Plouvien, chapelle Saint-Jean Balanant (chevet)
Le chevet de la chapelle Saint-Jean Balanant en Plouvien est un simple mur-pignon triangulaire reprenant les lignes de façade, avec le fronton dans l’axe de la nef et un long rampant couvrant le bas-côté sud. Scandée par trois étroits contreforts droits à ressauts, l’élévation est percée de trois fenêtres, deux baies géminées formant la maîtresse-vitre plus une petite baie au sud. La paroi, nue de tout décor, est austère : sa situation éloignée des circulations et masquée de la route explique qu’on la traita sans ostentation. On a émis l’hypothèse que l’ensemble aurait pu être « repris au XVe siècle lors de l’installation de […] la maîtresse-vitre » (Lemaître 2015), l’argumentaire reposant sur « le changement de maçonnerie au premier tiers et les nombreux boulins de l’échafaudage présents uniquement en partie haute » (ibid.). Mais on a plutôt l’impression d’une construction homogène : les maçonneries inférieures en moëllons, assisées avec soin, sont bien liaisonnés aux contreforts en pierre de taille, sans saillie ni décrochement, et l’on relève d’autres trous de boulin aux niveaux intermédiaires. On conclue soit à une mise en œuvre un peu hésitante sans véritable interruption de chantier, soit, ce qui est plus convaincant, à un choix délibéré d’une utilisation mixte et à l’économie des matériaux, dans un espace qui ne nécessitait aucune recherche. Le chevet est donc rattaché au reste de la chapelle, elle-même édifiée en un temps bref et sans doute d’un seul jet dans les décennies 1430-40.
Les baies géminées comptent trois lancettes trilobées surmontées au tympan d’une paire de soufflets adossés entourée de deux quadrilobes et deux paires de mouchettes elles aussi adossées. Ce réseau, conforme aux productions de l’époque, n’attire pas de commentaire particulier. En revanche, focalisé sur le souvenir des anciennes verrières, il est dommage que l’on n’ait pas souligné l’originalité précoce de la structure. Les baies géminées, qui offrent une solution intéressante pour ajourer plus largement une paroi sans l’affaiblir, sont parcimonieuses dans l’architecture religieuse bretonne où on ne les rencontre guère avant le troisième quart du XVe siècle, comme aux églises de Saint-Nicolas-du-Pélem ou de Bourbriac vers les années 1460-1480. Au moins vingt ans plus tôt, l’adoption précoce à Saint-Jean Balanant de cette solution assez marginale est une préfiguration à mettre au compte de l’atelier qui éleva Le Folgoët et le chevet de la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon. La mise en œuvre est toutefois un peu approximative à l’examen des claveaux dédoublés du meneau central extérieur qui trahissent une pose à gabarit unique réutilisable, selon une technique simple et efficace mais non la plus appropriée pour ce type de montage.
Il ne reste presque rien des deux anciennes verrières, réduites dans les ajours des tympans à quelques débris encrassés à-demi brisés, jointoyés d’une barbouille de ciment et comblés par des chutes de grillage rouillé qui offusqueraient un poulailler abandonné au fond d’un jardin. On reconnaît pourtant sept armoiries, une tête d’ange d’une grande qualité d’exécution, un fermaillet et des ornements annexes dans ces fragments, les plus anciens dans l’art du vitrail en Finistère après les fenêtres de la claire-voie du chœur de la cathédrale de Quimper, posées aux environs de 1420 (Broucke 2010). La valeur de ces vestiges maltraités est élevée : ayant constaté les liens étroits aux chantiers du Folgoët et de Saint-Pol-de-Léon, ils sont les derniers témoins pouvant donner à imaginer ce à quoi ressemblait la verrerie déployée dans les grands monuments du dynamique foyer architectural en Léon.
Malgré leur état quasi à dernière extrémité, on relève une similitude troublante avec la maîtresse-vitre de Runan, datée précisément de 1423 : le fermaillet écartelé en sautoir entouré de feuillages qui survit au quadrilobe de la baie nord, d’un traitement un peu inhabituel, est identique à ceux à la pointe du tympan de Runan, où l’on trouve aussi des verres de fond rouges. Pour autant, le style à Plouvien est plus moderne : la chevelure à mèches enroulées de l’ange, l’un des traits distinctifs de la statuaire du Folgoët, est caractéristique du second quart du XVe siècle. De même, les lions héraldiques, soignés au point de remarquer l’implantation des moustaches sur les babines ou les merlons de la tour de Lesquélen brochante sur l’épaule, rappellent ceux des armoiries du Juch à la baie 104 du chœur de Quimper – traitement identique de la tête et des oreilles – mais avec une écriture fluidifiée qui les rapproche par exemple du lion des armes d’Écosse à la maîtresse-vitre de la chapelle de La Houssaye en Noyal-Pontivy entre 1442 et 1450. Sans qu’aucune conclusion certaine ne soit permise à l’examen de quelques morceaux seulement, on a l’impression que les anciens vitraux de Saint-Jean Balanant, et probablement une partie au moins de ceux qui ornaient les monuments dont la chapelle était le satellite, étaient l’œuvre d’un atelier à la compétence éprouvée, qui aurait été formé ou influencé par les grands chantiers régionaux du premier quart du XVe siècle, et serait resté à l’affût des évolutions à la mode.
L’étude des écussons en l’état est déjà instructive. Pol Potier de Courcy l’entreprit avec quelques erreurs de généalogie et de bonnes conclusions pour l’histoire du monument (Potier de Courcy 1859, p. 131-132). Mais il ne disposait pas à l’époque du témoignage exceptionnel du Bref estat des préminences du marquisat de Kman et conté de Seizploé…, manuscrit dressant un inventaire peint exhaustif des éléments héraldiques – verrières, tombeaux, peintures, litres – dépendant des Kermavan puis Maillé-Carman dans l’évêché de Léon, qui fut redécouvert dans les années 1920 au sein des archives d’une famille descendante par alliance. Une description en fut publiée par l’archiviste du Finistère Louis Le Guennec (Le Guennec 1932), et au moins deux calques et deux copies ou copies d’après copie en circulent. Si ces dernières, dues au vicomte Frotier de La Messelière et au docteur Dujardin, sont d’assez peu de valeur, le calque de Le Guennec dressé par le propriétaire, et celui de René Couffon, peut-être un peu plus tardif, peuvent être considérés malgré de légères différences comme très fidèles à l’original, présumé inaccessible.
Le manuscrit fut commandité en 1614 par Charles de Maillé, sans doute en suite à l’érection de Kermavan en marquisat deux ans plus tôt, et sa réalisation fut confiée au peintre morlaisien Jean Bouricquen. Celui-ci ne fit pas montre d’un grand talent, mais ses dessins sur une soixantaine de pages sont « d’un faire consciencieux et appliqué » (Le Guennec 1932, p. 104) et « des plus précieux au point de vue documentaire » (ibid.).
À Saint-Jean Balanant, il dressa le relevé aquarellé des baies géminées, ornées d’une riche parure héraldique : furent scrupuleusement représentés en couleurs et en détails quatre écussons ornant les paires de soufflets du tympan, six aux têtes de lancette, deux couples de donateurs de la maison de Kermavan en prières, un par fenêtre, patronnés au Christ figuré deux fois aux panneaux les plus proches du meneau central. Bouricquen commit l’une des seules erreurs repérables au sein du recueil, en substituant des soufflets aux deux quadrilobes du tympan, et en inversant le soufflet central. Les baies ne marquant aucune reprise, il faut y voir une faute commise lors du tracé en atelier, du reste sans incidence sur le déchiffrement du programme emblématique. On se féliciterait même plutôt de cette imperfection qui renseigne sur les conditions du relevé des prééminences, croquées et notées au brouillon puis ultérieurement remises au propre.
Tout à l’examen des figures et armoiries, on n’eut pas un mot pour ce qui apparaît comme une évidence au visiteur se tenant dans le chœur les dessins à la main : les lancettes sont représentées beaucoup trop courtes et les panneaux figurés ne sauraient les avoir occupées seuls. On croit se tirer d’affaire en se rappelant que le canon de la première moitié du XVe siècle était souvent élancé et que Bouricquen, peut-être contraint par le format de son support, pourrait avoir ramassé son trait. Surtout, l’examen des autres planches du recueil révèle qu’il négligeait de représenter les encadrements architecturaux, dans le dessein évident de réserver la place aux éléments signifiants. Hormis en deux verrières où les dais affectent une taille normale (église de Lanhouarneau, chapelle de Kermeur), les encadrements sont plutôt atrophiés (chapelle de Kermavan en la cathédrale de Saint-Pol) et le plus généralement inexistants. Un tour d’horizon du vitrail médiéval breton atteste au contraire l’épanouissement de hauts dais dans la quasi-totalité des fenêtres conservées ou documentées, en particulier au XVe siècle où cet ornement formait une part essentielle de la composition. Ainsi à Runan où les architectures simulées comptent pour la moitié de la hauteur au bas de la maîtresse-vitre. Mais à Saint-Jean Balanant, même en imaginant que le canon des figures ait pu être un peu étiré et les encadrements très développés, ce qui aurait été peu compatible avec l’étroitesse des lancettes, l’élévation ne serait pas encore occupée à-demi : il s’en déduit que le décor était plus développé et que les relevés de 1614 n’en donnent qu’une vue partielle.
Habitué de ce que les priants occupent dans la grande majorité des cas les panneaux de pied, on crut faire montre de prudence méthodologique en relativisant le témoignage de Bouricquen. En pointant « le caractère schématique des dessins » (Gatouillat, Hérold 2005, p. 164), on plaça les donateurs « au bas des fenêtres » (ibid.), en évacuant silencieusement le reste de l’iconographie. Or les dessins de 1614 placent bien les scènes au haut des lancettes juste sous les écussons subsistant aux têtes trilobées. Qui plus est, le Christ, dont l’iconographie au sein du vitrail médiéval n’était supplantée d’aucune autre, est figuré deux fois, alors qu’il ne peut se trouver relégué en partie basse.
Le raisonnement aboutissant à une impasse, il faut retourner le problème. Tout d’abord, on constate que les dessins ramenés à échelle proportionnelle correspondent à la moitié supérieure des fenêtres et les panneaux à moins de 30 % de la hauteur des lancettes hors têtes trilobées. En rétablissant les encadrements d’architecture délibérément négligés par Bouricquen, on déduit que le décor se développait selon toute vraisemblance sur trois registres. On trouve d’excellentes comparaisons aux maîtresse-vitres de l’église de Lantic ou à la chapelle du Gohazé en Saint-Thuriau, datées du troisième quart du XVe siècle (Gatouillat, Hérold 2005, p. 70-72, 325-326 ; Cordier 2012). Les scènes, petites et serrées, sont encadrées de dais que l’on a envie de transposer à Saint-Jean.
Redonnant crédit aux planches de Bouricquen, les représentations du Christ occupaient bien les stations nobles, au plus haut des lancettes près de l’axe formé par le meneau de pierre central. Quant aux portraits des donateurs, si en effet ils occupaient de coutume le bas de la fenêtre, il s’en trouve aussi dans les baies à décor de plusieurs niveaux, placés aux rangs intermédiaires voire en supériorité. Sans chercher loin, le Bref estat… en montre deux exemples dans les fenêtres disparues de l’église des Jacobins de Morlaix (Le Guennec 1932, p. 130-131).
Les baies géminées fonctionnant ensemble comme une seule grande maîtresse-vitre à meneau central, il faut leur restituer une organisation interne non pas individuelle, mais à la fois conjointe et divisée en deux parties surmontées. La moitié supérieure incluant les tympans et le haut niveau des lancettes déployait exclusivement les prééminences des Kermavan sous les armes du duc, dans la zone la plus honorifique. Les deux tiers inférieurs devaient développer sur douze panneaux en deux rangées une autre iconographie, dont le thème n’est pas difficile à deviner. Dans une chapelle édifiée par l’Ordre de Saint-Jean, dédiée à saint Jean, sculptée au portail du Baptême par saint Jean, qui conservait des reliques de saint Jean, aux vitraux blasonnés des armes du duc Jean, presque certainement le cycle était dédié au Précurseur. Est-ce un hasard si une superbe statue à son effigie est abritée sous une haute niche à dais aménagée aux deux premiers tiers du meneau ? Cette touche élégante est encore à porter au crédit de l’atelier du Folgoët, qui la déploya dans la collégiale au trumeau des deux porches au sud.
Reste à comprendre pourquoi Bouricquen ne dessina que le couronnement des fenêtres. On pourrait répondre avec facilité que les prééminences de ses commanditaires n’occupant que le sommet, il n’avait nul besoin d’en dessiner les parties inférieures. Ce serait oublier qu’en tous les autres cas il dessina l’intégralité des baies lorsque les Kermavan y avaient ne serait-ce qu’un écu perdu au milieu de six ou huit lancettes, à défaut il tronquait le bas d’une façon nettement intelligible. Plus prosaïquement, la forme effilée des fenêtres aurait pu le dissuader de les dessiner en entier, cependant plusieurs grandes fenêtres comptant de nombreux ajours l’obligèrent ailleurs à dessiner très petit, comme lorsqu’il reproduisit la maîtresse-vitre disparue des Carmes de Saint-Pol-de-Léon, l’une des plus densément armoriées de la province avec plus de quarante écus. Mais il y pourrait y avoir eu une autre raison : en 1614, le pied des fenêtres et le premier registre iconographique auraient pu avoir été à-demi masqués voire obturés par un obstacle.
Un procès-verbal de 1617 signale sur le maître-autel « un crucifiementz » (Poitiers, AD de la Vienne, 3 H 1/465, procès-verbal des « améliorissements de Monsieur de Sainct-Offange », 1617, rapporté par : Leman, p. 92) qu’un autre procès-verbal de visite de 1708 mentionne comme accompagné « d’un gradin » (ibid., procès-verbal de visite de 1708, rapporté par : Leman, p. 96). Une troisième description de 1727 parle non sans ambiguité « des gradins et un petit cruciffix de bois, au milieu l’image de saint Jean-Baptiste le tout en pierre » (ibid., procès-verbal de visite de 1708, rapporté par : Leman, p. 99) ainsi que « d’un balustre au-dessus duquel il y a un grant cruciffix sur lequel il y a un day de bois peint […] contre le prochain pilier du maître-autel » (ibid., p. 100). Le « gradin » se rapporte le plus souvent à un élément de mobilier liturgique en bois en forme de caisson renfermant le tabernacle, mais dans son acception ancienne désigne aussi les retables d’autel. Certains pouvaient présenter des dimensions impressionnantes, et étaient parfois plus hauts que les autels eux-mêmes, jusqu’à empiéter sur les verrières. La chapelle de La Houssaye en Noyal-Pontivy fournit un exemple troublant avec sa maîtresse-vitre aux armes du duc François Ier (1442-1450), à peu près contemporaine de celle de Saint-Jean Balanant, comblée en partie basse par un superbe retable financé par le vicomte de Rohan aux environs de 1500. En gardant conscience de l’aspect acrobatique de ce genre de simulation, on remarque que si le retable de La Houssaye était installé sur le maître-autel de Balanant, il masquerait plus de la moitié d’un niveau iconographique. Sans rien affirmer, il n’est pas impossible qu’un ornement du même genre aurait pu avoir été en place à la chapelle de Plouvien, qui aurait ensuite pu disparaître dans les tourments de la Révolution.
En se représentant Bouricquen les yeux levés sur deux étroites verrières dont le bas, qui ne revêtait aucun intérêt pour lui, pourrait avoir été occulté, on comprend qu’il décida de n’en représenter que le sommet. Il commit seulement l’erreur au trait de ne pas prolonger les jambages des lancettes, donnant à confondre la barlotière supportant les panneaux du niveau supérieur, choisie comme limite basse du dessin, avec le pied de la vitre, ce qui fut source des confusions ultérieures.
À tout seigneur tout honneur, les soufflets sommitaux représentent les armes du duc Jean V (1399-1442) ou son fils François Ier (1442-1450) (armoiries 1 a-b). Bouricquen les dessina à dix mouchetures d’hermines posées 4, 3, 2, 1, mais elles semblent n’en avoir compté que six, 3, 2, 1 à la baie sud, où elles sont encore bien visibles depuis l’extérieur. Au nord, le contour de l’écu, presque absolument estompé, n’apparaît plus qu’en filigrane. Les deux verres, des originaux du XVe siècle et non des « manques complets » (Candio-Lesage 2020), sont peints d’un rouge orangé déjà simulé par Bouricquen.
Au-dessous se déployaient les prééminences des Kermavan, privilégiant le côté de l’évangile pour figurer les alliances les plus anciennes, et les portraits des seigneurs en titre. Le soufflet médian au nord était orné des armes de Léon (armoirie 2), disparues. Les liens des Kermavan aux Léon sont au moins doubles : ils descendraient de Hervé de Léon fils de Salomon de la branche cadette des seigneurs de Léon, dont le fils Hervé serait tige de la maison de Lesquélen et en aurait pris le nom avant 1279 (Kernévez 2002, p. 286). L’ordre des prééminences en plusieurs monuments visités par Bouricquen suggère également qu’un seigneur de Kermavan aurait épousé une fille de Léon, où il faut probablement identifier Hervé de Kermaon, chevalier, actif dans le second tiers du XIVe siècle, et son épouse. Au sud, tenues par un ange, sont les armes pleines anciennes de Kermavan (armoirie 3a). Le premier état des armes des Kermavan est celui d’un lion passant représenté par un sceau d’Hervé de Kermavan en 1273. Les armes au lion d’azur à l’épaule chargée de la tour roulante semblent attestées dès 1294 par le Rôle d’armes de l’ost de Ploërmel en 1294 suivant la copie de Gaignières (Pastoureau 1982, p. 36), et sont également sur un sceau de 1380. Un peu plus d’un siècle plus tard, en 1495, le sceau de Jean de Kermavan, alors archidiacre de Kemenet-Illy, atteste que les armes des Kermavan avaient pris leur dernière forme de l’écartelé Lesquelen – Kermavan (Fabre 1993, 2, p. 770). Seul un événement important peut induire ce changement d’armes, probablement l’érection du fief en bannière en 1454. Cette date donne le terminus post quem du vitrage.
Dans les têtes de lancettes se succédaient à nouveau les pleines armes anciennes de Kermavan (armoirie 3b), suivies de cinq écussons féminins en losange formant une généalogie continue des alliances matrimoniales du lignage sur cinq générations (armoiries 4, 5, 6, 7a, 8a). Les premier, quatrième et cinquième sont conservés intacts (armoiries 3b, 6, 7a), le troisième est partiellement endommagé (armoirie 5) et les deux autres ont disparu (armoiries 4, 8a). Le premier des écus en losange, à la seconde lancette de la baie nord, est mi-parti de Kermavan et Léon (armoirie 4), où on reconnaît a priori l’épouse de Hervé de Kermaon, chevalier, régulièrement documenté de 1331 à 1356 (Torchet 2010, p. 216). L’écusson suivant (armoirie 5) est aux armes de leur fils Tanguy, capitaine de Lesneven en 1372, signataire du traité de Guérande en 1381, mort en 1400 ou 1401 (ibid.), époux vers 1360 de Marguerite dame de Pennaneac’h, morte avant 1378 qui lui apporta un « fief large et la ligence sur Kerouzeré » (ibid.).
Le redent de la première lancette de la baie sud est occupé par les armes de Jeanne de Rosmadec de Goarlot (armoirie 6), fille de Riou III de Rosmadec seigneur de Goarlot – et non Yvon de Goarlot (Le Guennec 1932, p. 99) – qui la maria en 1385 à Alain de Kermavan, fils des précédents, qui paraît jusqu’au moins 1419 (Torchet 2010, p. 216, 243). L’écusson en suite est aux armes de leur belle-fille Aliette ou Eliette de Quélen (armoirie 7a), fille aînée de Conan de Quélen sire du Vieux-Chastel et de Typhaine – ou Aliette (ibid., p. 258) – de Quélenec (Le Guennec 1932, p. 99-100). Les armoiries étaient rompues lorsque Bouricquen dessina en 1614 la forme vide du dernier écu en losange, mais leur identité peut être formellement restituée : c’étaient de toute évidence les armes de Marguerite du Chastel (armoirie 8a), fille d’Olivier du Chastel et Jeanne de Ploeuc, qui épousa en 1432 ou 1434 autre Tanguy, fils des précédents, et était représentée en prières juste au-dessous.
Dans la plus haute des trois rangées de panneaux juste sous les têtes de lancettes étaient représentés les deux couples de donateurs. Dans la baie nord « Tanguy de Kermavan et […] Eliette de Quélen du Vieux-Chastel, présentés par sainte Catherine et saint Sébastien brandissant un faisceau de flèches, adoraient à genoux le Sauveur » (Le Guennec 1932, p. 119). Au sud, leur fils « Tanguy de Kermavan et Marguerite du Chastel, présentés par le Précurseur vêtu de la robe en poil de chameau et une sainte non caractérisée, recevaient la bénédiction portant sa croix » (ibid.). Tous les priants sont vêtus à leurs armes, les Tanguy père et fils arborant les anciennes armes de leur famille (armoiries 3 c-d), et leurs épouses les mi-partissant (armoiries 7b, 8b).
Au nord, Tanguy et Aliette étaient les seigneur et dame de Kermavan en titre. Lui fut l’un des membres les plus distingués de sa maison : chambellan et fidèle du duc Jean V, il s’arma pour la libération du prince en 1419, fut l’un des trois chevaliers porteurs de la chaire de l’évêque de Léon lors de son intronisation en 1422, fut capitaine de Brest en 1427, et en eut encore la garde en 1433. Avant sa mort survenue en 1461 ou 1462, le duc Pierre II (1450-1457) érigea pour lui Kermavan en bannière en 1454 (ibid., p. 100 ; Torchet 2010, p. 173).
L’association de leur fils et leur bru en alter ego à la verrière sud, intéressante, procède de plusieurs causes. La plus naturelle était de manifester la fécondité et la continuité du lignage, Tanguy et Marguerite, jeunes mariés dans la vingtaine ou la trentaine, étant les héritiers du fief. Peut-être également Tanguy le jeune avait-il une certaine envergure pouvant dans l’hypothèse être déjà seigneur des héritages de sa mère, la date de décès d’Aliette de Quélen étant présumée inconnue. La figuration du jeune couple a aussi permis, c’est un point majeur, de mettre en avant la prestigieuse alliance aux Du Chastel, qui fit les Kermavan placer un pied sur le perron de la haute noblesse. Ce n’est pas une coïncidence si le père de Marguerite, Olivier du Chastel, chef de nom et d’armes, sire de Trémazan, était l’un des premiers mécènes et prééminenciers de la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon et encore et toujours, du Folgoët, où en plus d’y posséder une myriade d’écussons, il offrit une superbe statue de Vierge à l’Enfant à ses nom et armes. Un oncle et un frère de Marguerite gravitaient plus haut encore : si l’étoile de Tanneguy, le célèbre prévôt qui sauva le jeune Charles VII et précipita la fin du duc de Bourgogne Jean sans Peur à Montereau, avait singulièrement pâli dans les décennies 1430-1440, en revanche son frère Guillaume était panetier du roi. En 1441, alors que Marguerite était sur le point ou venait d’être portraiturée dans les verres de Saint-Jean Balanant, lui accédait à l’honneur suprême du dernier séjour des fleurs de lys à Saint-Denis. Cet étalage généalogique flatteur poursuivait encore un dernier objectif, plus indirect, moins avoué, un peu mesquin : occuper un maximum d’espace au-dessus de la statue de saint Jean afin d’en laisser le moins possible à Saint-Jean.
Si en effet les Kermavan n’étaient pas « une simple famille noble parmi d’autres » (Leman 2018, p. 66) mais bien les premiers prééminenciers, plus haut que les Penmarc’h à l’ancienne chapelle au nord et les Marc’hec au bas-côté sud, qui n’avaient ni la stature ni la légitimité de leur disputer la préséance, en revanche, contrairement à ce qui a été affirmé (Torchet 2010, p. 216), peut-être sur la foi d’une prétention abusive des Kermavan eux-mêmes, ils n’étaient pas fondateurs de la chapelle, mais ses principaux « bienfaiteurs » (Le Guennec 1932, p. 100). Car Saint-Jean Balanant était « une fondation des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem qui relevait de la commanderie de La Feuillée » (Couffon, Le Bars 1988, p. 308). À ce titre, l’Ordre avait des droits et des prééminences. Les définir n’est pas chose aisée.
Il semble qu’au XVe siècle, l’Ordre de Saint-Jean ne parvint généralement pas à se ménager beaucoup de place au sein des riches programmes emblématiques qui recouvrirent les églises et chapelle bâties en son nom. On le ressent déjà à Plouvien, où les croquis de Bouricquen et les aveux de Penmarc’h et Guicquelleau attestent une très large prééminence des seigneurs laïcs à la maîtresse-vitre et dans le partage des espaces. C’est surtout ce que confirme la comparaison offerte par l’église hospitalière de Runan, construite en partie simultanément. Les armes du commandeur de La Feuillée Pierre de Keramborgne brillent par leur absence à la maîtresse-vitre de 1423 copieusement blasonnée des armes du duc, des familles locales et leurs alliances. La mention qu’on a de lui quinze ans plus tard ne rassure pas sur sa capacité à faire respecter les droits honorifiques de l’Ordre au sein de la chapelle latérale nouvellement construite au sud, ses armoiries venant d’être proprement extirpées par un seigneur des environs qui n’était même pas le plus puissant. Alors que les écussons de l’indélicat sont bien en place aujourd’hui, on cherche toujours à localiser celui du gouverneur. Lorsque furent élevés les monuments sous son obédience dans la première moitié du XVe siècle, l’Ordre était peut-être consulté lors de la mise en place du programme emblématique, mais il ressort clairement que le contrôle lui en échappait et qu’il fallait encore coudoyer ferme pour se ménager une place en queue de peloton.
Au XVIIe siècle, le ton est très différent. Profitant ici du relâchement de la noblesse ou du morcellement d’un lignage, là du mauvais entretien des prééminences, plus loin d’un opportun coup de tonnerre ou qui sait parfois d’un caillou bien ajusté sans témoin, les gouverneurs successifs, dont quelques indices font penser qu’ils avaient commencé de relever la tête dès la fin du XVe siècle, se sont mis à élever la voix, de plus en plus fort. Pierre de Keramborgne aurait jalousé son lointain successeur dont les aveux de 1697 revendiquaient que « le commandeur restait le seigneur fondateur et [qu’à] lui seul appartenaient les prières nominales, le droit d’escabeau, d’enfeu et d’écusson, ainsi que tous les autres droits seigneuriaux » (Lemaître 2015, p. 314). Il faut lire avec prudence de telles prétentions, tardives, que l’on ne peut calquer au contexte du XVe siècle. Surtout, pour servir ce discours d’autorité au ton louis-quatorzien, on sent qu’il fallut prendre quelques libertés avec la bonne foi. C’est ce qui arriva au XVIIe siècle à Saint-Jean Balanant.
La première mention des armes des Hospitaliers date de 1617, lorsque le procès-verbal de visite du gouverneur de Saint-Offange signale que la chapelle est « garnye de vittres aux vittraux où sont les armes de notre Ordre et celles du commandeur à présent » (Poitiers, AD de la Vienne, 3 H 1/465, procès-verbal des « améliorissements de Monsieur de Sainct-Offange », rapporté par : Leman 2018, p. 90). On songe à la visite de Bouricquen survenue trois ans plus tôt, où il releva au redent de la troisième lancette de la baie sud un écu en losange qui portait antérieurement les armes en alliance de Marguerite du Chastel : il les laissa vierges, signifiant que les figures en étaient brisées, sans doute par accident ou à défaut de réparation. Fut-ce dans ce laps de quelques mois qu’on lui substitua l’écu aux armes de l’Ordre (armoirie 9a) qui s’observe aujourd’hui ? C’est possible, mais ce ne serait qu’une coïncidence même s’il s’agissait d’une usurpation manifeste. En tous cas, l’échange avait déjà eu lieu avant 1682 ou 1708 en date extrême. En 1682, on remarquait « dans le principal […] desquels quatre principaux vitraux […] les armes de la Religion et plusieurs autres particuliers » (Poitiers, AD de la Vienne, 3 H 1/465 ; procès-verbal de visite de la commanderie de La Feuillée et ses dépendances, 1682, rapporté par : Leman 2018, p. 92). En 1708, il fut constaté « dans le grand vitrail les armes de la relligion et que la plus part des vistres ont esté posées nouvellement » (ibid., procès-verbal d’améliorations et réparations, 1708 , rapporté par : Leman 2018, p. 96), reconnaissant « qu’on est obligé de les faire réparer presque tous les ans par les mauvais vents quy les rompent » (ibid.).
Enfin, une dernière relation de 1727 confirme l’état de vétusté « dans la maîtresse-vitre où il manque quelques carreaux de verre » (ibid., procès-verbal « d’améliorissements » de la commanderie de La Feuillée et ses dépendances, 1727, cité par : Leman 2018, p. 99). Mimant le doute, on feignit de ne pas reconnaître les armes de Bretagne aux soufflets sommitaux : « il paroist qu’un écusson qui est en supperioritté que nous croyons estre celluy de la Religion a esté noirci et biffé en sorte qu’on ne le reconnoit plus, au haut de la même, du cotet de l’épître et en même superioritté, il y a là apparament un pareil écusson de la religion et où il n’y a présentement qu’un de ver blanc, soit qu’il ait été rompu exprés ou par accidant » (ibid., p. 99-100). L’apparente objectivité de cette description dissimule peut-être une arrière-pensée de remplacer les écussons supérieurs par ceux de l’Ordre, déjà présumés d’office. Or il suffisait comme aujourd’hui d’observer de l’extérieur, on le fit probablement, pour reconnaître sans erreur les hermines de Bretagne. L’héritier des anciens ducs étant maître de Versailles, on n’osa pas les déposer. Les successeurs des Kermavan semblent quant à eux ne pas avoir inspiré un tel respect. Tandis que leurs prééminences à-demi délabrées continuaient de s’étaler au plus haut, leur description sent la sournoiserie : « au-dessous les armes de la religion sont en différents endroits, et quelques écussons au-dessous dont les armes nous sont inconnus » (ibid.).
En définitive, où étaient à l’origine les écussons de l’Ordre ? Peut-être nulle part. En tous cas pas au tympan, où Bouricquen n’en vit aucun. Aux redents trilobés, seul le dernier écusson à droite (armoirie 9a) fut substitué au XVIIe siècle, ainsi qu’il a été vu. Au registre supérieur des lancettes priaient les deux Tanguys et leurs épouses. Ne reste que le milieu et le bas des fenêtres, dans la zone où l’on peut être presque assuré de l’installation primitive d’un cycle iconographique dédié à saint Jean Baptiste, du fait de la présence de sa statue au trumeau. Entre les panneaux montrant le Baptême du Christ ou la Décollation du Précurseur se trouvait-il un portrait en prières de Perrot du Dresnay, le « gouverneur de l’hospital mons.r S.ct Jehan Baptiste à Balaznant » mentionné par la Réformation de 1443, ou de son supérieur Pierre de Keramborgne si maltraité à Runan ? Ou des écussons de l’Ordre ? Ce sont des hypothèses envisageables mais invérifiables. Ce qui paraît probable en revanche, c’est qu’à partir du XVIIe siècle, les panneaux qui se décrochèrent en partie basse durent pour certains remplacés par un écusson de gueules à la croix d’argent (armoirie 9?). Finalement, les baies géminées de Saint-Jean Balanant, dans leur juxtaposition horizontale si originale, scellent une permanence : la verticalité des prééminences.
Au mois de juillet 2021, la chapelle Saint-Jean Balanant est à quelques semaines du lancement d’une campagne de restauration d’envergure intégrant la réfection des verrières, qui durera environ deux ans. À cette occasion, il faut préconiser le maintien des éléments anciens au tympan, incluant toutes les armoiries subsistantes. Il est également intéressant que soit connu l’emplacement des éléments relevés en 1614 (anciennes prééminences de Kermavan au niveau supérieur) ainsi que l’ordre très probable du décor (division en trois registres, iconographie de saint Jean en partie basse).