Située dans le secteur septentrional de la ville médiévale, l’église Saint-Cybard fut construite à la fin du XIIe siècle (Foucart 1840, p. 100). Saccagée par les Anglais, elle fut reconstruite vers 1475 et reçu le statut de paroisse (Brothier de Rollière 1907, p. 320). Encore préservée en 1840, lorsqu’elle servait de gymnase (ibid.), cette église fut presque totalement détruite en 1853 (Poitiers, Musée Sainte-Croix, Catalogue Mauduyt Antiquité 1856, p. 17, n. 138).
Poitiers, Archives départementales, Cadastre Napoléonien, Poitiers section L, f. 2.
Seul un de ses bas-côtés fut épargné, tandis que des fragments sculptés provenant des parties détruites furent déposés dans les collections municipales. En 1856, leur catalogue mentionne en effet une dizaine de pièces provenant de l’église Saint-Cybard : cinq modillons romans ; une clef de voûte et une clef d’arceau portant un écusson chargé d’un lion, de trois roses et d’un roc d’échiquier ; un autre écusson chargé d’un chevron et de trois merlettes ; trois larges culs-de-lampe à feuille large (Poitiers, Musée Sainte-Croix, Catalogue Mauduyt Antiquité 1856, p. 17, n. 138).
Même si la description fournie par le registre reste très succincte, il est possible d’identifier les pièces héraldiques mentionnées dans le catalogue parmi celles actuellement conservées dans les dépôts du Musée Sainte-Croix (dépôt Rupert de Chièvres) et dans la collection lapidaire de l’Université de Poitiers. Une armoirie tout à fait semblable à celle décrite dans l’inventaire est en effet reproduite sur deux clefs d’arcade déposées dans la cour de l’Hôtel Fumé (armoiries 2, 3) probablement à l’époque de l’installation de l’Université dans l’édifice (1922; Crozet 1934, p. 21 mentionne un « petit musée lapidaire » placé sous la galerie donnant sur la cour). Nous y reconnaissons l’armoirie des Rogier, famille éminente de la noblesse poitevine qui donna plusieurs maires à la ville et qui portait d’argent au lion passant de sable, accompagné de trois roses de gueules boutonnées d’or (Thibaudeau 1840, p. 392). Tout à fait identiques par dimensions et aspect – voir notamment la forme des moulures qui parcourent la pièce – les deux fragments proviennent sans aucun doute du même contexte architectural. Il est donc probable qu’ils doivent être identifiés avec les deux fragments recensés en 1856 : de toute évidence, l’auteur avait pris une clef d’arc pour une clef de voûte. D’ailleurs, l’hypothèse de la provenance des deux fragments d’un même ensemble est renforcée par la disposition du lion dans un des deux écussons (armoirie 2), contourné par courtoisie : à l’origine les deux animaux devaient regarder dans la même direction, par exemple vers l’autel d’une chapelle (les clefs d’arc auraient donc pu appartenir aux arcs formerets d’une chapelle seigneuriale). En effet, les Rogier possédaient une chapelle familiale dans l’église Saint-Cybard, dans laquelle fut inhumé, en 1596, Louis Rogier, seigneur de Marigny, jadis conseiller de la sénéchaussée de Poitiers et doyen de l’église (Thibaudeau 1840, p. 445-446).
Clef-de-voûte aux armes de Jean Rogier de Marigny, détail. Poitiers, depot Musée Sainte-Croix (de l’église Saint-Cybard).
La belle clef de voûte ornée d’un écu (25 cm de haut) (armoirie 1) au lion passant accompagné de trois roses boutonnées, deux en chef et une en pointe, chargé au canton dextre d’un roc d’échiquier ou, plutôt, d’un matras, pourrait venir du même contexte. L’armorie, qui correspond à celle de Jean Rogier de Marigny maire de Poitiers en 1527 (Thibaudeau 1840, p. 392), est soutenue par deux vigoureux lions sculptés en ronde bosse et caractérisés par une crinière abondante, travaillée au trépan, et des pattes longues et maigres. S’il est difficile de l’identifier avec la clef de voûte mentionnée en 1856 – pourquoi l’auteur du catalogue aurait-il passé sous silence la présence de deux tenants si remarquables ? – cette pièce est probablement la même qui apparaît dans le catalogue manuscrit des collections municipales dressé en 1892 (Poitiers, Musée Sainte-Croix, Catalogue minutes/Inventaire Sandoz année 1892, n. 892.2.22): « clef de voûte flamboyante des 4 départs de nervures sur deux desquelles sont placés deux lions qui portent un écusson décoré lui aussi d’un petit lion ». Le catalogue ne précise pas la provenance de la clef de voûte, mais il est plausible qu’elle appartienne au même ensemble des deux clefs d’arc susmentionnées.
Clef d’arc aux armes des Rogier. Poitiers, dépôt Musée Sainte-Croix (de l’église Saint-Cybard).
Comme d’autres paroisses de la ville de Poitiers, l’église contenait d’autres chapelles seigneuriales et d’autres sépultures privilégiées (Thibaudeau 1840, p. 411, 425, 447, 450). Parmi les fragments récupérés de Saint-Cybard, le catalogue de 1856 mentionne un troisième écusson « chargé d’un chevron et de trois merlettes » (Poitiers, Musée Sainte-Croix, Catalogue Mauduyt Antiquité 1856, p. 17, n. 138) (armoirie 4). Les armes décrites correspondent à celles des Boilève qui portaient d’azur – ou plutôt d’argent, d’après l’armorial des maires et des échevins de Poitiers (Paris, BnF, ms. Fr. 20084, f. 48) – au chevron de gueules, accompagné de trois merlettes de sable, deux en chef et une en pointe (Beauchet-Filleau 1891, t. 1, p. 578 ; Eygun 1938, p. 328, num. 1037, Yves Boylève an 1494). En effet, une pierre tombale en chevalet qu’une inscription en lettres gothiques déclare appartenir à la sépulture de Jean Boilève, seigneur de la Motte, mort en 1493 (Ménard 1854, p. 68, num. 161 ; Brouillet 1885, p. 304, num. 4081 ; Longuemar 1863, p. 255 num. 137) provient également de l’église Saint-Cybard. La pièce – à ne pas confondre avec le sarcophage d’un autre Boilève trouvé en 1863 près de l’église Notre-Dame-la-Grande et actuellement conservé dans la chapelle de l’Echevinage (Brouillet 1886, p. 304, num. 4081 ; Longuemar 1863, p. 254, num. 136) – entra dans les collections municipales en 1853, en même temps que les fragments héraldiques susmentionnés (Ménard 1854, p. 68, num. 161).
Fragment aux armes des Boilève. Poitiers, dépôt Musée Sainte-Croix (de l’église Saint-Cybard).
Même si la description donnée en 1856 est encore une fois très sommaire, nous ne doutons pas que la pièce mentionnée par le catalogue soit à identifier avec un des deux éléments ornés d’un écusson aux armes Boilève – mais avec une étoile en chef – conservés dans les réserves du Musée Sainte-Croix. Le fragment, qui pourrait dater de la fin du XVe siècle ou du début du XVIe, est accompagné encore une fois par une pierre « jumelle » qui appartenait sans doute au même ensemble (armoirie 5).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Poitiers, église Saint-Cybard, https://armma.saprat.fr/monument/eglise-saint-cybard-poitiers/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Poitiers, Archives départementales, Cadastre Napoléonien, Poitiers section L, f. 2.
E.-V. Foucart, « Poitiers et ses monuments », dans Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 1, 7, 1840, p. 103-202.
A.-R.-H.Thibaudeau, Histoire du Poitou. Nouvelle édition continuée jusqu’en 1789, III, 1840 Niort.
Ménard, Catalogue explicatif du Musée des Antiquités de l’Ouest, Poitiers 1854.
A. le Touzé de Longuemar, « Epigraphie du Haut-Poitou », dans Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 1, t. 28, 1863, p. 43-399.
A. Brouillet, Notice des tableaux, dessins, gravures, statues, objets d’art anciens et modernes, curiosités, etc. composant les collections de la ville de Poitiers, IIème partie, Poitiers 1886.
H. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. 1, Poitiers 1891.
R. Brothier de Rollière, Guide du Voyageur à Poitiers et histoire des rues de Poitiers, Poitiers 1907 (éd. cons. Poitiers 1988).
R. Crozet, « La faculté à l’hôtel Fumé », dans La Grand’Goule, 32, 1934, p. 12-22.
F. Eygun, Sigillographie du Poitou jusqu’en 1515, Poitiers 1938.
Photographies du monument
Armoiries répertoriées dans ce monument
Poitiers, église Saint-Cybard. Armoirie Jean Rogier (armoirie 1)
D'(argent) au lion passant de (sable), accompagné de trois roses de (gueules boutonnées d’or), disposées 2 et 1 (Rogier), et d’un matras de … au premier canton.
Attribution : Rogier, famille ; Rogier, Jean
Tenants / Supports : Deux lions
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chapelle
Emplacement précis : Voûte
Support armorié : Clef de voûte
Structure actuelle de conservation : Poitiers, Musée Sainte-Croix, réserves
D'(argent) au lion passant de (sable), accompagné de trois roses de (gueules boutonnées d’or), disposées 2 et 1 et d’un roc d’échiquier de… au premier canton.
Attribution : Rogier, famille
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chapelle
Emplacement précis : Arc formeret
Support armorié : Clef d'arc
Structure actuelle de conservation : Poitiers, Hotel Fumé MSHA
D'(argent) au lion passant de (sable), accompagné de trois roses de (gueules boutonnées d’or), disposées 2 et 1 (Rogier), et d’un roc d’échiquier de… au premier canton.
Attribution : Rogier, famille
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chapelle
Emplacement précis : Arc formeret
Support armorié : Clef d'arc
Structure actuelle de conservation : Poitiers, Hotel Fumé MSHA
D'(argent ou d’azur ?) au chevron de (gueules), accompagné de trois merlettes de (sable), deux en chef et une en pointe, à une étoile de cinq rais de… au premier canton.
Attribution : Boilève, famille
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Inconnue
Emplacement précis : Inconnu
Support armorié : Pilastre
Structure actuelle de conservation : Poitiers, Musée Sainte-Croix, réserves
D'(argent ou d’azur ?) au chevron de (gueules), accompagné de trois merlettes de (sable), deux en chef et une en pointe, à une étoile à cinque rais de… au premier canton.
Attribution : Boilève, famille
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Inconnue
Emplacement précis : Inconnu
Support armorié : Pilastre
Structure actuelle de conservation : Poitiers, Musée Sainte-Croix, réserves