L’église paroissiale Sainte-Brigitte de Berhet, en croix latine avec nef à bas-côté de deux travées, a été entièrement réédifiée dans les années 1850, en conservant à des fins d’économie le parti général et le plan de l’édifice qui la précéda, et qui menaçait ruine (Couffon 1938, p. 91 ; Gertrude 2011). Le cadastre napoléonien confirme que les dispositions au sol étaient quasi-identiques (Saint-Brieuc, AD Côtes d’Armor, 3 P 11 / A2) : seules des modifications mineures furent apportées au nouvel édifice, consistant en une faible rehausse des murs, un élargissement des bas-côtés et l’adjonction de deux sacristies (Couffon 1938, p. 91). Les anciens matériaux, largement réemployés, incluent quelques vestiges armoriés, parmi lesquels se remarque surtout un très beau panneau héraldique sculpté en granite.
Dans l’église elle-même, on ne relève en réemploi à la paroi du pignon du bras sud du transept qu’une pierre ornée d’un écusson triangulaire, dont la surface martelée est indéchiffrable (armoirie 1). La forme effilée de l’écu oriente la datation au plus tard dans la première moitié du XVe siècle. Des traces de pigments, de chaux blanche et d’ocre jaune, signalent une apposition en intérieur.
Berhet, église Sainte-Brigitte, clocher, détail d’un écusson martelé supporté par deux lions au fronton de la porte.
À l’extérieur, le clocher remonte à 1553 au témoignage d’une inscription sculptée au contrefort droit (Gertrude 2011). Une comparaison avec la chapelle Notre-Dame de Confort (sur la même commune), commencée en 1523 et dédiée en 1549, confirme cette datation, la structure de l’élévation et les formes de la porte étant les mêmes. À la porte, le fronton triangulaire épointé qui surmonte l’entablement est scellé d’une pierre en granite au grain différent et plus foncée, ornée de deux lions supportant un écu. L’altération de sa surface et la présence envahissante de lichens empêchent toute identification (armoirie 2).
L’élément le plus remarquable est un superbe panneau héraldique sculpté en bas-relief dans un granite gris foncé à gros grains, réinséré dans le mur d’enclos extérieur, au sol près du portail. Mesurant quatre-vingt-quinze centimètres de haut par soixante-dix de large au relevé d’Henri Frotier de La Messelière qui le dessina en 1929, il représente deux écus couchés sous des heaumes cimés affrontés, abrités par une double arcature trilobée séparée d’un pilier. Le cadre architecturé et les dimensions indiquent que cet élément provient très probablement du soubassement d’un tombeau, et jouissait d’une excellente exposition dans le monument. Frotier de La Messelière identifia sur l’écu à gauche les armes de Merien Le Chever ou Le Chevoir (armoirie 3) et sur celui de droite celles de sa seconde épouse Marie de Kersaliou (armoirie 4), seigneur et dame de Coadélan (Frotier 1992, p. 303).
Panneau d’un soubassement de tombeau aux armes de Merien Le Chever et Marie de Kersaliou, vers 1400, Berhet, église Sainte-Brigitte.
Le manoir de Coadélan s’élève à quelques centaines de mètres à l’est. C’est une construction soignée, qualifiée « du type même du »grand manoir breton » » (Gertrude 2011, Manoir de Coadélan), au cœur d’une seigneurie de moyenne importance. Des relevés dendrochronologiques de la charpente signalent une implantation ancienne remontant au premier quart du XIVe siècle (ibid.). Une importante campagne incluant la partie sud du logis et la salle basse intervint entre 1362 et 1390 (ibid.), à l’époque de Merien Le Chever et Marie de Kersaliou.
Le premier est « seigneur de Couateslan » dès 1365, ratifia le traité de Guérande en 1381, et est encore attesté en 1395 (Torchet 2003, p. 168). Il contracta une première alliance dont il eut au moins un fils aîné, sans postérité, avant de convoler avec Marie de Kersaliou, fille de Roland de Kersaliou, capitaine de La Roche-Derrien en 1378, et de Marie ou Méance Toupin (ibid., p. 168, 209). L’un de leurs fils, Lancelot, continua la filiation. Ces éléments de biographie confirment une datation du panneau vers 1400.
L’examen des armoiries et des cimiers en apprend davantage sur la généalogie, l’héraldique et les pratiques emblématiques des deux lignages. Il n’a pas été remarqué que le volet du heaume de Merien Le Chever est décoré d’un lion rampant (armoirie 5). On songe en premier réflexe au lion des Kersaliou, ou encore à l’hypothèse d’un rappel des armes de la première épouse de Merien, inconnue. Toutefois, de nombreux exemples attestent que lorsque des armoiries ornent les volets ou lambrequins d’un heaume, elle se rapportent surtout à des alliances passées, à l’instar du décor armorié au piètement du gisant d’Éon de Kerouzéré dans l’église de Sibiril vers 1435. Il pourrait donc plutôt s’agir ici des armes de la mère ou d’une aïeule prestigieuse de Merien, sans certitude. On remarque également le cimier en tête d’oiseau, peut-être la seule attestation d’un timbre pour les Le Chever.
Détail du volet orné d’un lion au heaume timbrant les armes de Merien Le Chever, Berhet, église Sainte-Brigitte.
Sous l’arcature de droite, les armes de Marie de Kersaliou versent une pièce importante au dossier héraldique des Kersaliou, qui mériterait d’être remis au propre. Alors que la plupart des armoriaux modernes et contemporains leur attribuent un champ fascé de six pièces (Le Borgne 1667, p. 155 ; Briant de Laubrière 1844 ; Guérin de La Grasserie 1848, 1, p. 301 ; Potier de Courcy 1993, 2, p. 128 ; Torchet 2003, p. 209), ce panneau sculpté confirme la version à trois fasces dont témoignent plusieurs empreintes de sceaux de 1380 à 1483 (Sigilla ; Fabre, 1, p. 395-396), un arrêt de la Réformation de 1668-1671 (Tudchentil 2019) et quatre enregistrements à l’Armorial général de 1696 (Chassin du Guerny 1977, 1, p. 82, 239, 320, 420). Le cimier à tête de chien semble prouver quant à lui que les Kersaliou ne faisaient pas usage d’un timbre héréditaire mais préféraient des cimiers de circonstance ou individuels, dissemblables pour chacun de ses membres : les sceaux de Roland en 1378, Raoul en 1380 et autre Raoul en 1406 montrent trois cimiers différents, respectivement une tête de cheval ou de chèvre, une tête de magicien et une tête de licorne dans un vol banneret (Fabre 1993, 1, p. 396).
Auteur : Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Paul-François Broucke, Berhet, église Sainte-Brigitte, https://armma.saprat.fr/monument/berhet-eglise-sainte-brigitte/, consulté
le 21/11/2024.
Archives privées, arrêt de la famille de Kersaliou à la Réformation de 1668-1671, transcrit par : Lorant, Pascal, 2019, URL : https://www.tudchentil.org/spip.php?article1287 (cons. le 09 mai 2021).
Chassin du Guerny, René (coord.), Armorial général de France, Bretagne (Édit de novembre 1696), Quimper 1977 (rééd.).
Couffon, René, « Répertoire des églises et chapelles de Saint-Brieuc et Tréguier. Premier fascicule », Société d’émulation des Côtes-du-Nord. Bulletins et mémoires, 70, 1938, p. 1-211.