreposés des tonneaux taillés en pierre. Il ne reste de ce système vinicole ancien que trois tonneaux qui donnent à la maison l’appellation qu’on lui connaît aujourd’hui.
Notre connaissance de cet édifice est strictement liée à la description que Léon Lhuillier en fit lors de sa visite vers la fin du XIXe siècle (Lhuillier 1889-1891). Seul érudit à avoir écrit sur ce qu’il put observer dans ces lieux, Lhuillier décrit une grande salle voûtée en berceau de 10 mètres de long sur 4,20 mètres de large et 5 mètres de haut, placée au bout d’une rampe d’accès de 25 mètres et desservant un long couloir d’environ 70 mètres qui distribue les différents caveaux (ibid., p. 207). Sorte de vestibule, la salle voûtée est décorée de peintures murales composées de deux registres : une fausse tenture est surmontée d’une frise d’une trentaine d’écus armoriés suspendus sur un fond de rinceaux végétaux fleuris de quintefeuilles, tandis que des scènes historiées sont situées dans la partie supérieure des murs pignons (ibid., p. 272-273).
Même si l’état de conservation de ces peintures était loin d’être satisfaisant déjà à l’époque, M. Lhuillier et M. Fournier, l’ancien propriétaire des lieux, proposent une reconstitution de la scène d’origine se basant sur les fragments visibles et en comparant la cave avec d’autres exemples analogues, notamment celles d’Angers et de Chinon décrites par Rabelais dans son Ancien prologue du quart livre (liv. V, chap. XXXIV-XXXV). Ils pensent ainsi que les scènes historiées illustraient le processus des vendanges, de l’arrivée du raisin jusqu’aux bacchanales célébrées avec la danse des nymphes couronnant la scène (Lhuillier 1889-1891, p. 277) : une interprétation qui reste toutefois douteuse, car elle semble trop influencée par la fonction des lieux (Le Deschault de Montredon 2015, p. 34).
Fournier, Reconstruction graphique de la cave peinte des trois tonneaux (Lhuillier 1889-1891).
Sur les trente écussons disposés en litre sur les quatre pans de mur de la salle, dix sur les parois latérales et cinq à chaque bout, il ne reste, au moment de la visite de M. Lhuillier, qu’une vingtaine d’entre eux (Lhuillier 1889-1891 ; Mérindol 2000, p. 383). Le relevé effectué par M. Fournier ne présente cependant que onze écus peints : trois sur le mur sud, cinq sur le mur du fond et trois autres sur le mur nord. De gauche à droite nous pouvons voir : un burelé (d’or ?) et de (gueules ?) de vingt pièces (armoirie 1) ; un écu de gueules à deux fasces d’or (armoirie 2) qui pourrait appartenir, selon M. Lhuillier, à Guillaume de Harcourt, maître d’hôtel du roi mort en 1337 (Lhuillier 1889-1891, p. 279) ; un autre d’argent à une fasce de gueules que le même Lhuillier attribue aux Sainte-Maure, et plus précisément à Guillaume de Sainte-Maure, doyen de Saint-Martin et chancelier de France, mort en 1334 (armoirie 3). Sur le mur de fond, la série est ouverte par un écu qui, d’après Lhuillier, serait parti de sable et de gueules (armoirie 4). Il est suivi par les armes bien reconnaissables des Châtillon (armoirie 5a) qui se répètent aussi au septième écu de cette frise (armoirie 5b) ; entre ces deux armoiries se trouve un écu illisible selon Lhuillier (armoirie 6), mais que C. de Mérindol blasonne comme un burelé de sable et de gueules de vingt-quatre pièces (Mérindol 200, p. 383) ; cette série est conclue par un gironné d’argent et d’azur (armoirie 7), que Lhuillier attribue aux Beaumont de manière probablement éronnée (il cite Jean de Beaumont, maître hôtel, mort en 1337 et/ou Guiard de Beaumont, queux du roi, vivant en 1329 : Lhuillier 1889-1891, p. 280), car cette famille portait un gironné d’argent et de gueules (Sigilla).
Sur le mur de droite, la frise héraldique continue avec des armes au lion (armoirie 8), que l’érudit attribue aux comtes de Flandre, et plus précisément à Jean de Dampierre, queux de France, vivant en 1358 (Lhuillier 1889-1891, p. 280). Elles sont suivies par un gironné d’argent et d’azur à l’écu de gueules en abîme que M. Lhuillier interprète comme une brisure de celles des Beaumont (armoire 9), mais, comme pour l’armoirie 7, l’attribution est douteuse. Le dernier écu visible dans le relevé est un échiqueté d’or et d’azur à la bordure de gueules (armoirie 10) qui appartient de toute évidence à un membre de la famille des Dreux. A ce propos M. Lhuillier cite un Robert III de Dreux, souverain maître de l’hôtel de la reine mort en 1351 d’après l’Histoire génalogique et chronologique de la maison royale de France du Père Anselme (Lhuillier, t. VIII, 1889-1891, p. 280 ; Anselme 1733, t. VIII, p. 313, 329), qui portait toutefois les armes de la famille à la bordure engrêlée, à l’instar de son aïeul mort en 1266 (Paris, BnF, Dép. est. et photo., réserve PE-1-FOL, f. 86 : Collecta).
Puisque la forme allongée des écus en pointe, ainsi que leur mode de suspension laissent penser qu’ils ont été peints au XIVe siècle, il serait possible que le décor date d’après 1330 quand Jean Michou vendit la propriété à Étienne de Mornay (Lhuillier 1889-1891, p. 282-283 et AD Indre et Loire, G. 393, p. 13, 42, testament d’Étienne de Mornay). Celui-ci était l’une des grandes fortunes du royaume de France (Guessard 1844a). Chanoine d’Auxerre, doyen de Saint-Martin, ancien chancelier de Louis X et maître de la chambre des comptes de Philippe V et Philippe VI, il mourut seulement deux années après avoir acheté la maison aux Trois tonneaux et la légua au chapitre de Saint-Martin (Guessard 1844a, p. 373-396 et AD Indre et Loire, G. 393, p. 43). Se fondant sur le travail de Guessard, Lhuillier affirme qu’Étienne de Mornay exerça les hautes fonctions dont il avait la charge avec certaines familles dont les armes sont peintes dans la salle des Trois tonneaux. En effet, il siégeait à la commission d’apurement, nommée sous Philippe le Bel et reformée par son fils Louis X, avec un certain Guillaume de Harcourt cité précédemment (armoirie 2) (Guessard 1844a, p. 377). Si Lhuillier s’appuie sur la biographie d’Etienne de Mornay pour justifier ses attributions, c’est davantage dans la carrière de son oncle, Pierre de Mornay († 1306), que nous retrouvons certains des noms déjà associés aux armoiries de la cave des trois tonneaux (Guessard 1844b). Évêque d’Orléans (1288-1296) et d’Auxerre (1295-1306), mais aussi chancelier de France, Pierre est chargé par le roi d’une mission en Flandre avec les comtes de Dreux vers 1300 (Guessard 1844b, p. 157) (armoirie 10). Il était également proche de Louis de Flandre, comte de Nevers, qui tenait grâce à l’évêque d’Auxerre plusieurs baronnies (Guessard 1844b, p. 149) (armoirie 8), ainsi que de Gui de Châtillon avec qui il négocia au nom du roi une trêve avec l’Angleterre en 1297 (armoiries 5a-b). Il faudrait toutefois comprendre si ces liens étaient encore d’actualité à l’époque où la maison passe dans la propriété d’Etienne de Mornay.
En addition aux armoiries restituées sur le relevé de J. Fournier, M. Lhuillier identifie deux autres écus armoriés. Le premier est peint sur le mur sud et présente un palé d’or et de gueules de six pièces, qui serait donc d’Amboise (armoirie 11) (Lhuillier 1889-1891, p. 279). Pour le second, il propose que les armes de gueules à une croix pattée d’argent (armoirie 12) près de la cheminée (Mérindol 2000, p. 383) appartiennent à Étienne de Bourgueil, archevêque de Tours de 1323 à 1334 (ibid., p. 279), mais l’identification ne trouve pas de confirmation. Dans le tombeau du haut prélat dans la cathédrale Saint-Gatien de Tours, qui nous est connu par un relevé réalisé par Louis Boudan, pour François-Roger de Gaignières (1642-1715) à la fin du XVIIe siècle (Oxford, Bodleian Library, Gough drawings Gaignières 14, f. 76 : Collecta), les armes peintes sur la voûte surplombant le gisant sont en effet d’argent à une croix fleuronnée de gueules. Est-ce là une confusion de la part de M. Lhuillier avec les armes du chapitre de Saint-Gatien, qui sont en effet de gueules à une croix pattée d’argent, ou bien est-ce une erreur de Boudan qui inversa les couleurs et interpréta de manière erronée le profil de la croix ?
Malheureusement, dans l’attente de pouvoir effectuer un examen autoptique des peintures, nous sommes dans l’incapacité d’apporter de nouveaux éléments d’interprétation à la lecture de cet ensemble. Toutefois, nous nous permettons d’émettre une réserve quant à l’interprétation de la fonction ces écus formulée par Lhuillier, qui, en raison des dimensions du vestibule et du thème des peintures historiées (qu’il avait également mal interprétées), imaginait qu’une table conçue pour une trentaine de personnes était disposée au centre de la salle (Lhuillier 1889-1891, p. 282). Trente places pour les trente écus marqueraient donc l’identité des trente personnes assises à la table, désignant plus précisément la place des amis et collègues qu’Étienne de Mornay invitait pour déguster le vin nouveau lors de la fête de Saint-Martin célébrée le 11 novembre et décrite par Rabelais dans son Pantagruel (chap. XXVIII). Toujours selon Lhuillier, il était habituel lors des festins de suspendre le bouclier de chaque chevalier derrière lui (Lhuillier 1889-1891, p. 282). Mais, si la salle, située au plus près des tonneaux, se prête en effet à la dégustation du vin, il paraît étonnant qu’Étienne de Mornay ait commandé un programme héraldique peint, et donc destiné à durer dans le temps, pour marquer la place de ses convives pour une fête occasionnelle. Il est davantage permis d’imaginer que cette commande ait été établie dans l’intention de marquer les murs de cette salle avec les armoiries des seigneurs, notamment les Amboise (armoirie 11) fortement implantés dans la région, dont sa famille était le plus proche et avec qui elle partageait des intérêts communs.
Auteur : Sarah Héquette
Pour citer cet article
Sarah Héquette, Saint-Cyr-sur-Loire, Maison des trois tonneaux, https://armma.saprat.fr/monument/saint-cyr-sur-loire-maison-des-trois-tonneaux/, consulté
le 23/11/2024.
Bibliographie études
Guessard Francis (Guessard 1844a), « Pierre de Mornay, chancelier de France », Bibliothèque de l’École des Chartes, 5, 1844, p. 143-170.
Guessard Francis (Guessard 1844b), « Etienne de Mornay, chancelier de France sous Louis Hutin », Bibliothèque de l’École des Chartes, 5, 1844, p. 373-396.
Le Deschault de Montredon Térence, Le décor peint de la maison médiévale. Orner pour signifier, en France avant 1350, Paris 2015.
Lhuillier Léon, « Les domaines ruraux de Saint-Cyr-sur-Loire » et « La cave peinte des Tonneaux », Bulletin de la Société archéologique de Touraine, 8, 1889-1891, p. 207-224 et p. 271-287.
Mérindol Christian de, La maison des chevaliers de Pont-Saint-Esprit, t. 2, Corpus des décors monumentaux peints et armoriés du Moyen âge en France, Pont-Saint-Esprit 2000.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Saint-Cyr-sur-Loire, Maison des trois tonneaux. Armoirie inconnue (armoirie 1)