Bâtie à l’époque romane sur un édifice plus ancien, l’église Notre-Dame-de-l’Incarnation est citée la première fois dans un acte de pape Lucius III en 1184 parmi les dépendances de l’abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe. Elle est formée d’une seule nef recouverte d’une voûte charpentée, qui devait se terminer en trois chapelles absidales, détruites par la suite pour créer un chœur plus ample au début du XVème siècle. Ce dernier se compose de deux travées voûtées sur croisées d’ogives, retombant sur des culs-de-lampe ornés de feuillages et de têtes humaines. La chapelle absidale est éclairée par une grande baie, placé sur l’axe central de l’édifice.
Antigny, Notre-Dame, nef (vue vers le chœur).
Ces travaux durent s’achever avant les années 1420. En effet, par testament daté du 13 novembre 1421, Renaud de Montéon (Mautléon), écuyer et seigneur de Boismorand, et sa femme, Maresillie de Saint-Laurent, affirment de vouloir être enterrés dans l’église Notre-Dame d’Antigy et commandent la construction d’une chapelle, sous le vocable de sainte Catherine, sur le cimetière d’Antigny, « au lieu et place où sont les sépultures de Boismorand et par-dessus lesdites sépultures » (Ginot 1929, p.475, note 86; Crozet 1942, p. 103, doc. 419). La construction de la chapelle, attenante au chœur de l’église, ne dut pas tarder beaucoup de temps après la mort de Renaud en novembre 1422 (Ginot 1929, p. 476). Nous pouvons supposer que les armes des Montléon (de gueules au lion passant d’argent) y étaient représentées, de façon d’attester l’identité des détenteurs des droits de patronage sur la chapelle. Il est plausible qu’elles étaient reproduites sur les écussons encastrés, à l’extérieur de l’édifice (armoirie 1), au-dessus de la porte qui donne aujourd’hui sur le porche attenant le coté sur de l’église, mais qui aurait pu avoir été remployée dans cet emplacement dans un deuxième temps. De même, à la première phase de construction pourrait appartenir l’écu sculpté, à l’intérieur de la chapelle, sur la clef de la baie gothique ouverte sur le côté ouest (armoirie 2).
Antigny, Notre-Dame, détail de la baie gothique ouverte sur le mur ouest.
En effet, leur forme conviendrait parfaitement à une datation à la première moitié du XVème siècle. Malheureusement aucune trace d’armorie n’est plus visible sur les deux écus, qui semblent avoir été soigneusement grattés : seulement une couche rougeâtre paraît couvrir l’écusson sculpté sur la fenêtre, ce qui pourrait confirmer la présence originelle des armes de Montléon (Mauléon).
À son intérieur, la chapelle est entièrement couverte de peintures murales, issues d’une seule campagne picturale promue par Jean de Moussy entre 1475-1480 et 1490 (Salvini 1939-41, p. 98 ; mais Landry-Delcroix 2012, p. 231 avance avec prudence l’hypothèse que les peintures furent réalisées pour Louis Eustache de Moussy, fils ainé de Jean, qui en 1501 avait reçu de son père la seigneurie de Boismorand et qui en 1507 élut sa sépulture dans l’église proche de Jouet). Restaurées en 1986, elles représentant des scènes de l’Enfance et de la Passion du Christ, de saints et la Rencontredes trois vifs et des trois morts (Landry-Delcroix 2012, p. 230). Les nombreuses armoiries qui les jalonnent certifient de la réalisation plus tardive des peintures murales, déjà reconnue par leur style, et documentent l’identité de leur commanditaire. Nous y reconnaissons les armes de Jean de Moussy qui, en 1470, avait acheté la seigneurie de Boismorand et, donc, acquis les droits sur la chapelle (Salvini 1939-1941, p. 97-100). Il portait d’or au chef de gueules chargé d’un lion passant d’argent, comme l’on voit distinctement sur l’écu sculpté en saillie sur l’arc d’accès à la chapelle (armoirie 3a). On notera que le lion est placé sur une sorte d’appui horizontal, qui n’a aucune valeur héraldique : s’agissait-t-il d’un expédient nécessaire à adapter une armoirie préexistante ? À l’intérieur de la chapelle, les armoiries, présentant toutes la même forme avec la pointe arrondie, paraissent se concentrer en correspondance des éléments architecturaux structurant l’espace ou dans les emplacements les plus représentatifs du point de vue symbolique. C’est le cas de deux écus disposés d’un coté et d’autre de l’embrasure de la baie occidentale (armoiries 3b-c), condamnée lors de la construction, dans le prolongement de la chapelle Sainte-Catherine, de la chapelle de Saint-Jean, bâtie par Eustache de Moussy, neveu de Jean (Landry-Delcroix 2012, p. 230).
Antigny, Notre-Dame, chapelle Sainte-Catherine, arc avec palimpseste héraldique.
Le même discours pourrait valoir pour l’armoirie peinte en haut de la fenêtre carrée sur le coté sud de la chapelle (mais à dextre de l’autel et en axe avec l’arc d’accès) (armoirie 3d), inscrite d’ailleurs dans une sorte de clef d’arc. Une série de sept écus (armories 3e-m) est finalement disposée tout au long de l’arcade qui met en communication la travée orientale de la chapelle avec celle correspondante du chœur. Une deuxième série d’écussons (armoirie 4) vint se superposer partiellement à cette dernière : un parti avec les armes de Moussy en premier, qui pourraient bien avoir appartenu à la femme du commanditaire des travaux – mais il ne s’agit pas des armes d’Antoinette Gavarret qui avait épousée en 1448 (Beauchet-Filleau 1909, p. 9) – ou à un de ses descendants. Le tout fut couvert par la suite par une litre funéraire (il pourrait s’agir de la litre des D’Aloigny, seigneurs de Boismorand signalée par Beauchet-Filleau 1891, p. 52). La chapelle dans son entier proclame d’ailleurs l’identité de ses patrons. Les couleurs de l’armoirie des Moussy sont en effet reprises à la fois dans la tenture qui orne la partie inférieure de la chapelle, alternant justement une bande rouge et une jaune, et dans le faux appareillage bicolore qui en souligne les éléments architecturaux (arcs, baies etc.).
Comme il arrive habituellement, la représentation héraldique se fait plus complexe en proximité de l’autel de la chapelle, tout en assumant une dimension bien plus personnelle. L’écu armorié est en effet ici accompagné par le cimier, le lambrequin et le tenant, des éléments para-héraldique tous censés de personnaliser l’armoirie familiale et d’attester donc l’identité individuelle de leur porteur. Au-dessus de l’autel, entre l’arc de la fenêtre et le Christ en majesté, nous distinguons à peine le contour d’un écu penché timbré (armoirie 3f), une solution à la mode au XIVème-XVème siècle censée mettre en exergue l’identité chevaleresque de la personne.
Armoirie de Jean de Moussy tenue par un homme sauvage. Antigny, Notre-Dame, chapelle Sainte-Catherine.
Malheureusement, l’état de conservation de la peinture ne permet pas de bien distinguer l’heaume qui surmontait l’écu et le cimier éventuel, mais l’on distingue encore bien le lambrequin qui l’accompagne. À la dextre de l’autel, en revanche, nous trouvons une représentation plus complète. Toute la panoplie héraldique du commanditaire se dirait invitée (armoirie 3o) : un homme sauvage, en fonction de tenant, porte dans ses mains un écu aux armes des Moussy et un heaume orné d’une paire d’ailes dorées (une tête – d’animal ? – paraît s’hisser à leur milieu) ; une courroie lie le bouclier au casque.
D’autres écus armoriés apparaissent encore à d’autres endroits de l’église, mais leur lecture n’est pas toujours aisée. Si les trois écussons, dont le premier écartelé (signalé déjà par Salvini 1939-1941, p. 115), peints sur l’intrados de la première arcade de la chapelle Sainte-Catherine appartiennent surement à une phase plus tardive (l’écu carré avec une pointe en accolade ne se trouve pas avant le XVIIème siècle), les traces d’autres écus, peut-être contemporaines à ceux reproduits dans la chapelle, sont visibles sur les contreforts qui soutiennent l’arc triomphal. Notamment, un grand écu très délabré (armoirie 5) est visible sur la face occidentale du pilier sud. Très endommagé et partiellement repeint, il pourrait reproduire la même armoirie peinte sur l’arcade interne de la chapelle, mais à l’inverse : le parti aurait pu en effet porter à senestre les armes des Moussy (on reconnaît un chef de gueules), tandis qu’à dextre on voit de gueules (plein ?). Dans la nef des fragments d’une litre funéraire sont également visibles.
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Antigny, église Notre-Dame-de-l’Incarnation, https://armma.saprat.fr/monument/eglise-notre-dame-de-lincarnation-antigny/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
R. Crozet, Textes et documents relatifs à l’histoire des arts en Poitou (Moyen Âge – Début de la Renaissance), Poitiers 1942.
Bibliographie études
H. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. 1, Poitiers 1891.
H. Beauchet-Filleau, P. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. 4, Poitiers 1909.
E. Ginot, « Note sur les cimetières antiques du Poitou et leurs sarcophages superposés », dans Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 3e s., 8, 1929, p. 475 ;
J. Salvini, « Les ensembles décoratifs dans le diocèse de Poitiers entre la guerre de cent ans et les guerres de religion », dans Bulletins de la Societé des Antiquaires de l’Ouest, 3e s., 1939-1941, p. 95-125.
Le patrimoine des communes de la Vienne, sous la dir. de A. Guihéneuc, R. Toulouse, Paris 2002, p. 928-929.
C. Landry-Delcroix, La peinture murale gothique en Poitou, XIIIe-XVe siècle, Rennes 2012.