À proximité du manoir de Dourmap en Plouider s’élève un calvaire au croisillon armorié de quatre écussons. Accolé à une construction, le monument, haut d’environ quatre mètres, est un remontage. Sur un socle cubique assisé d’une simple maçonnerie, on peut considérer comme appartenant à un même ensemble le fût en granite ainsi que le croisillon coiffé d’une base de crucifix qui le surmontent, tous deux en kersanton. Au sommet, la provenance d’un grand fragment de crucifix, sculpté peut-être dans un autre granite et présentant une section amincie, est plus incertaine.
Plouider, calvaire de Dourmap.
Le calvaire est présumé avoir été déplacé depuis « le manoir de Lestourdu ou Lestourduff où existait une chapelle dédiée à saint Jean » (Croix et calvaires. Dourmap), ce qui est vraisemblable au regard des armoiries qui sont celles des seigneurs de Lestourdu, à quelques kilomètres. En revanche, la tradition qu’il « aurait été transporté près du manoir de Dourmap au début du XVIIe siècle par Jean de Silguy, recteur de la paroisse et fondateur du manoir » (ibid.), semble invérifiable. La chapelle Saint-Jean, disparue, était « signalée en 1616 »près le manoir de Lestourdu » » (Couffon, Le Bars 1988, p. 295) mais était en ruines dès 1748 puisqu’un partage mentionne un « aplacement de chapelle et vestige d’icelle » (Brest, AD départementales du Finistère, 1 E 457).
Le croisillon est d’un type très original : autour d’un gros chapiteau à pans prismatiques marqué en son centre d’un plat chargé d’un tore, quatre branches rayonnent en ailes de moulin, formant deux paires symétriques décalées, chacune reliées par deux autres branches en léger arc de cercle. Les quatre branches principales se terminent par un écusson amorti d’une feuille de choux, et les deux branches secondaires sont intersectées d’un culot aussi orné d’une feuille de choux. En plus du crucifix, cet ensemble était prévu pour supporter six statues maintenues par des tenons ronds, dont il reste les mortaises sur la face supérieure. Le même dispositif de fixation, de norme pour tous les croix et calvaires, a été adopté pour assurer la jonction du nœud avec le fût. Mais la sensibilité de cet assemblage aux poussées latérales a fait croire que « l’ensemble du croisillon, mobile, [pouvait] tourner pour présenter à volonté l’un ou l’autre des écus » (Castel 1988, p. 259), une interprétation pittoresque qui a valu au calvaire de Dourmap, avec un glissement terminologique malencontreux, le surnom de « croix tournante » (Croix et calvaires. Dourmap).
Plouider, calvaire de Dourmap, détail du croisillon.
Son croisillon atypique à quatre branches reliées confère un grand intérêt typologique à ce calvaire mutilé, en en faisant un unicum pour ce qui regarde la structure générale. On ne connaît en Finistère qu’un seul autre calvaire à bras multiples, qui se situe à moins de cinq kilomètres : le calvaire de l’église de Plounéour-Trez, daté de 1506, présente un croisillon à six branches indépendantes (Castel 1980, p. 270-271). La parenté entre les deux monuments est évidente : même emploi des matériaux (fût de granite, croisillon en kersanton), même mouluration des branches par deux larges cavets séparés d’un plat, même usage des feuilles de choux en amortissement, même astragale au chapiteau. Le croisillon du calvaire de Dourmap présente quelques archaïsmes pouvant argumenter une légère antériorité, par exemple la forme du gros chapiteau prismatique marqué d’un plat chargé d’un tore, identique aux bagues qui enserrent les supports du chœur de l’église de La Martyre. Il faut conclure à deux productions par un même atelier local, à la recherche de solutions structurelles originales, trouvant une inspiration formelle un peu vieillissante, dans les grands monuments de référence de la première moitié et du milieu du XVe siècle. Une datation dans les décennies 1490-1500 paraît la plus convenable.
Les quatre écussons, en parfait état, ne peuvent être totalement élucidés. Au croisillon, chaque paire de branches reliée par un bras secondaire porte un écu plein (armoirie 1 a-b) et un mi-parti différent (armoiries 2-3), symbolisant deux couples. Les armes pleines, à une quintefeuille accompagnée de trois coquilles (armoiries 1-b) sont celles des Montfort, pour lesquelles les armoriaux sont en contradiction quant à l’émail du champ, d’argent (Potier de Courcy 1993, 2, p. 183) ou d’or (Le Borgne 1667, p. 177). La seconde version est confirmée par une induction pour la réformation du domaine en 1680, par François de Kerven, seigneur de Kersullec, Lestourdu et La Vigne, qui décrit ses prééminences en l’église Guissény avec dans la maîtresse vitre « le sixiesme [soufflet] porte pareillement lesdites armes plaines dudit seigneur advouant en alliance avecq celle de la seigneurie de Lestourdu qui sont or à trois cocquille de gueulle et une roze aussy de gueulle en abime au millieu » (Nantes, AD Loire Atlantique, B 1734, f. 2046 v.)
Armes mi-parties de Montfort de Lestourdu et de Lescoët de Kergoff, Plouider, calvaire de Dourmap.
La filiation et les alliances des seigneurs de Lestourdu sont très mal connues. Le manoir passa après 1552 aux Kerven par succession collatérale de Agazce Montfort, mineure héritière sous la garde de sa mère Marie du Beaudiez, après le mariage d’Anne Monfort, demoiselle de Lestourdu avec Goulven de Kerven, sieur de Kersullec en Guissény, couple cité en 1541 (Nantes, AD Loire Atlantique, B 1700). Si l’on dispose de quelques éléments pour le milieu du XVe siècle, on est mal renseigné pour la transition au début du XVIe. Aussi faut-il se résigner à n’identifier aux écussons mi-partis (armoiries 2-3) que les familles mais pas les individus. Sur le premier d’entre eux, au second quartier, on a cru reconnaître « deux fasces accompagnées de deux quintefeuilles » (Le Guennec 1979, p. 388), en réalité une fasce chargée de trois quintefeuilles et surmontée d’un lambel, le chef de l’écu ayant été détouré pour donner du relief au lambel (armoirie 2). Au deuxième écusson (armoirie 3), la lecture du second quartier, peut-être perturbée anciennement par des lichens, a posé difficulté : on y a cru y voir « sept écus rangés 2, 2, 2 et 1 » (ibid.) ou les billettes des armes « de Beaumanoir » (Croix et calvaires. Dourmap). Ce sont en fait des fasces de vair maladroitement représentées, appartenant de toute vraisemblance aux armes des Coetmenec’h, puissant lignage implanté localement en Plouider et Ploudaniel. Cette alliance n’est pas plus documentée que la précédente.
Armes mi-parties de Montfort de Lestourdu et de Coëtmenec’h, Plouider, calvaire de Dourmap.
Auteurs : Marc Faujour, Paul-François Broucke
Pour citer cet article
Marc Faujour, Paul-François Broucke, Plouider, calvaire de Dourmap, https://armma.saprat.fr/monument/plouider-croix-de-dourmap/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Brest, AD du Finistère, 1 E 457, partage du 8 janvier 1748.
Quimper, AD du Finistère, 34 J 55, Fonds le Guennec – dossier Plouider.
Nantes, AD de Loire Atlantique, B 1734, Titres pour la paroisse de Guissény, aveu de François de Kerven de Kersullec et Renée de Penancoat pour plusieurs seigneuries sous le ressort de Lesneven, 1683.
Nantes, AD de Loire Atlantique, B 1700, Titres pour la paroisse de Plounéour Trez, aveu de 1541.
Bibliographie études
Castel, Yves-Pascal, Atlas des croix et calvaires du Finistère, Quimper 1980.
Couffon, René, Le Bars, Alfred, Diocèse de Quimper et Léon. Nouveau répertoire des églises et chapelles, Quimper 1988.
Plouider, calvaire de Dourmap. Armoirie Montfort de Lestourdu-de Lescoët (armoirie 2)
Mi-parti, au 1 : d'(or) à la quintefeuille de (gueules) accompagnée de trois coquilles de (même) (Montfort de Lestourdu) ; aux 2 et 3 : de (sable) à la fasce d'(argent) chargée de trois quintefeuilles de (sable) et surmontée d’un lambel d'(argent) (de Lescoët).
Attribution : Lescoët famille de ; Montfort de Lestourdu famille
Position : Extérieur
Support armorié : Croix ou calvaire
Structure actuelle de conservation : Plouider, lieu-dit Dourmap
Plouider, calvaire de Dourmap. Armoirie Montfort de Lestourdu-de Coëtmenec’h (armoirie 3)
Mi-parti, au 1 : d'(or) à la quintefeuille de (gueules) accompagnée de trois coquilles de (même) (Montfort de Lestourdu) ; au 2 : fascé de (vair) et de (gueules) de six pièces (de Coëtmenec’h).
Attribution : Coëtmenec'h famille de ; Montfort de Lestourdu famille
Position : Extérieur
Support armorié : Croix ou calvaire
Structure actuelle de conservation : Plouider, lieu-dit Dourmap