Situé au cœur du causse de Gramat, dans le département du Lot, le village de Soulomès conserve une belle église médiévale dédiée à Sainte-Marie-Madeleine, classée au titre des Monuments Historiques (base POP). Elle est citée pour la première fois dans une bulle du pape Grégoire IX datée de 1232 (Lacoste 1883-1886, p. 232), qui recense les possessions de l’abbaye bénédictine de Marcilhac-sur-Célé. Contrairement à ce qui a parfois été avancé, les Templiers n’ont semble-t-il pas fondé de maison à Soulomès (Juillet 1999, p. 155). L’église est par la suite cédée aux Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem et rattachée à la commanderie d’Espédaillac toute proche. La date de ce transfert reste inconnue mais elle se situe avant 1311, quand un acte précise que le commandeur d’Espédaillac doit payer chaque année 16 setiers de froment pour l’église de Soulomès (AD Haute-Garonne, H Malte, INV 65). La commanderie de Soulomès apparaît elle dans un livre de reconnaissances au responsable de cette dernière par la maison hospitalière de Gourdon en 1304 (AD Haute-Garonne, H Malte, INV 65). L’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem possédait toutefois déjà des droits sur des chapellenies rurales et des biens fonciers situés autour de cette localité depuis le milieu du XIIIe siècle. Il semble que le commandeur d’Espédaillac ait fait de la maison de Soulomès sa résidence effective et ce depuis 1315 (Czerniak 2016, p. 115). Toutefois, hormis l’acte précédemment cité de 1304, les sources ne mentionnent de commandeur de Soulomès qu’à partir de 1408 (AD Haute-Garonne, H Malte, INV 64) ; avant cela, seul le titre de commandeur d’Espédaillac apparaît. La commanderie de Soulomès est finalement rattachée, avec celle de La Salles-Durbans et d’Espédaillac, au Grand-Prieuré de Saint-Gilles et se maintient jusqu’à la Révolution.
Soulomès (Lot), Eglise Sainte-Marie-Madeleine, vue de la nef.
L’église Sainte-Marie-Madeleine se présente aujourd’hui sous la forme d’un édifice composite, témoin de multiples agrandissements et reconstructions. Elle est accolée au logis du commandeur sur son mur sud. Une nef unique, dans laquelle s’ouvrent quatre chapelles latérales, se termine par un chevet plat. La partie la plus ancienne de l’édifice paraît être la partie basse de la tour clocher, attribuable à la fin du XIIe ou au début du XIIIe siècle. Le reste de l’église est attribué aux XVe et XVIe siècles, sans plus de précisions (Séraphin et Scellès 2011, p. 299). Le chevet conserve un imposant décor peint daté de la fin du Moyen Âge (Cerniak 2016, p. 123) : sur le mur sud, des scènes de la Passion du Christ (Vierge de Pitié, mise au tombeau) et de l’apparition de ce dernier à sainte Marie-Madeleine ; sur le mur nord l’incrédulité de saint Thomas ; sur le mur est, les saintes femmes au tombeau et un commandeur de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, à genoux devant saint Jean-Baptiste.
La clé de voûte de la chapelle nord-ouest comporte un écu sculpté, désormais sans couleurs, présentant un lion et une bordure chargée de huit éléments hémisphériques (armoirie 1). La recherche effectuée dans la liste des commandeurs de Soulomès, établie d’après les travaux de Jean Raybaud sur le Grand-Prieuré de Saint-Gilles (Raybaud 1904-1906) permet d’attribuer ces armes à Pierre de Montlezun († après 1475), commandeur entre 1447 et 1456, qui portait en effet d’argent au lion de gueules avec neuf corneilles de sable en orle, comme la plupart de ses aïeuls (La Plagne Barris , p. 389-396). Nous serions donc portés à croire que l’artisan qui a œuvré à Soulomès ait transformé les corneilles – peut-être trop difficiles à tailler pour lui, vu les maladresses du lion – par des sortes de besants avec au centre la trace d’un trépan. Il manque juste un de ces meubles mais le sculpteur a, semble-t-il, privilégié la symétrie de son dessin à la stricte réalité héraldique. Nous ne pouvons toutefois exclure que Pierre de Montlezun ait adopté une brisure des armoiries familiales, en remplaçant les corneilles par des besants. A ce stade, aucune autre représentation de l’armoirie de ce commandeur, qui permettrait de conforter ou d’infirmer cette hypothèse, n’est connue.
Soulomès (Lot), Eglise Sainte-Marie-Madeleine, détail des peintures murales de l’abside.
La façade occidentale est ornée, au-dessus du portail d’entrée, d’un écu en forme de targe : terminé par deux rubans frangés et surmonté d’une tête d’angelot, il est protégé par un larmier (armoirie 2). La qualité d’exécution est d’une certaine finesse et contraste largement avec les autres éléments sculptés présents dans l’édifice. Le choix de la forme de l’écu trahit le début de la Renaissance. L’identification des armes confirme cette impression, s’agissant de celles de Gaston de Verduzan, commandeur entre 1514 et 1518 (Du Bourg 1883, p. 16-17). Une armoirie identique est répétée sur la clé de voûte de la chapelle sud-est (armoirie 3), où elle est timbrée d’une petite croix indiquant la fonction de son porteur. Dans le chœur, ce même élément d’architecture est sculpté d’une armoirie caractérisée par quatre partitions décalées par rapport à l’axe de l’écu et qui représentent en 1 et 3 trois à trois faces crénelées et en 2 et 4 trois fleurs de lys posées 2 et 1 (armoirie 4). Malgré les incertitudes de l’artiste, qui a fait preuve de maladresse et a eu du mal à faire figurer l’intégralité des meubles de l’armoirie d’origine, nous pouvons y reconnaitre les armes de Gabriel de Murat de Lestang de Pomairols, issu d’une famille du Rouergue, commandeur de 1518 à 1521 (Du Bourg, 1883, p. 17-18), qui arborait un écartelé au 1 et 3 d’azur à trois faces crénelées d’argent et en 2 et 4 d’azur à rocs d’échiquier surmontés de trois fleurs de lys d’argent posées 2 et 1 (De Murat, Dugon, 1892, p. 16). Les trois faces crénelées paraissent amalgamées et les rocs d’échiquier ont disparu au profit des seules fleurs de lys, la combinaison des deux rentrant difficilement dans le cadre imparti, à moins que les rocs aient été pris pour les bases des fleurs de lys.
Quant au commandeur figuré agenouillé dans la peinture murale, vêtu d’une grande coule noire frappée de la croix blanche à huit pointes sur le cœur, il est surmonté de deux écus armoriés. Celui de droite est facilement identifiable : il s’agit des armes de l’Ordre, de gueules à la croix d’argent (armoirie 5). L’écu de gauche (armoirie 6) comporte un champ rouge et un lion dont le métal d’origine est très difficilement lisible, du fait de l’altération des pigments associée à une restauration un peu invasive. Nous pensons qu’il s’agit des armes d’Yves de Priam, commandeur de Soulomès et de Durbans entre 1538 et 1545, année de son décès, qui portait de gueules au lion d’or. Il appartenait à une famille du Dauphiné fixée au château de Condillac. L’homonymie entre le nom du héros de la guerre de Troie et cette famille a conduit cette dernière à adopter en guise de blason celui attribué à Priam et à son fils Hector (De Rivoire de la Bâtie, 1862, p. 562).
Commandeur à genoux devant saint Jean Baptiste. Soulomès, église Sainte-Marie-Madeleine.
Il reste encore une énigme : au-dessus de la composition figurant le commandeur de Priam et saint Jean-Baptiste est représenté un écusson, entouré d’un cordon ouvragé doré, qui porte un lion de sable sur un champ très usé et peu lisible (armoirie 7). La position éminente qu’il occupe, situé en partie haute et dominant le commandeur de Soulomès, témoigne du respect et de la déférence portée par le commanditaire du décor à la fois à l’armoirie et à son porteur, sans doute contemporains de la réalisation des peintures murales, soit entre 1538 et 1545. Yves de Priam a souhaité mettre en exergue ici les armes du Grand-Prieur de Toulouse, établissement dont dépendait Soulomès : dans cet écu nous pouvons en effet reconnaître l’armoirie de Pierre de Grasse, en charge entre 1536 et 1541, qui arborait d’or au lion de sable couronné et lampassé de gueules.
L’identification des armoiries présentes dans l’église de Soulomès offre donc l’opportunité d’affiner la chronologie de la construction de l’édifice, car elles sont la preuve de l’activité d’évergétisme des commandeurs qui se sont succédés à la tête de ce petit établissement Hospitalier du Quercy. Ainsi, Pierre de Montlezun a fait édifier la chapelle nord-ouest entre 1447 et 1456 ; Gaston de Verduzan la chapelle sud-est entre 1514 et 1518 et très certainement le clocher. Le chevet de l’église a été rebâti entre 1518 et 1521 aux frais de Gabriel de Murat de Lestang de Pomairols. Quant à Yves de Priam, il est sans conteste le commanditaire des décors peints qui ornent le chœur. Chacun de ces dignitaires a souhaité laisser une trace de son passage à la tête de la maison de Soulomès, en embellissant l’église de la commanderie.
Auteur : Emmanuel Moureau
Pour citer cet article
Emmanuel Moureau, Soulomès, église Sainte-Marie-Madeleine, https://armma.saprat.fr/monument/soulomes-eglise-sainte-marie-madeleine/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie études
Czerniak Virginie, « Les décors peints de la commanderie hospitalière de Soulomès en Quercy : spécificités ou conformité ? », dans D. Carraz, E. Dehoux, Images et ornements autour des ordres militaires au Moyen Age. Culture visuelle et culte des saints (France, Espagne du Nord, Italie), Toulouse 2016, p. 115-126.
De Murat Marquis et Dugon Vicomte, Généalogie de la Maison de Murat de Lestang, Paris 1892
De Rivoire de La Bâtie Gustave, Armorial de Dauphiné, Lyon 1867.
Du Bourg Antoine, Histoire du grand prieuré de Toulouse et des diverses possessions de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem dans le sud-ouest de la France… : avec les pièces justificatives et les catalogues des commandeurs, Toulouse 1883.
Juillet Jacques, Templiers et Hospitaliers en Quercy : les commanderies, Cahors 1999.
Lacoste Guillaume, Histoire générale de la province du Quercy, éd. Louis Combarieu et François Cangardel, t. 2, Cahors 1883-1886, p. 232.
La Plagne Barris Paul, Sceaux Gascons Du Moyen Âge, t. 1, Sceaux ecclésiastiques, sceaux des rois de Navarre et de grands feudataires (Archives historiques de la Gascogne, 15), Paris-Auch 1888.
Raybaud Jean, Histoire des Grands-Prieurs et du prieuré de Saint-Gilles, Nîmes 1904-1906.
Séraphin Gilles, Scellès Maurice, « Soulomès, église paroissiale Sainte-Marie-Madeleine, église des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem », dans N. Bru (dir.), Archives de pierre. Les églises du Moyen Âge dans le Lot, Silvanaeditoriale, 2011, p. 298-300.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Soulomès, église Sainte-Marie-Madeleine. Armoirie Pierre de Montlezun (armoirie 1)
D’(argent) au lion de (gueules) à la bordure de… chargée de neuf besants de… (alias accompagné de neuf corneilles de sable en orle).
Soulomès, église Sainte-Marie-Madeleine. Armoirie Gabriel de Murat de Lestang de Pomairols (armoirie 4)
Ecartelé, aux 1 et 3 d’(azur) à trois faces crénelées d’(argent) (la troisième ouverte en porte au milieu) (Murat de Lestang) ; aux 2 et 4 de… à trois fleurs de lis de… posées 2 et 1 (alias d’azur à trois rocs d’échiquier posés 2 et 1 cimés de trois fleurs de lys d’argent) (de Pomairols), au chef de la Religion (de gueules à la croix d’argent).
Attribution : Murat de Lestang de Pomairols Gabriel de