Placée dans le secteur nord de la ville de Poitiers, au carrefour entre l’actuelle rue Sainte-Opportune et celle des Gaillards, l’église paroissiale de Sainte-Opportune (« parochia Sanctae Opportunae Pictavensis » ) est mentionnée pour la première fois en 1247 (Favreau 1978, p. 54, note 220) puis dans des actes du début du XIVe siècles (Beauchet-Filleau 1868, p. 353 : année 1323 ; Ledain 1885, p. 337 : année 1335). L’édifice fut probablement rénové au XIVe siècle car une chapelle y fut construite vers 1335 (Crozet 1942, p. 88, doc. 303). Il fut ensuite à nouveau agrandi vers 1446 par les soins de Jean Barbe, avocat du roi en Poitou (Ledain 1885, p. 337-338 ; Favreau 1978, p. 418, 521), qui y fit ajouter une chapelle familiale dédiée à Saint-Christophe (Favreau 1978, p. 539, note 539). Après avoir été longtemps le siège des actes de la faculté de théologie (Favreau 1978, p. 384), il fut presque entierement demoli en 1853 (Bonsergent 1856, p. 2, note 1) : il n’en reste qu’une chapelle latérale, intégrée dans des habitations plus récentes.
Clef-de-voûte aux armes de Joachim Tudert. Poitiers, Hotel Fumé (de l’église Sainte-Opportune).
Toutefois, comme pour d’autres édifices religieux du centre-ville, une partie des éléments ornementaux de l’église furent sauvegardés et versés dans les collections municipales. Alphonse de Longuemar atteste notamment que l’église Sainte-Opporunte avait fourni au musée « les écussons des familles de Tudert et de Gazeau » (Longuemar 1859-1861, p. 224), provenant de la voûte des petites chapelles qui s’ouvraient sur le coté droit de la nef (Bonsergent 1856, p. 2, note 1). Le don des deux clefs-de-voûte fut fait en 1853 par M. Courbe, propriétaire des restes de l’église, sollicité par Florimon Bonsergent (ibid., p. 2) . Un écu aux armes des Tudert est d’ailleurs à nouveau mentionné dans les collections du Musée de Poitiers en 1897 (Ledain 1897, p. 481).
Les armes des deux familles sont en effet reconnaissables sur deux clefs-de-voûte héraldiques présentant toutes deux un même parti décoratif autour de l’écu, l’une conservée dans les dépôts du Musée Sainte-Croix (armoirie 1), l’autre déposée dans la cour de l’Hôtel Fumé, toujours à Poitiers (8, rue René Descartes) (armoirie 2), où elle dut arriver à l’époque de l’installation de l’Université de Poitiers dans l’édifice (1922). Elle pourrait avoir fait partie du « petit musée lapidaire », placé sous la galerie donnant sur la cour, décrit par Crozet en 1934 (Crozet 1934, p. 21). La première (armoirie 1) (21×18 cm) porte une armoirie qui peut être facilement confondue avec celle de la famille Gazeau, qui portait d’azur au chevron d’or accompagné par 3 trèfles du même, disposés deux en chef et un en pointe (Beauchet-Filleau 1900, t. 4, p. 17). Pourtant, à une analyse plus attentive, on remarque que les meubles semblables à des trèfles sont en réalité des pierres en forme trilobée. Il s’agirait donc plutôt des armes de la famille poitevine de Chaillé, qui portait d’azur au chevron d’or accompagné par de trois cailloux (chails) de même ou bien de neuf chails posés trois par trois, dont six en chef et trois enpointe, comme on le voyait sur une dalle funéraire jadis dans l’église des Cordeliers(Beauchet-Filleau 1895, p. 210). On rappellera en effet que Jeanne Rideau, femme de André Chaillé, fut inhumée le 15 avril 1538 dans l’église Sainte-Opportune et, surtout, que leur fille Mairie avait épousé, vers 1494, Joachim Toudert (ibid.).
Clef-de-voûte aux armes des Chaillé. Poitiers, réserves du Musée Sainte-Croix (de l’église Sainte-Opportune).
Les armes de ce dernier – et non celles d’un de ses ancêtres (Brillaud et alii 1995, p. 32) – apparaissent sur la seconde clef de voûte (armoirie 2) (20×17 cm). Maire de Poitiers en 1498 (Paris, BnF, Ms. Fr. 20157, f. 172v), il écartelait l’armoirie des Tudert (d’or à deux losanges ou macles d’azur, au chef d’azur chargé de trois besants d’or) avec une autre « d’argent au chef émanché de trois pièces de gueules » (Thibaudeau 1840, p. 385), dans laquelle il faut reconnaître les armes des Champdeniers (ou Chandenier) (Beauchet-Filleau 1895, t. 2, p. 228). Joachim écartelait donc les armes de son père – Jean Tudert, nommé en 1452 premier président du parlement de Bordeaux par Louis XI – avec celles de sa mère Catherine Champdeniers, de laquelle il hérita le titre de seigneur de la Barre-Pauvreau (Richard 1868, t. 1, p. 259, 261). D’ailleurs, dès le début du XVe siècle, la valorisation héraldique de la parenté maternelle devint un élément constitutif de l’identité noble un peu partout en Europe (Chassel 2012). Habitant une maison près de Notre-Dame-la-Grande, Joachim Tudert fut enterré le 18 mai 1522 dans la paroissiale de Sainte-Opportune et, plus précisément, comme l’atteste l’obituaire de l’église, dans « sa chapelle qu’il a faict construire et doter, où il y a un caveau » (Ledain 1885, p. 341 ; voir aussi Thibaudeau 1840, p. 384). Cette chapelle, qui aurait été placée près de l’autel majeur (Ledain 1897, p. 481), était donc ornée des armes de Joachim Tudert et de celles de son épouse, Marie Chaillé, ce qui nous permet de dater sa réalisation d’après 1494.
À partir du XVe siècle, d’autre chapelles et d’autres sépultures avaient trouvé place dans l’église Sainte-Opportune et il faut imaginer qu’une ornementation héraldique conséquente donnait de la visibilité aux défunts bienfaiteurs. Les armes des Roigne de Boisvert (d’argent au chêne tronçonné de sable, à deux branches de sinople, jetant deux feuilles de chêne de même), étaient ainsi reproduites sur un vitrail, disparu, de la chapelle placée sur la gauche de l’autel majeur (armoirie 3). Plutôt qu’à Pierre (Thibaudeau 1840, p. 382), maire de Poitiers en 1470, elles devaient appartenir à Mathurin, maire en 1538 et fondateur d’une chapelle dans cette église (Favreau 1975, p. 539, note 547).
Auteur : Matteo Ferrari
Pour citer cet article
Matteo Ferrari, Poitiers, église Sainte-Opportune, https://armma.saprat.fr/monument/eglise-sainte-opportune-poitiers/, consulté
le 21/11/2024.
Bibliographie sources
Paris, BnF, Ms. Fr. 20157, Recueil certain des noms et armoyries des mayres de la ville de Poitiers depuis l’an 1200, f. 165r-178v.
Bibliographie études
A.-R.-H. Thibaudeau. Histoire du Poitou. Nouvelle édition continuée jusqu’en 1789, Niort 1840.
C. de Chergé, Le guide du voyageur à Poitiers, Poitiers 1851.
L.-F. Bonsergent, « Note sur Pierre Mamoris curé de Sainte-Opportune de Poitiers et sur cette église », dans Bulletinde la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 1, 8, 1856, p. 1-6.
A. de Longuemar, «Répertoire archéologique du département de la Vienne. Arrondissement de Poitiers (ville et cantons nord et sud de Poitiers)», dans Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 1ère série, t. 9, 1859-1861, p. 219-573.
H. Beauchet-Filleau, Pouillé du diocèse de Poitiers, Niort-Poitiers 1868.
A.-G. Richard, Archives du château de La Barre, t. 1, Saint-Maixent 1868.
G. Lecointre-Dupont, « Note sur un reliquaire en forme de croix de l’ancienne église Sainte-Opportune de Poitiers », dans Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 1, 14, 1871, p. 371-377.
B. Ledain, « Extraits de divers documents relatifs à la ville de Poitiers », dans Archives historiques du Poitou, 15, 1885, p. 337-426.
H. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. 2, Poitiers 1895.
B. Ledain, « Les maires de Poitiers », dans Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, s. 2, 20, 1897, p. 215-774.
H. Beauchet-Filleau, P. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique des familles du Poitou, t. 4, Poitiers 1900.
R. Crozet, « La faculté à l’hôtel Fumé », dans La Grand’Goule, 32, 1934, p. 12-22.
R. Crozet, Textes et documents relatifs à l’histoire des arts en Poitou (Moyen âge – Début de la Renaissance), Poitiers 1942.
R. Favreau, La ville de Poitiers à la fin du Moyen Age. Une capitale Régionale, Poitiers 1978 (Mémoires de la Société de Antiquaires de l’Ouest, 4ème série, t. XIV, 1977-1978).
A. Brillaud et alii, Hôtel Fumé. La restauration de 1995, Poitiers 1995.
J.-L. Chassel, « Le nom et les armes : la matrilinéarité dans la
parenté aristocratique du second Moyen Âge », dans Droit et culture, 64, 2, 2012, p. 117-148.
D'(azur) au chevron d'(or) accompagné de trois cailloux d'(or), disposés deux en chef et un en pointe (ou de neuf cailloux posés trois par trois, dont six en chef et trois en pointe).
Attribution : Chaillé, famille
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chapelle latérale
Emplacement précis : Voûte
Support armorié : Clef de voûte
Structure actuelle de conservation : Poitiers, Musée Sainte-Croix, réserves
Poitiers, église Sainte-Opportune. Armoirie Joachim Tudert (armoirie 2)
Écartelé, au 1 et 4 d'(or) à deux losanges d'(azur), au chef d'(azur) chargé de trois besants d'(or) (Tudert) ; au 2 et 3 d'(argent) au chef émanché de trois pointes de (gueules) (Champdeniers).
Attribution : Tudert, Joachim
Position : Intérieur
Pièce / Partie de l'édifice : Chapelle latérale
Emplacement précis : Voûte
Support armorié : Clef de voûte
Structure actuelle de conservation : Poitiers, Hotel Fumé MSHA