Par de là le programme héraldique déployé sur sa façade, le plus grand nombre d’œuvres armoriées documentées dans la chapelle Saint-Yves est formé, comme pour la plupart des églises parisiennes, par les monuments funéraires qui jalonnaient l’édifice fondé en 1348. La réfection du pavage du chœur et du sanctuaire en 1766 (Grimault 1928, p. 101) et, trente ans plus tard, la démolition de l’édifice ont comporté la dispersion et la destruction de ce matériel. Ainsi, à la fin du siècle, Aubin-Louis Millin déplorait déjà le mauvais état de conservation ou la disparition de la plupart des plates tombes documentées par les dessins de François Roger de Gaignières un siècle auparavant (Millin 1792, p. 18).
Sans surprises, les monuments funéraires de la chapelle Saint-Yves – essentiellement des plates tombes – appartenaient à des bretons (Debary 2004), qui avaient eu une carrière de juristes et/ou de fonctionnaires de la cour. Ils dataient entre la fin du XIVe siècle et la fin du XVIe puisque, depuis la fondation de la chapelle, les membres de la confréries avaient l’autorisation d’enterrer à son intérieur les personnes qui en avaient fait la demande (Verlet 1999, p. 407). Parmi ces dalles funéraires, celles armoriées présentaient des caractéristiques tout à fait communes à celles produites à la même époque avec le portrait du défunt, représenté vivant et en prière, inséré dans une arcade dont les pilastres pouvaient être chargés de petites sculptures ou d’autres ornements. Selon la tradition, les armories qui accompagnaient le défunt (seulement une tombe double armoriée est connue : armoirie 11) et, en association à l’inscription, en permettaient l’identification étaient placées surtout dans la bordure aux quatre angles de la dalle (armoiries 1, 6, 10, 16, 17), alors que d’autres solutions utilisées régulièrement dans la sculpture de l’époque demeuraient un peu moins exploitées : au milieu des deux côtés de la dalle (armoiries 8, 9, 12) ; d’un côté et d’autre de la tête du défunt (armoiries 2, 7) ; dans les écoinçon de l’arcade encadrant le personnage (armoirie 3).
La dalle couvrant le monument funéraire de Jean de Keroullay († 1398) se signale par son iconographie et par l’aspect monumental de la structure dont elle faisait partie (Oxford, Bobleian Library, Gough drawings Gaignières 4, fol. 87 : Collecta). Placée dans le chœur de l’église et sur la droite du maître autel (côté évangile), elle était vraisemblablement inspirée aux tombeaux des docteurs produits en Italie à partir du début du XIVe siècle. Le juriste, qui avait légué tous ses biens à la confrérie (Deuffic 2013, passim) et avait fondée une messe pour le jour anniversaire de sa mort (Oxford, Bobleian Library, Gough drawings Gaignières 4, fol. 81 : Collecta), y était représenté dans l’acte d’enseigner à une petite foule disposée de l’autre côté d’une lice et qui le regardait avec vive attention. Assis sur une chaire haute, il lisait un livre posé sur un lutrin sur lequel était marqué « Veritate med[itabitur] guttur meum / et labia mea detestabuntur impium. Proverbium VIII° capitulo » (Millin 1792, p. 13). Une main divine apparaissait dans le haut de l’arcade, tenant une cartouche inscrite : « vobis datum est nosse mysterium regni Dei, caeteris autem in parabolis VIII° capitulo » (ibid.). Le sarcophage était adossé au mur nord du chœur, encadré d’une accolade sur laquelle s’appuyaient deux angelots portant les armes du défunt (armoiries 1a-b), qui étaient également représentés dans la partie supérieure de la dalle (armoiries 1c-d), incrustés probablement dans une autre pierre puisque l’un de ces derniers avait déjà disparu à la fin du XVIIIe siècle (Millin 1792, pl. 4). Cette plate tombe était accompagnée par d’autres du même type, comme celle d’Hervé Pochard, inhumé dans la nef en 1433 : le professeur était représenté pendant qu’il enseignait sur le fond d’une sorte d’abside vitrée et il était encadré par ses armes (armoiries 12a-b).
D’autres sépultures armoriées étaient disposées dans les trois travées du chœur. Près de la place du chantre, à la droite du pupitre, se trouvait la plate tombe d’Henry de Kerguiziau († 1489), maître ès arts et licencié en droit, procureur général du comte de Taillebourg (Oxford, Bodleain Library, Gough drawings Gaignières 4, fol. 77 : Collecta ; Millin 1792, p. 14) (armoiries 2a-b). Aux pieds des marches montant au maître autel était placée la tombe de Jean de Kernezne († 1416) (Gaignières, BnF, RESERVE PE-11-FOL, fol. 81 : Collecta), grand écuyer du duc de Bourgogne et maître d’écurie de Charles VI (armories 3a-c) : son armoirie, brisant les armes familiales par un lambel et qu’on connaît d’après un sceau attaché à un acte de 1409 (Sigilla), est représentée sur sa cotte d’armes et sur deux écussons sculptés de part et d’autre de la tête du défunt dans la partie supérieure de l’arcade trilobée qui l’encadre. À son côté gisait Alain Le Forestier « magister in artibus et licentiatus in decretis » (Oxford, Bodleian Library, Gough drawings Gaignières 4, fol. 83 : Collecta) : l’expression de son identité bretonne était confiée aux écus aux armes d’hermine sculptés aux quatre angles de la dalle (armoiries 4a-d), alors que les armes familiales étaient disposées d’un côté et d’autre de la tête du défunt (armoiries 5a-b). La tombe d’une femme, Jeanne de Budes († 1493), épouse de Jean de Launay, se trouvait sur le côté gauche du chœur, « le long des chaires » (Gaignières, BnF, RESERVE PE-11-FOL, f. 82 : Collecta) : elle présentait quatre écussons, gravés aux quatre coins de la dalle, portant l’armoirie de la dame, mi-partie vraisemblablement aux armes de son mari et de son père (armoiries 6a-d).
Un bon nombre d’individu était enterré devant la porte du chœur : une accumulation qui prouve la valeur symbolique de cet endroit de passage vers la zone la plus sacrée de l’édifice. On y trouvait les plates tombes d’Yvon de Kaeraubars († 1383), huissier d’armes du roi (Oxford, Bodleian Library, Gough drawings Gaignières 4, fol. 65 : Collecta ; Bibale) (armoiries 7a-b), d’Olivier de Kerneguez († 1411) (Oxford, Bodleian Library, Gough drawings Gaignières 4, fol. 68 : Collecta) (armoiries 8a-b), qui avait déjà perdu ses écussons armoriés à la fin du XVIIe siècle, de Guillaume Jourden († 1521) (Oxford, Bodleian Library, Gough drawings Gaignières 4, fol. 66 : Collecta) (armoiries 9a-c) et de Claude Arnoult (ou Arnoul) († 1550), notaire et greffier de la conservation des privilèges apostoliques de l’Université de Paris (Bouchot 1891, p. 100, num. 4496 ; Paris, BnF, dép. est. et photo., RESERVE PE-11-FOL, fol. 83 : Collecta). Ce dernier, posé sur le fond d’un arc en style Renaissance, était accompagné par une figure féminine, probablement sa fille (Gaignières, BnF, RESERVE PE-11-FOL, f. 83 : Collecta) (armoirie 10a-d). À noter, dans le tombeau de Guillaume Jourden, la présence des hermines qui remplissaient la surface contre laquelle était posé un des écus chargés de ses armes (armoirie 9a) : une présence qui renvoyait à son origine bretonne aussi bien qu’à sa fonction d’aumônier de reine Anne de Bretagne. De même, le chef adopté par Yvon de Kaeraubars semble faire reference aux origines du défunt, appliquant un lion issant sur un fond d’hermine (armoiries 7a-b), alors que les trois grelots pourraient avoir un lien avec l’une des charges qu’il avait couvert pendant sa vie. Dans les parages de la plate tombe de Claude Arnoult se trouvait également celle couvrant les sépultures de Robert Duré, alias Fortunatus ou Fortunat († 1527) – représenté en robe de docteur avec un chaperon d’hermine pour signifier sa qualité de licencié en droit –, et de sa mère Jeanne († 1513) (Oxford, Bodleian Library, Gough drawings Gaignières 4, fol. 56 : Collecta). Un seul écusson armorié, déjà très effacé à la fin du XVIIIe siècle (Millin 1792, p. 16), ornait la tombe (armoirie 11) : posé entre les deux portraits, il était accosté des initiales RF (pour Robert Fortunat ?) et présentait en chef une moucheture d’hermine – en référence aux origines bretonnes des défunts – accompagnée d’une grappe de raisin et d’une flamme.
Une série assez dense de tombeaux couvrait enfin le sol des trois travées de la nef de l’église, organisée sur plusieurs rangées. La sépulture armoriée d’Hervé Pochard (armoiries 12a-b) (Oxford, Bodleian Library, Gough drawings Gaignières 4, fol. 60 : Collecta) était accompagnée par celle d’Henri Ialec (ou Talec), prêtre et maître ès arts, située presqu’au milieu de la nef (Gaignières, BnF, RESERVE PE-11A-PET-FOL, f. 22 : Collecta) : mort en 1512, il avait fait accompagner ses armes (armoirie 13) par celles de Anne de Bretagne (un parti France-Bretagne) (armoirie 14), probablement pour signifier ses origines et sa dévotion à la reine. Au deuxième rang, la plate tombe du chevalier breton Yves de Coëtrédrez (Quoetredrez) († 1545) montrait le défunt, vêtu de son armure et d’une cotte d’armes peinte à son enseigne (répétée trois fois) (armoirie 15), sur le fond d’un fronton classique en compagnie d’un lion allongé à ses pieds, alors que dans le pourtour étaient sculptés quatre écussons écartelés aux armes des Coëtrédrez et des Charuel (Gaignières, BnF, RESERVE PE-11B-FOL, f. 114 : Collecta) (armoirie 16a-d). Sur la même file de cette dernière, dans les parages du tombeau de Robert Duré, était placée la plate tombe de Guillaume de Tyvarauten (de Ty Varlen) (Oxford, Bodleian Library, Gough drawings Gaignières 4, fol. 55 : Collecta), chanoine breton, conseiller du roi au parlement de Bretagne (Millin 1792, p. 17), qui portait une armorie écartelée, probablement aux armes de sa mère ou d’une autre aïeule (armoirie 17a-d).
L’église était en outre parsemée d’autres éléments héraldiques à l’instar du relief avec un écu penché timbré (armoirie 18), dont Millin nous offre l’image, malheureusement sans donner davantage des détails ni sur son emplacement, ni sur son identification (Millin 1792, p. 24 et pl. 4). Contre le mur sur de la nef se trouvait en revanche l’épitaphe de Florent Hamelin († 1510), greffier de l’officialité de Paris, et de sa femme Gillette Pinot († 1522) (Paris, BnF, dép. est. et photo, RESERVE PE-11B-FOL : Collecta), dont les armoiries étaient représentées dans la marge inferieure de l’inscription, de part et d’autre de la représentation d’un corps en putrefaction : suivant la convention, celles du mari étaient à dextre (armoirie 19), celle de la femme à senestre (armoirie 20). « Au pied des marches du sanctuaire de l’église » se trouvait également la plate tombe, extrêmement simple, de Jean de Lespinay († 1517), qui avait été trésorier general de Bretagne (Oxford, Bodleian Library, Gough drawings Gaignières 4, fol. 85 : Collecta). Seul un écusson à ses armes parlantes (trois roses épineuses ou trois buissons d’épines) figurait sur la dalle (armoirie 21), surmonté d’un cœur et accompagnant un phylactère portant le texte de l’épitaphe, le tout encadré dans une bordure orné de cordelières.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Paris, chapelle Saint-Yves (sépultures), https://armma.saprat.fr/monument/paris-chapelle-saint-yves-sepultures/, consulté
le 19/07/2025.
Bibliographie études
Bouchot, Henri, Inventaire des dessins exécutés pour Roger de Gaignières, t. 2, Paris, Librairie Plon, 1891..
Debary, Michel, « Le culte de saint Yves à Paris », dans J.Ch. Cassard, G. Provost (dir.), Saint Yves et le Breton, Rennes 2004, p. 53-60.
Deuffic, Jean-Luc, « Du Léon en Anjou, le singulier destin des Keroullay (XIVe-XVe siècle) », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 141, 2013, p. 263-294.
Lebeuf, Jean, Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris, t. 2, Paris 18642.
Millin,Aubin-Louis, Antiquités nationales ou recueil de monuments pour servir à l’histoire générale et particulière de l’empire françois, t. 4, Paris 1792.
Roques, Mario, « Une inscription parisienne de 1352 », Romania, 59, 1933, p. 276-277.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Paris, chapelle Saint-Yves (sépultures). Armoirie de Keroullay (armoirie 1a)
Losangé d'(argent ?) et de (sable ?), au chef d'(argent ?) chargé d’un lion passant de (sable ?).
Attribution : Keroulay, Jean de
Tenants / Supports : Un ange
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chœur
Emplacement précis : Enfeu ; Mur nord ; Sépulture
Support armorié : Accolade ; Monument funéraire
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Écartelé : aux 1 et 4, de… à un croissant de… ; aux 2 et 3 de… au macle de… au sautoir de… brochant sur le tout ; à l’écusson en cœur écartelé de… à l’aigle bicéphale de…
Attribution : Jourdain (Jourden), Guillaume
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chœur ; Nef
Emplacement précis : Porte ; Sol ; Sépulture
Support armorié : Plate-tombe
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Écartelé : aux 1 et 4, de… au croissant de… ; aux 2 et 3 de… au macle de… au sautoir de… brochant sur le tout ; à l’écusson en cœur écartelé de… à l’aigle bicéphale de…
Attribution : Jourdain (Jourden), Guillaume
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chœur ; Nef
Emplacement précis : Porte ; Sol ; Sépulture
Support armorié : Plate-tombe
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Écartelé : aux 1 et 4, de… au croissant de… ; aux 2 et 3 de… au macle de… au sautoir de… brochant sur le tout ; à l’écusson en cœur écartelé de… à l’aigle bicéphale de…
Attribution : Jourdain (Jourden), Guillaume
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chœur ; Nef
Emplacement précis : Porte ; Sol ; Sépulture
Support armorié : Plate-tombe
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Paris, chapelle Saint-Yves (sépultures). Armoirie Robert Duré (armoirie 11)
De … au pont de trois arches de …, posé sur une rivière de … accompagné en chef d’une moucheture d’hermine accostée d’une grappe de raisin et d’une flamme.
Attribution : Duré, Robert
Devise : Lettres RF.
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chœur ; Nef
Emplacement précis : Porte ; Sol ; Sépulture
Support armorié : Plate-tombe
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
Mi-parti : au 1, de… au chevron de… accompagné de trois hures de sanglier contournées de… au chef de… chargé de trois quintefeuilles de…, à la bordure engrêlée de… (Hamelin) ; au 2, écartelé : aux 1 et 4, de… au chevron de… chargé de trois trelfes de… et accompagné de trois quintefeuilles de… ; aux 2 et 3, de…
Attribution : Pinot Gillette
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Nef
Emplacement précis : Mur sud
Support armorié : Epitaphe
Structure actuelle de conservation : Pièce disparue
