Paris, couvent des Blancs-Manteaux (église, tombeaux Raguier)
Parmi les sépultures documentées dans le couvent des Blancs-Manteaux par les relevés réalisés à la fin du XVIIe siècle par Louis Boudan pour la collection de Roger de Gaignières, celles des Raguier, famille parisienne impliquée dans les Finances (Moranville 1890, p. 415-419 ; Bozzolo-Loyau 1995, p. 37-38), méritent une attention particulière. L’enfeu contenant les corps d’Hémon Raguier († 1433) et de sa femme Gillette de la Fontaine († 1404) et un caveau timbré par les armes de la même famille se trouvaient, l’un à côté de l’autre, sur le mur nord de la nef de l’église rasée à la fin du XVIIe siècle. Ils étaient placés en proximité de la chapelle Notre-Dame, vraisemblablement dans l’espace compris entre celle-ci et la chaire à prêcher (armoiries 7-8).
Le premier tombeau fut réalisé sur commande d’Hémon Raguier pour abriter, dans l’immédiat, la dépouille de sa première femme Gillette de la Fontaine, morte en 1404, et, à l’avenir, la sienne (Gaignières, BnF, Est. Reserve Pe-11-1-Pet. fol.). En effet, si la plaque gravée refermant le sarcophage porte les portraits de Gillette et d’Hémon, seulement le nom de la femme apparaît dans l’inscription qui fut gravée sur la bordure du couvercle : « Cy gist damoiselle Gillette de La Fontaine, feu(e) femme de sire Hémon Raguier, thresorier des guerres du Roy nostre sire et conseillier de la Royne, laquelle trespassa le XIXe / jour de septembre l’an Mil CCCC et IIII. Priez Dieu pour son ame » (Raunié 1893, p. 68). En revanche, d’après le dessin de Boudan, ce sont les premières armoiries d’Hémon Raguier (une brisure de l’armoirie familiale, avec l’ajoute d’une bordure engrêlée) qui étaient reproduites, quatre fois, d’un côté et d’autre de la tête des portraits des deux défunts (armoirie 7a-d). D’ailleurs, le tombeau fut sans doute réalisé avant le 17 septembre 1408, date à laquelle Hémon Raguier « considerans la grant devotion que […] a eue et a en ladicte eglise, en laquelle il a esleu sa sepulture, et en icelle est inhumée Gille de la Fontaine » obtient la célébration d’une messe quotidienne « en ladicte chappelle de Nostre Dame, à l’autel qui est à main dextre du Crucifix » (Raunié 1893, p. 68, n. 1). Il est plausible que la table en pierre inscrite fixée à l’intérieur de l’enfeu, sur le mur gauche, portait donc le texte de cet acte ou de celui de fondation de la chapelle (nous ne gardons aucune transcription de cet écriteau).
L’épigraphie nous permet toutefois d’apprendre qu’une quarantaine d’années plus tard la dépouille d’Hémon Raguier rejoignit effectivement celle de sa première femme. En 1447 les fils d’Hémon firent ramener à Paris le corps de leur père, qui avait été enterré dans l’église des Carmes de Tours, ville où il était mort le 2 novembre 1433 (se refusant d’appliquer les clauses du Traité de Troyes, Hémon avait suivi le futur Charles VII qui le nomma trésorier des guerres : Contamine 2017). Un deuxième dessin de Boudan documente ainsi la plaque en cuivre portant l’inscription qui célébrait cette translation. Elle était fixée à un des pieds-droits encadrant l’enfeu qu’Hémon avait fait réaliser avant 1408 (Gaignières, Oxford : Raunier 1893, p. 69 ; Buchot 1891, t. 1, p. 433, num. 3333). Le pilier prismatique avait été sectionné à mi-hauteur pour permettre d’accrocher l’inscription (dont le texte est transcrit par Raunié 1893, p. 68) au mur (Gaignières, BnF, Est. Reserve Pe-11-1-Pet. fol.).
Un deuxième monument funéraire est également visible dans la planche de Gaignières reproduisant l’inscription réalisée lors de l’enterrement d’Hémon Raguier. Encadré par une arcade aveugle ornée de feuilles charnues et retombant sur des colonnettes posées sur des bases prismatiques, un caveau, destiné vraisemblablement à loger deux corps, était timbré par un écu aux armes Raguier, brisées par une bordure engrêlée (armoirie 2). A défaut d’autres documents, l’identification de cette armoirie demeure difficile. Il pourrait évidemment s’agir de l’armoirie d’Hémon Raguier qui, nous venons de le voir, utilisa ces armes avant d’adopter celles pleines de la famille, mais brisées par une coquille en pointe, comme l’indique un sceau attaché à un acte de 1414 (Sigilla) (la bordure pouvait signaler son statut de cadet, Hemon ayant eu un frère plus âgé que lui, comme nous le suggère Jean-Luc Liez). L’armoirie aux quatre perdrix et à la bordure engrêlée fut également utilisée par son fils Antoine, né de son deuxième mariage, qui hérita ses biens et sa charge de trésorier des guerres du roi (Contamine 2017), comme le documente le chapiteau conservé au Musée Carnavalet. Il est d’ailleurs plausible que ce dernier ait élu sa sépulture dans une église qui célébrait déjà la gloire de sa famille et qui se trouvait dans le quartier où il résidait.
Enfeu d’Antoine Raguier et Jacquette Budé. Paris, église des Blancs-Manteaux (Raunié 1893, p. 69).
Cette deuxième hypothèse demeure pourtant peu probable. On remarquera que ce deuxième tombeau était surmonté par un bas-relief (ou une peinture murale) présentant une femme et un homme, richement habillés et en prière, accompagnés par une sainte couronnée. La reproduction de Boudan est très sommaire et ne peut pas faire office de preuve. Nous noterons toutefois que les visages des deux personnages (l’homme visiblement plus âgé que la femme) sont très proches de ceux gravés sur la plaque renfermant le sarcophage dans l’enfeu. Il est donc possible, à notre avis, que le couple représenté doit être identifié avec Gillette de la Fontaine et Hémon Raguier, auquel aura par conséquent appartenu aussi l’écusson sculpté un peu plus en bas (armoirie 8).
Tel investissement de la part des Raguier dans l’église des Blancs-Manteaux ne peut pas surprendre si l’on considère que Hémon Raguier, qui avait été anobli en 1404, possédait déjà en 1413 une maison située entre l’ancienne rue du Paradis et celle des Blancs-Manteaux (Sallier 1896, p. 192 ; Willesme 1979, p. 46), qui lui fut confisquée, avec ses autres biens immobiliers (trois maisons en rue de Paradis et une dans la Vieille-rue-du-Temple), en 1423 par les Anglais (Sallier 1896, p. 193).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Paris, couvent des Blancs-Manteaux (église, tombeaux Raguier), https://armma.saprat.fr/monument/paris-couvent-des-blancs-manteaux-eglise-tombeaux-raguier/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie études
Bouchot, Henri, Inventaire des dessins exécutés pour Roger de Gaignières, Paris, Librairie Plon, 1891 (t. 1, t. 2).
Bozzolo, Clara, Loyau, Hélène, « Des hommes et des armoiries : l’apport de la Cour amoureuse », Revue française d’héraldique et de sigillographie, 65, 1995, p. 33-49.
Contamine, Philippe, Charles VII. Une vie, une politique, Paris, Perrin, 2017.
Moranville, Henri, « Le songe véritable. Pamphlet politique d’un parisien du XVe siècle », Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, 17, 1890, 217-438.
Raunié, Emile, Epitaphier du Vieux Paris, t. 2. Bernardin – Charonne, Paris 1893.
Sallier, Charles, « Le chapiteau d’Antoine Raguier et ses maisons de la rue des Blancs-Manteaux », Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, 23, 1896, p. 190-198.
Willesme Jean-Pierre, Catalogues d’art et d’histoire du Musée Carnavalet, I. Sculptures médiévales (XIIe siècle-début du XVIe siècle), Paris 1979.