Edifiée au milieu du XIIe siècle et reconstruite au XIIIe, l’église Sainte-Geneviève de Feucherolles conserve un parmi les plus anciens et amples cycles héraldiques peints de la région (Desvaux-Drubay 2015, p. 102-105), découvert lors de la restauration de l’édifice au début des années 2010 (« Eglise de Feucherolles… », p. 6). Sa réalisation s’inscrit dans le cadre d’un plus vaste chantier pictural dont de larges pans sont aujourd’hui encore visibles au niveau de la deuxième travée du chevet, sur le mur nord et sur celui sud, d’un côté et d’autre donc de l’emplacement occupé par le maître autel.
Dans le tympan surmontant l’arc formeret mettant en communication la nef et le bas-côté nord, une fasce historiée contenant des épisodes de la vie de Sainte-Geneviève (Desvaux-Drubay 2015, p. 104-105) est surmontée par trois grands écussons armoriés, représentés, selon une convention courante aux XIIIe-XVe siècles, comme des objets réels accrochés au mur par leur guiche (armories 1-3) ; des armoiries de plus petites tailles sont en revanche disposées dans l’archivolte et forment une série aujourd’hui mutilée (armoiries 4-12). En conformité au principe de symétrie assez commun au bas Moyen Âge dans l’ornementation picturale du bâti, il est vraisemblable que le même schéma s’appliquait au mur d’en face. Seule une partie des écus armoriés jadis ornant l’archivolte est conservée (armoiries 13-24). La forme des écus, le style héraldique, le maintien de la même disposition indiquent que les armoiries ont été réalisées au même moment. Même si les écus armoriés se superposent au faux appareillage (blanc avec des doubles lignes rouges) qui devait couvrir presque intégralement les murs de l’édifice, il n’y a pas de raisons de croire qu’ils aient été réalisés au sein d’un deuxième chantier : aux XIIIe-XIVe siècles, il était en effet fréquent de peindre des ensembles d’armoiries directement sur une couche de faux appareil (cf. Nanteuil-en-Vallée, Hôtellerie).
Feucherolles, église Sainte-Geneviève, chœur, coté nord (Wikipedia)
Le « programme » héraldique commençait vraisemblablement sur le mur nord, à la droite de l’autel et, donc, à la place d’honneur. La série présente au milieu, la place la plus honorable, les armes de Bourbon (armoirie 1), côtoyées par deux armoiries plus difficiles à interpréter à cause aussi de leur état de conservation. Nous pouvons tout de même attribuer celle de dextre (gauche) à la maison d’Evreux (armoirie 2), qui brisait les armes de France par une bande componée d’argent et de gueules : la palette de couleur extrêmement réduite utilisée par le peintre (nous noterons l’absence totale d’azur, probablement considéré trop cher pour les commanditaires des peintures) lui a probablement imposé le choix du rouge pour tracer le contour de la bande. L’écu à senestre (droite) devait en revanche porter le mi-parti Navarre-Champagne (armoirie 3), l’armoirie adoptée par les rois ibériques appartenant à la maison de Champagne. Cette armoirie fut probablement introduite par Thibaud V, comme l’atteste son sceau secret de 1267-1270 (Baudin 2012, num. 16) et fut utilisée à la fois par Henri III entre 1271-1274 (ibid., num. 19) et par son épouse, Blanche d’Artois, avant son deuxième mariage avec Edmond de Lancastre en 1276 (ibid., num. 37bis) Jeanne de Navarre et son époux, le futur Philippe IV le Bel, ont fait eux aussi usage de l’écu mi-parti à partir d’août 1284. Si Philippe abandonne cette armorie avec l’avènement au trône de France en octobre 1285 (Sigilla ; Baudin 2012, num. 23), Jeanne l’utilisa jusqu’en 1286. Pourtant un acte du 19 août 1301 (AD Marne, 11 H 18) annonce l’apposition du sceau de Blanche d’Artois (Baudin 2012, num. 37bis, note 1), indice de la continuité d’usage de cette armoirie (par sa fille Jeanne ?) au moins jusqu’au début du XIVe siècle.
Feucherolles, église Sainte-Geneviève, chœur, coté sud (Wikipedia).
A la lumière de ces indices, nous attribuerons les deux autres armoiries à Robert (armoirie 1), fils de saint Louis et comte de Clermont entre 1268 et 1317, et à Louis (armoirie 2), frère de Philippe le Bel et comte d’Evreux entre 1298 et 1319. Dans la série, donc, Robert de Clermont, frère de Philippe III et fis de saint Louis, serait mis à l’honneur, suivi par Louis, son neveu, et, vraisemblablement, par Jeanne de Navarre, sa belle nièce (Hablot, communication orale).
Au-dessus de ces écussons armoriés, figurant des personnages du premier plan du royaume et de la cour royale, une série à l’origine probablement composée par 19 écussons de plus petite taille couvrait l’archivolte. Seulement les neuf écus peints sur la partie droite de l’arc sont aujourd’hui visibles. Procédant du haut vers le bas, nous reconnaissons tout d’abord les armes du comte de Foix (armorie 4), qui seront à attribuer à Bertrand III de Foix (+ 1302) (selon Desvaux-Drubay 2015, p. 104-105) ou à Gaston Ier (+ 1315). Elles sont suivies par un burelé d’argent et de gueules que nous sommes tenté d’attribuer à Guy de la Marche (ou d’Angoulême) (cf. Archives Nationales, ms. MM684/L-AE/I/25/6, p. 37) (armoirie 5). Mort en 1308, Guy utilisa probablement ces armes (documentées aussi dans l’abbaye de Nanteuil-en-Vallée) jusqu’en 1303, quand il prit la succession de son frère ainé Hugues XIII : à ce moment il put adopter les armes plaines de la famille (Hablot, communication orale). Nous ne pouvons toutefois pas exclure que d’autres familles, peut-être possessionnées dans la région portaient les mêmes armes burelées (comme, par exemple, les Encre, famille picarde : De Morenas 1935, p. 271). Les autres écus armoriés conservés n’aident pas à élucider la question. Très abimés déjà au moment de la découverte, ils sont désormais réduits à une surface plaine jaune (armoiries 6, 8, 10, 12) ou rouge (armoirie 7) (l’écu aujourd’hui de gueules plain est attribué aux d’Albret par Desvaux-Drubay 2015, p. 104-105, mais rien ne permet de reconstruire sa physionomie originaire). Deux seuls écussons portent encore des fragments de l’armoirie médiévale (armoiries 9, 11), qui ne sont toutefois pas suffisants pour tenter une identification.
Feucherolles, église Sainte-Geneviève, chœur, coté sud, détail des peintures historiées et héraldiques (Wikipedia).
L’archivolte d’en face présentait une série constituée vraisemblablement de 17 écussons, dont seules 11 sont conservés. En partant de la gauche, nous trouvons ainsi, entre deux écus désormais réduits à un fond doré (armoiries 13, 15), un vairé d’argent et de gueules (armoirie 14), qui pourrait appartenir aux Scépeaux, famille possessionnée dans le Maine et dans l’Anjou (Desvaux-Drubay 2015, p. 104-105), suivi par une armoirie d’argent à la bande de gueules accostée de six merlettes (armoirie 16), qui pourrait appartenir à la famille picarde des Campremy (Picardie ; Paris, BnF, ms. NAF 25274, f. 52v) et d’un chevronné d’or et de sable ( ?) (armoirie 17). Un écu chargé d’une croix engrêlée (armoirie 18) est suivi par les armes de Champagne (armoirie 19) et par un écusson d’argent fretté de gueules (Soyécourt ?) (armoirie 20). La clef de l’arcade est timbrée par un écu fortement altéré, qui pouvait porter à l’origine des armes à la fasce crénelée de trois pièces (armoirie 21), comme on la trouve dans les armes de la famille angevine de La Tour-Landry (Desvaux-Drubay 2015, p. 104-105). Dans la partie droite de l’arcade, nous pouvons reconnaître seulement un écu d’argent à la bande de gueules (armoirie 22) (déjà attribué aux Lignières/Linieres : ibid.), un écu vergetté d’or et de gueules, qui pourrait faire allusion aux armes de Provence ou de Foix (armoirie 23) (ibid.) et, pour terminer, un écu dont nous distinguons seulement que des morceaux (armoirie 24).
La nature de ce programme héraldique demeure mystérieuse. L’impossibilité d’identifier avec certitude la plupart des armoiries et la perte d’un bon tiers du programme originaire nous empêche de saisir les circonstances qui ont pu être à la base de cette série héraldique qui semble mélanger les armes de grandes familles proches de la cour royale à celles d’autres lignages de premier plan qui pouvaient vanter, peut-être, des intérêts dans la région. L’étude héraldique permet cependant d’établir que ce cycle fut réalisé entre la fin du XIIIe siècle (après 1298 ?) et le tout début du XIVe siècle (avant 1303 et, probablement, avant 1301), époque conforme au style des peintures historiées visibles sur le mur nord. Les traces d’une litre funéraire armoriée d’époque moderne complètent la mise en signe de l’édifice.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Feucherolles, église Sainte-Geneviève, https://armma.saprat.fr/monument/feucherolles-eglise-sainte-genevieve/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Paris, Archives Nationales, ms. MM684/L-AE/I/25/6, Armorial Le Breton.
De Morenas, Jougla Henri, Grand armorial de France, t. 3, Paris 1935.
Paris, BnF, ms. NAF 25274, Armorial de la Cour amoureuse.
Bibliographie études
Baudin, Arnaud, Les sceaux des comtes de Champagne et de leur entourage, fin XIème-début XIVème siècle, Langres 2012.
Desvaux-Drubay, Cécile, La mise en couleur des églises rurales d’Île-de-France du XIIe au XVIe siècle, thèse de doctorat, Université Paris 1, 2015.
« Eglise de Feucherolles. Les peintures murales », La vie au village, 52, 2015, p. 6.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Feucherolles, église Sainte-Geneviève. Armoirie Robert de Clermont (armoirie 1)
D'(azur) semé de fleurs de lys d’or, au bâton de gueules en bande brochant.
Attribution : Clermont Robert de ; Bourbon famille de
Feucherolles, église Sainte-Geneviève. Armoirie Jeanne de Navarre ? (armoirie 3)
Parti : au premier, de gueules au rais d’escarboucle fermé et besanté d'(or) (Navarre) et au deuxième d'(azur) à la bande d’argent côtoyée de deux (doubles) cotices (potencées et contre-potencées ?) d’or (Champagne).