La commune de Septmonts abrite une des anciennes résidences de campagne de l’évêque de Soissons. La construction de cet ensemble architectural qui tient plus de la forteresse que de l’aimable manoir, s’étend du XIIIe au XVIe siècle. Si les parties les plus anciennes du château datent de l’époque de Jacques de Bazoches, le donjon et la tour carrée ont été construits sous Simon de Bucy, évêque de 1362 à 1404 et fils d’un autre Simon, premier président du Parlement de Paris et conseiller de Charles V. L’évêque Symphorien Bullioud (1528-1534) est quant à lui à l’origine de la construction du pavillon Renaissance (Ancien 1965 ; Crépin-Leblond 1990). Abandonné par les évêques de Soissons à la fin du XVIIe siècle et vendu comme bien national en 1789 (Godelle 1844, p. 85), le château fut initialement utilisé comme carrière. La précoce prise de conscience de sa valeur historique et artistique favorisa finalement la conservation des bâtiments subsistants (ibid.). Lourdement endommagé en 1918 par un bombardement, le château a été acquis par la Commune à partir de la fin des années 1970, qui assure aujourd’hui la préservation de cet ensemble architectural composite.
L’ancienne résidence des évêques de Soissons, de nos jours réduite à une romantique ruine, était agrémentée par des ornementations sculptées portant aussi les armoiries de ses bâtisseurs. Une clef chargée d’un écusson aux armes de Simon de Bucy (documentées par le ms. Vatican, BAV, Reg. lat. 450, f. 5r : Bibale ; Marsy1866, p. 10) se trouve ainsi à la voûte de la salle octogonale au rez-de-chaussée du donjon (Salch, Martinez 1978, p. 236) (armoirie 1) et prouve ainsi son implication dans la construction de cet édifice (Lefèvre-Pontalis 1912, p. 289-290 ; Crépin-Leblond 1990, p. 549) qui, par la qualité de l’appareillage et du décors des baies, à été comparé aux grands chantiers royaux et princiers de l’époque, tel celui de Vincennes (Crépin-Leblond 1990, p. 558). Cette pièce, qui faisait peut-être office de cuisine (ibid., p. 559), est également dotée d’une belle cheminée en style flamboyant (et, donc, probablement postérieure), vers laquelle le chef de l’armoirie est orienté. Une deuxième clef aux armes de Simon de Bucy timbre une petite salle voûtée d’ogives au deuxième étage (armoirie 2), présentant aussi des culots ornés d’animaux, végétaux et masques humains (Ancien 1965, p. 139 ; Crépin-Leblond 1990, p. 559).
Septmonts, château, donjon, salle au rez-de-chaussée (montjoye.net).
Le musée Saint-Léger de Soissons conserve en revanche les fragments d’une belle frise sculptée et « héraldisée » datée du XVIe siècle (inv. 93.7.2502) (Seydoux 2012, p. 21, note 3) que Levèfre-Pontalis (1912, p. 292) pensait – nous croyons à tort – former un linteau de cheminée. Entrée dans les collections municipales en 1841, cette sculpture a été découverte dans la ferme de la Carrière-l’Evêque, dans la Commune de Septmonts, où elle avait été remployée, renversée, dans le pavage d’une cuisine (« Découvertes… » 1842-1843, p. 178). Elle pourrait provenir soit du logis Renaissance, soit de la « cour d’honneur » du château où, dans les années 1840, trois arcades d’une galerie étaient ornée de bas-reliefs représentant une chasse : réalisés probablement en plâtre, ils se présentaient déjà à l’époque en mauvais état de conservation (Godelle 1844, p. 80 ; Crépin-Leblond 1990, p. 563).
Clef de voûte aux armes de Simon de Bucy. Septmont, donjon du château.
Le remontage de la frise, de nos jours composée de cinq panneaux, n’est pas conforme à l’état d’origine, comme on peut en juger par la disposition des colonnes, et des éléments composant l’ensemble originaire ont sans doute disparus (nous savons que d’autres fragments sculptés avaient été retrouvés dans la ferme, mais il n’ont pas été visiblement conservés : « Travaux… » 1841, p. 20). Elle présente actuellement quatre chevaliers qui se succèdent l’un à l’autre : les premiers trois sont tournés vers la droite, le quatrième vers la gauche. Le cinquième panneau est en revanche occupé par un écu armorié soutenu par deux griffons, posé sur une crosse et timbré d’une mitre (armoirie 4). Un vocabulaire ornemental caractéristique la première Renaissance est choisi par l’artiste. Des colonnes en candélabre, encore visibles par endroits, limitent l’espace réservé à chaque cavalier qu’une conque renversée met en valeur. La même solution est adoptée pour encadrer l’écu armorié. L’ensemble devait être peint à l’origine, comme en témoigne la présence des armoiries aujourd’hui laissées « blanches ». Des inscriptions gravées dans la marge inférieure de chaque « volet » facilitent l’identification des personnages. Nous pouvons y lire « Lanpheton / roy Francoi de F(rance) / le c(omte) de Foiz / Olivier / […] pacem ».
Le roi François Ier et le comte de Foix occupent, respectivement, le deuxième et le troisième panneau. Le souverain porte une cape et un tabard fleurdelisés et il est coiffé d’un chapeau. Dans sa main droite il brandit un bâton de commandement. Le comte de Foix porte lui aussi un surcot armorié, sur lequel nous ne distinguons qu’un quartier barré à la bordure. Un écusson armorié était sculpté dans la bordure supérieure du panneau (armoirie 3). Il n’en reste aujourd’hui que la moitié inférieure, puisqu’il a été sans doute endommagé au moment du remploi de la pièce (il est plausible que d’autres armoiries figuraient dans la partie supérieure de chaque volet de la frise). Nous pouvons tout de même y reconnaître l’écartelé Foix-Béarn. Le cavalier pourrait donc être identifié avec Henri II, roi de Navarre, qui portait le titre de comte de Foix depuis 1517. Mari de Marguerite d’Angoulême, sœur aînée de François Ier, il était parmi les vassaux les plus puissants du roi et fier opposant de son principal ministre, Anne de Montmorency (Reid 2011).
Frise figurant des cavaliers. Soissons, Musée Saint-Léger (jadis château de Septmonts).
Les autres personnages nommés, à savoir Lanpheton et Olivier, ont demeuré longtemps énigmatiques. Le premier, habillé comme un cavalier oriental, tient une épée dans la main droite et un écu en forme de targe dans la gauche. D’après la tradition – qui lisait Laupheton à la place de Lanpheton – il serait à identifier avec un ambassadeur présumé de Soliman II envoyé auprès de François Ier pour traiter l’alliance contre Charles Quint (« Découvertes… » 1843, p. 179 ; « Bas-reliefs… » 1880, p. 288). De toute évidence, il s’agit en réalité de Lampédo ou Lampeto, reine amazone (De Bernardi, communication orale), dont la présence est commune dans les cycles de Préuses depuis le XIVe siècle (Wyss 1957, passim ; Sedlacek 1997), comme nous pouvons le constater dans le cycle célèbre du château de La Manta (où elle est nommée « Lampheto » : Gentile 1992, p. 103-127). Dans le relief de Septmonts elle exhibe une coiffure fantaisiste, assez courante dans les représentations de femmes orientales de l’antiquité entre la fin du XVe siècle et la première moitié du XVIe (voir l’image de Minerve peinte par Robinet Testard dans Paris, Bnf, Fr. 599, f. 9). Nous noterons alors qu’une ligne verticale traverse dans son milieu le bouclier de la femme : si elle souligne le profil bombé du support, elle servait probablement aussi de partition pour l’armoirie, partie ou mi-partie, souvent utilisée par cette reine amazone (Civel 2014, passim).
La reine Lampeto, détail de la frise du château de Septmonts Soissons, Musée Saint-Léger.
L’identification du deuxième cavalier se fait par conséquent moins difficile. Coiffé d’un chapeau, il porte une longue barbe et tient une lance dans la main gauche. Déjà identifié avec Olivier de Clisson « le plus redoutable guerrier du XIVe siècle » (« Bas-reliefs… » 1880, p. 288), il sera plutôt à reconnaître dans le célèbre personnage associé à la légende de Charlemagne et de Roland, à cette époque représenté dans un décor éphémère construit lors de la réception de Charles Quint à Londres en 1522 (Robertson 1960, p. 175). Devant lui, derrière la colonne qui le séparait vraisemblablement d’un autre personnage disparu, un écu pend à un tronc d’arbre, selon une formule répandue à la fin du Moyen Âge (voir, parmi les nombreux exemples, le déjà mentionné cycle des Preux et Preuses du château de La Mante, en Savoie).
Suivant une tradition qu’on peut faire remonter jusqu’au cycle perdu de Giotto à Milan, la frise sculptée du château de Septmonts devait donc proposer une série de Preux et de Preuses, dont Lampeto et Olivier sont les seuls survivants, dans laquelle se mélangeaient des personnages contemporains dont on voulait exalter les vertus et la noblesse (hypothèse avancée mais pas développée par Ancien 1965, p. 139) : le roi François Ier, le comte de Foix, mais aussi le commanditaire de cette oeuvre et « propriétaire » du château.
Le comte de Fois, détail de la frise figurant des cavaliers. Soissons, Musée Saint-Léger (jadis château de Septmonts).
Celui-ci semble en effet à reconnaître dans le personnage identifié par l’armoirie qui occupe totalement le panneau de droite, reproduite sur un écu en targe timbré d’une crosse et d’une mitre, insignes de fonction d’un évêque (armoirie 4). Avec Alexandre de Marsy (1866, p. 12) nous y reconnaissons les armes de Foucauld de Bonneval (avant 1487-1540) qui occupe le siège épiscopal de Soissons en 1514-1528. Il est plausible que sa devise figurait dans le cartouche sculpté dans la marge inférieure du panneau : « [inquire] pacem » (Ancien 1965, p. 140). Fils d’Antoine de Bonneval (1440-1505), gouverneur du Roussillon et du Limousin, et de Marguerite de Foix (v. 1455-après 1487), fille de Mathieu de Foix – comte de Comminges et lui-même quatrième fils d’Archambaud de Grailly – et de Catherine de Coarraze, Antoine associe ici les armes de ses parents tout en gardant les supports de sa famille paternelle, les griffons. Nous noterons que la famille de Foix est très liée à François Ier qui fit de Françoise de Foix (v. 1495-1537) l’une de ses favorites. Françoise qui intervient beaucoup auprès du roi en faveur de ses frères, notamment Odet de Lautrec (1485-1528), est donc une cousine éloignée de Foucauld de Bonneval.
L’identification des éléments héraldiques figurant sur cette frise permet donc d’en attribuer l’exécution à une période comprise entre 1517 (quand Henri d’Albret devient roi de Navarre et comte de Foix) et 1528 (mort d’Antoine de Bonneval). Nous noterons que, dans l’armorie de Foucauld de Bonneval, les armes de Comminges sont encore représentées dans la forme ancienne. Avec le temps, les otelles s’écartent en augmentant de taille, dessinant ainsi une croix pattée dans l’espace laissé libre. Concurremment à cette modification, la valeur chromatique va s’en trouver inversée : il faudra dès lors lire l’armoirie de Comminges comme « d’argent à la croix pattée de gueules ».
Auteurs : Jean-Luc Liez, Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Jean-Luc Liez, Matteo Ferrari, Septmonts, château, https://armma.saprat.fr/monument/7776/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Vatican, BAV, ms. Reg. lat. 450.
Soissons, musée Saint-Léger, notice d’archives.
Bibliographie études
Ancien B., « Le château et la seigneurie de Septmonts », Fédération des Sociétés d’histoire et d’archéologie de l’Aisne. Mémoires, 11, 1965, p. 136-163.
« Bas-reliefs de la Carrière-l’Evêque », Bulletin de la Société archéologique, historique et scientifique de Soissons, s. 2, 11, 1880, p. 286-288.
Civel, Nicolas, « Les Armoiries des Neuf Preuses », dans C. Girbea, L. Hablot et R. Radulescu (dir.), Marqueurs d’identité dans la littérature médiévale: mettre en signe l’individu et la famille (XII-XV siècles), Turnhout 2014, p. 117-127.
Crépin-Leblond, Thierry, « Le château de Septmonts », Congrès archéologique de France, 148, 1990, p. 549-566.
« Découverte des monuments », Bulletin archéologique publié par le Comité historique des arts et monuments, 2, 1842-1843, p. 175-181.
Gentile, Luisa, « L’immaginario araldico nelle armi dei prodi e delle eroine », dans G.Carità (dir.), Le arti alla Manta. Il castello e l’antica parrocchiale, Turin 1992, p. 103-127.
Godelle, Nicolas-Claude-Joseph, « Notice sur Septmonts et son château », Mélanges pour servir à l’histoire du Soissonnais, 1, 1844, p. 76-87.
Lefèvre-Pontalis, Eugène, « Château de Septmonts », Congrès archéologique de France, 78, 1912, p. 287-292.
Marsy, Alexandre Charles Arthur de , Notes pour servir à un armorial des évêques de Soissons, Paris 1866.
Reid, Jonathan A., « Henri d’Albret, roi de Navarre (1502-1555) », dans C. Michon (dir.), Les conseiller de François Ier, Rennes 2011, p. 439-442.
Robertson, Jean, « L’entrée de Charles Quint à Londres, en 1522 », dans J. Jacquot (dir.), Fêtes et cérémonies au temps de Charles Quint, Paris 1960, p. 169-181.
Salch, Charles Laurent, Martinez, Dominique, Les plus beaux châteaux forts en France, Strasbourg 1978.
Sedlacek, Ingrid, Die Neuf Preuses. Heldinnen des Spätmittelalters, Marburg 1997.
Seydoux, Philippe, Gentilhommières des pays de l’Aisne, t. 2, Soissonnais, Tardenois et Brie, Paris 2012.
« Travaux archéologiques », Département de l’Aisne. Commission des antiquités, 3 août 1841, p. 14-25.
Wyss, Robert L., « Die neun Helden. Eine ikonographische Studie », Zeitschrift für Schweizerische Archäologie und Kunstgeschichte, 17, 1957, p. 73-106.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Septmonts, château. Armoirie Simon de Bucy (armoirie 1)
D'(or) à la fasce de (gueules) chargée de trois aigles de (sable).
Écartelé : au 1 et 4, d'(or) à trois pals de (gueules) (alias palé d’or et de gueules) (Foix) ; au 2 et 3, d’or à deux vaches de (gueules), accornées, accollées et clairinées d'(azur) (Béarn).
Attribution : Foix-Béarn famille
Position : Inconnue
Pièce / Partie de l'édifice : Inconnue
Emplacement précis : Inconnu
Support armorié : Frise ; Relief
Structure actuelle de conservation : Soissons Musée ancienne abbaye Saint-Léger
Septmonts, château. Armoirie Foucauld de Bonneval (armoirie 4)
Parti : au premier d'(azur) au lion d'(or) armé et lampassé de (gueules) (Bonneval) ; au deuxième, écartelé, au 1 et 4 d'(or) à trois pals de (gueules) (Foix), au 2 d’or à deux vaches de (gueules), accornées, accollées et clairinées d'(azur) (Béarn), au 3 de (gueules) à quatre otelles d'(argent) posées en sautoir (Comminges).
Timbre : crosse, mitre.
Tenant : deux griffons.
Attribution : Bonneval Foucauld de
Position : Inconnue
Pièce / Partie de l'édifice : Inconnue
Emplacement précis : Inconnu
Support armorié : Frise ; Relief
Structure actuelle de conservation : Soissons Musée ancienne abbaye Saint-Léger